Les réfugiés syriens disposent d’un nombre d’options très limité pour subvenir à leurs propres besoins. La réinstallation dans un autre pays est accessible uniquement à un faible pourcentage des réfugiés les plus vulnérables et il semble qu’il n’existe aucune option d’intégration à long terme dans les pays voisins, ni de retour imminent.
De nombreux réfugiés actuellement établis au Moyen-Orient sont des professionnels ou des travailleurs qualifiés dont les talents pourraient aider à combler les déficits de compétences dans le monde entier, et en particulier dans les nations développées. Engager le secteur privé à tirer parti de cette ressource de talents non reconnue pourrait permettre de trouver une nouvelle solution pour plusieurs milliers de familles de réfugiés.
Il existe en effet un besoin criant de nouvelles solutions. Par exemple, des opportunités professionnelles internationales permettraient aux réfugiés de subvenir à leurs besoins et de retrouver leur indépendance. De nombreux pays du monde admettent légalement les travailleurs migrants, en particulier ceux qui disposent de talents et de compétences particuliers, et de nombreux employeurs multinationaux recrutent et déploient à l’échelle mondiale des travailleurs qualifiés. Une enquête menée par l’UNHCR (l’agence ds Nations Unies pour les réfugiés) en décembre 2015 a révélé que 86 % des réfugiés récemment arrivés en Grèce disposaient d’un niveau d’instruction élevé, de niveau secondaire ou universitaire.[1] On trouve un nombre important d’ingénieurs, de comptables, de programmateurs informatiques, de médecins, d’infirmières et d’enseignants parmi les réfugiés syriens vivant en Jordanie, au Liban et en Turquie.
La mise au point d’un système permettant aux réfugiés de postuler pour des emplois internationaux auprès d’entreprises multinationales pourrait offrir à un grand nombre d’entre eux une voie migratoire légale. Les réfugiés acceptant un travail dans un autre pays gagneraient ainsi un revenu leur permettant de subvenir aux besoins de leur famille, d’entretenir ou d’approfondir leurs compétences, d’accumuler une nouvelle expérience professionnelle et de mettre fin à leur dépendance envers une aide humanitaire limitée. De surcroît, la facilitation des mouvements des réfugiés pour des raisons professionnelles permettrait d’atténuer certaines pressions exercées sur les voisins de la Syrie et sur l’Europe, en offrant aux réfugiés d’autres solutions sûres et légales.
Besoin de travailleurs
Presque toutes les nations souffrent d’une pénurie de travailleurs formés, et notamment dans certaines régions d’Amérique du Sud, d’Afrique et d’Asie centrale, qui ont besoin d’ingénieurs, de professionnels de l’informatique, d’infirmières et d’autres employés et professionnels qualifiés. Une enquête réalisée récemment par le Groupe Manpower auprès de plus de 41 000 responsables du recrutement dans 42 pays et territoires a conclu que, « à l’échelle mondiale, 38 % des employeurs éprouvent des difficultés à remplir des postes vacants en 2015 ».[2] Embaucher des réfugiés pourrait aider les entreprises à résoudre ce problème en mettant à leur disposition des travailleurs qualifiés pour les postes difficiles à pourvoir.
Ces dernières années, les débats ont fait rage concernant les alternatives aux trois solutions durables traditionnelles offertes aux réfugiés (rapatriement volontaire, réinstallation et intégration locale), la mobilité professionnelle étant l’une des possibilités les plus largement débattues. La mise en correspondance de réfugiés qualifiés et d’opportunités professionnelles internationales est un chemin qui n’a pas été exploré depuis la période consécutive à la Première Guerre Mondiale, lorsque l’Organisation internationale du travail a recouru à une telle pratique. Un passeport Nansen avait alors été délivré à des centaines de milliers de réfugiés dénués de document d’identité pour leur permettre de voyager à des fins professionnelles.[3]
Aujourd’hui, les entreprises multinationales du monde entier recrutent des talents étrangers à des postes difficiles à pourvoir. De nombreux pays sont disposés à fournir des visas de travail pour encourager la venue de travailleurs migrants qualifiés. Les migrants, y compris les migrants forcés, peuvent contribuer à l’économie locale des autres pays et régions, comme l’explique le Rapport de suivi mondial 2015-2016 de la Banque mondiale.[4] Ils peuvent apporter des compétences productives aux communautés et aider à achever des projets de développement essentiels là où la population locale ne dispose pas de leurs compétences.
Le fait que plusieurs des objectifs de développement durable (ODD) mettent en partie l’accent sur la migration témoigne de la reconnaissance croissante de la contribution des migrants au développement international. La mobilité professionnelle des réfugiés pourrait contribuer directement à l’avancement de trois de ces ODD, et à de nombreux autres indirectement. La fourniture d’emplois productifs, l’approfondissement du développement et la coopération au niveau international soutiennent les objectifs 8, 9 et 17. De plus, l’engagement de réfugiés qualifiés dans des activités professionnelles productives pourrait potentiellement faire évoluer les attitudes, un plus grand nombre de personnes pouvant ainsi constater comment les réfugiés contribuent au développement, aux communautés et à l’économie locale. Les réfugiés qualifiés seraient alors perçus comme des atouts et des personnes pouvant apporter des contributions précieuses.
Opportunités et défis
Les possibilités de mobilité professionnelle donneront aux réfugiés un plus grand nombre d’options leur permettant de décider pour eux-mêmes où travailler et comment subvenir à leurs besoins. Tous les réfugiés, y compris les réfugiés non qualifiés, devraient avoir la possibilité de s’intégrer au marché du travail local ou international. Malheureusement, la réalité est loin d’être ainsi – mais la mobilité professionnelle pour les réfugiés qualifiés est un début.
Il existe également plusieurs défis opérationnels. Il faudra par exemple s’assurer que les réfugiés ont accès à des informations exactes, vérifier les compétences, dont les compétences linguistiques, organiser la délivrance de documents de voyage et déterminer des possibilités post-emploi. Aucun de ces défis n’est toutefois insurmontable. La mobilité professionnelle complète les solutions durables traditionnelles : c’est à la fois une option supplémentaire pour répondre à un immense problème et une opportunité pour engager de nouveaux partenaires et un plus grand nombre de pays dans un effort mondial.
La volonté du secteur privé et des pouvoirs publics de faciliter ces opportunités constitue un élément crucial pour faire avancer les choses. Heureusement, le secteur privé a manifesté son intérêt à contribuer aux solutions pour les personnes déplacées contre leur gré, et de nombreuses entreprises ont adhéré à la Solutions Alliance.[5] Le secteur privé joue un rôle important dans la réponse apportée en Europe, un nombre croissant d’entreprises semblant disposé à embaucher des réfugiés qualifiés. Cependant, un plus grand nombre d’entreprises encore doit considérer la possibilité de puiser dans le pool de talents des réfugiés tandis que les pouvoirs publics doivent appuyer ces pratiques professionnelles inclusives en délivrant des permis de travail aux réfugiés, en plus des places de réinstallation qui leur sont accordées. La mobilité professionnelle donnera également au secteur privé (ainsi qu’aux pays n’ayant pas encore participé à la réponse face à la crise au Moyen-Orient) l’occasion de participer à ces efforts, et d’en tirer simultanément des avantages.
De nouvelles initiatives et de nouvelles solutions sont nécessaires face à la crise mondiale des réfugiés. La mobilité professionnelle peut devenir une réalité, comme c’était le cas il y a presque 100 ans. Elle peut être un élément de la réponse apportée à la crise humanitaire actuelle, en ouvrant aux réfugiés une voie légale qui leur permettra de devenir autonomes et de construire leur avenir. En septembre 2016, les entreprises et les pays auront l’occasion de s’engager à soutenir la mobilité professionnelle des réfugiés lors des prochaines réunions de haut niveau de l’ONU et des États-Unis sur la mobilité et les réfugiés.
Sayre Nyce snyce@talentbeyondboundaries.org
Directrice exécutive, Talent Beyond Boundaries
Mary Louise Cohen mlcohen@talentbeyondboundaries.org
Bruce Cohen bcohen@talentbeyondboundaries.org
Fondateurs, Talent Beyond Boundaries
Talent Beyond Boundaries a été fondé dans le but de fournir aux réfugiés qualifiés un moyen d’intégrer le secteur privé et de trouver un emploi sur le marché international du travail.
www.talentbeyondboundaries.org
[2] Enquête Manpower sur la pénurie de talent 2015 (traduction) www.manpowergroup.fi/Global/2015_Talent_Shortage_Survey-full%20report.pdf
[3] Long K (2015) From Refugee to Migrant? Labor Mobility’s Protection Potential, Migration Policy Institute www.migrationpolicy.org/research/refugee-migrant-labor-mobilitys-protection-potential
[4] Banque mondiale (2016) Rapport de suivi mondial 2015/2016 : Objectifs de développement dans une ère de changement démographique.