Les études du déplacement et de la réinstallation dans le cadre d'opérations minières continuent de mettre en lumière des taux continûment élevés d'appauvrissement parmi les personnes déplacées[1] ainsi que la faiblesse des pratiques de renforcement et de gestion des connaissances du secteur minier en matière de respect des normes internationales.[2] Les répercussions de cette situation sont considérables. Les communautés d'accueil et réinstallées devront faire face à des risques accrus de violation de leurs droits humains, de pauvreté et d'instabilité sociale. Les autorités devront assumer les responsabilités à long terme qui découlent du déplacement, et seront notamment sous pression pour répondre aux risques d'appauvrissement dans les zones reculées. Les entreprises feront face à un plus large mouvement d'opposition et à une augmentation de leurs risques réputationnels, tandis que leurs coûts d'exploitation augmenteront si les questions de réinstallation restent irrésolues. Enfin, les institutions financières internationales (IFI) seront soumises à un examen plus rapproché par le public relativement à leur adoption de pratiques de diligence requise vis-à-vis des droits humains avant d'accorder des prêts au secteur de l'extraction minière, ce dont elles ressentiront les conséquences.
En 2001, la Banque mondiale a établi sa politique opérationnelle sur la réinstallation forcée (OP 4.12), basée sur un ensemble de risques connus en matière de déplacement et de réinstallation, en vue de guider les prêteurs et les États relativement au processus de diligence requise à suivre pour les projets de développement de grande échelle. Le modèle des risques d'appauvrissement et développement pour la réinstallation de Michael Cernea[3] est largement reconnu comme le fondement conceptuel du cadre de la politique de réinstallation de la Banque mondiale ainsi que de la norme de performance no5 de la Société financière internationale (SFI) concernant l'acquisition de terres et la réinstallation involontaire.[4] Cette dernière est devenue la norme internationale par défaut pour le secteur minier et, bien que les organisations de la société civile n'aient pas ouvertement avalisé les normes de la SFI, il est toutefois accepté, en pratique, que ces normes représentent un seuil de protection minimum pour les populations concernées contre les risques connus liés à la réinstallation.
Les déplacements sont courants dans le contexte des projets d'exploitation minière mais l'on observe une absence notable de données relatives à leur ampleur et à leur fréquence. Des informations sont disponibles au cas par cas, uniquement lorsque les promoteurs des projets ou des entités tierces divulguent la documentation de planification. On peut citer les cas suivants :
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Planification sur un marché particulièrement volatile
La principale hypothèse sur laquelle se base les normes de sauvegarde internationales porte sur la possibilité de prévoir et d'atténuer les risques associés au déplacement et à la réinstallation. Si les promoteurs d'un projet déploient des efforts pour identifier les risques, et planifier leur projet en conséquence, il en résultera un moins grand nombre de risques pour la population déplacée. Une deuxième hypothèse part du principe que les promoteurs agiront de manière à protéger leurs propres intérêts. Les normes sont donc conçues pour aider les entreprises à identifier et surmonter les risques associés au projet et à protéger leur soi-disant « permis social d'exploitation ». Conjointement, ces deux hypothèses suggèrent que les risques de réinstallation sont gérables et que les compagnies minières investiront dans la planification de la réinstallation car il en va de leur meilleur intérêt. Toutefois, peu de données empiriques permettent de supposer que les compagnies minières considèrent que les investissements dans les sauvegardes sociales relèvent du « bon sens commercial ». Au contraire, de nombreuses compagnies ne parviennent pas à calculer le coût véritable de la réinstallation et tendent à retarder l'affectation des ressources nécessaires.
La capacité des promoteurs à prédéfinir la portée d'un projet de grande échelle à forte intensité de capital est cruciale au concept de « planification en tant que sauvegarde ». En effet, pour qu'un promoteur soit en mesure de concevoir et de financer correctement un train de mesures adaptées et abordables en vue d'atténuer les impacts négatifs d'un projet sur les personnes qui seront réinstallées, il est essentiel qu'il ait connaissance des terres dont il aura besoin mais aussi des divers impacts qui seront ressentis aux divers endroits concernés, aux différentes phases du cycle de vie de la mine et selon quelles conditions du marché. Toutefois, il est difficile de prédéfinir ces éléments lors de la mise en exploitation d'un projet minier de grande envergure, d'autant plus lorsque l'on considère certaines variables telles que la disponibilité et le coût des terres, de l'eau, de l'énergie et des nouvelles technologies, de même que les conditions du marché en rapide évolution, y compris la demande de produits de base par les consommateurs. En conséquence, il peut arriver que les projets saisissent des terres (et entraînent ainsi des déplacements) de manière ponctuelle et opportuniste plutôt que dans le cadre d'une activité « initiale » organisée (c'est-à-dire, au début du projet minier). Une grande partie des réinstallations sont provoquées par l'expansion des projets au cours de la phase d'exploitation de la mine, une fois que leur rentabilité a été prouvée. À moins que la planification des activités minières et des réinstallations ne prenne en compte cet élément d'incertitude et ne se déroule dans un cadre institutionnel de gouvernance responsable, elle n'est peut-être pas l'instrument de sauvegarde que l’on croit.
Incertitude, réglementation et consentement éclairé
Lorsqu'un pays donne initialement le feu vert à un projet d'extraction minière, cette autorisation se base sur la conception du projet qui décrit les risques et les plans pour les atténuer. Et lorsque les communautés participent à des processus de consultation, c'est cette conception initiale qui leur est présentée et qui est discutée. Cependant, on ne sait pas encore à quoi ressemblera le projet dans le futur. L'expansion des mines, même si elle se fait de manière progressive, se traduit par une modification de l'affectation des terres et par des impacts environnementaux et sociaux. Même si, sur le papier, un projet ne prévoit aucune réinstallation forcée au cours des phases initiales, il est possible qu'il implique par la suite de procéder à des réinstallations afin de demeurer viable sur le plan économique. Par exemple, dans le cadre de l'exploitation de la mine d'o d'Ahafo par Newmont au Ghana, des communautés ont dû être réinstallées à quatre reprises entre 2004 et 2012 afin de faire de la place aux infrastructures et aux terrains supplémentaires nécessaires.
En tant qu'activité initiale, la planification de la réinstallation permet aux promoteurs et aux autorités de décider des services sociaux et économiques qui seront nécessaires pour prendre en charge les communautés déplacées et d'accueil, et comment ces dépenses seront couvertes au cours de la vie du projet et par la suite. Le temps qu'il est possible de consacrer à la planification des déplacements susceptibles d’avoir lieu au cours de la phase d'exploitation est souvent limité. Il en résulte donc souvent une planification réactive et à court terme, sans stratégie précise concernant le financement ou la gestion ultérieurs des risques liés à la réinstallation. Par exemple, dans la mine d'or de Porgera en Papouasie-Nouvelle-Guinée, au cours des trente dernières années, de nombreux ménages ont été réinstallés à plusieurs reprises au sein de la zone couverte par la concession minière. Ce recours à des réinstallations ainsi que l'incertitude concernant la nécessité de procéder à des réinstallations entrave aussi bien le bon fonctionnement de la mine que la capacité des résidents à préserver un niveau de vie élémentaire.
D'autres considérations initiales mettent en avant l'importance des droits humains. La question du « consentement libre, préalable et éclairé » (CLPE) soulève des questions fondamentales au sujet de l'exercice du pouvoir dans les grands projets de développement. Bien qu'il existe diverses interprétations de ce que le CLPE peut apporter aux communautés, il est généralement considéré comme un moyen de promouvoir les droits des peuples autochtones, les organisations de plaidoyer soulignant le droit des communautés à opposer leur veto aux projets de développement. Bien que de nombreuses autorités nationales ne confèrent pas aux communautés locales le droit de rejeter purement et simplement des projets, le CLPE est de plus en plus souvent promu comme un moyen permettant aux communautés de peser plus lourdement dans les processus de consultation, y compris en relation à la réinstallation.
Comme le précédent, cet aspect est lui aussi grandement problématique dans la mesure où les communautés doivent donner leur consentement pour qu'un projet d'exploitation minière puisse être autorisé, alors même qu'il est inévitable que ce dernier évolue au point de ne plus ressembler au projet sur lequel les parties se sont initialement accordées. Bien que dans certains cas les entreprises choisissent de repousser le règlement de la situation jusqu'à ce qu'il devienne incontournable, il est également vrai que les entreprises ne disposent pas toujours d'informations sur la manière dont le projet évoluera avec le temps. Et même dans les situations où les entreprises ont accès à ce type d'information, elles n'engageront pas toujours un dialogue constructif avec les communautés concernées.
Cela ne veut pas dire qu'une planification n'a pas lieu ou ne peut pas avoir lieu dans ces circonstances. La question est plutôt de savoir si, dans ces circonstances, la planification se traduit par l'effet de sauvegarde qu'on lui attribue dans les cadres politiques internationaux et d'entreprise. Il est toujours possible de donner des informations, un choix et des opportunités de consultation, même lorsque la planification de la réinstallation se déroule de manière ponctuelle ou opportuniste. Il est possible de mettre en place des activités participatives même dans des délais extrêmement courts, tandis que les informations peuvent être disséminées de manière conforme aux exigences les plus élémentaires. Toutefois, l'intégrité du processus est évidemment cruciale à la valeur sous-jacente de la planification en tant que sauvegarde. Dans cet objectif d'intégrité, il faudrait que les promoteurs des ressources endossent activement la responsabilité de la planification et de la gestion des risques liés à la réinstallation. Les particularités de l'industrie minière et la tendance des compagnies à retarder le règlement des situations jusqu'à ce que cette approche ne relève plus du bon sens commercial mettent sérieusement en doute la capacité de ces entreprises à apporter des sauvegardes par la planification. Tant qu'il n'y aura pas un engagement plus profond pour financer la réinstallation (et pas seulement planifier le déplacement), les personnes réinstallées par l'industrie minière continueront d'être forcées à s'appauvrir.
Inefficacité des mesures incitatives et dissuasives
Petit à petit, les États-nations modifient leurs lois minières et environnementales relatives à la réinstallation afin d'aligner plus étroitement leurs instruments réglementaires nationaux sur les normes internationales et les cadres politiques internationaux. Parallèlement, les ONG conduisent des campagnes plus actives contre les compagnies minières qui ne protègent pas les personnes déplacées contre les risques liés à la réinstallation. Cependant, même si des mesures plus solides sont mises en place pour inciter les entreprises à planifier les déplacements et les réinstallations, les caractéristiques particulières de l'industrie minière continueront d'aller à l'encontre la planification initiale.
Le secteur minier promeut depuis longtemps l'idée qu'il est dans le meilleur intérêt de l'industrie d'investir dans des initiatives de responsabilité sociale des entreprises et d'entretenir des relations robustes avec les communautés d'accueil. Selon des concepts tels que le « permis social d'exploitation », les compagnies minières doivent atteindre un niveau « approuvé » de performance sociale afin de poursuivre leurs opérations dans un contexte donné. Le permis social suppose que les communautés peuvent retirer ou retireront leur appui à un projet minier, que le retrait de cet appui aura des répercussions négatives considérables sur la viabilité économique de l'exploitation et que les compagnies minières gèrent de manière proactive le risque de perdre ce permis social si elles se concentrent uniquement sur leurs propres intérêts.
Néanmoins, les données actuelles suggèrent plutôt que les compagnies minières ne considèrent pas la réinstallation comme un risque majeur pour leur permis social ou pour la viabilité de leurs opérations. Il semble au contraire que les compagnies ignorent ce risque jusqu'à ce que ses impacts apparaissent et qu'une crise présente une menace pour leurs opérations. En d'autres mots, il est peu probable que les compagnies agissent comme il le faudrait simplement parce que ne rien faire pourrait leur être préjudiciable.
Lorsque les prêteurs sont directement impliqués dans les décisions entraînant des déplacements, on pourrait s'attendre à ce que leurs mesures de supervision supplémentaires se traduisent par une meilleure gestion des risques liés à la réinstallation par les promoteurs. Toutefois, un examen interne récemment conduit par le Groupe de la Banque mondiale, ainsi que des rapports rédigés par divers consultants et universitaires, soulignent que les prêteurs ne prennent pas les mesures coercitives qui s'imposent même après que plusieurs situations de non-conformité ont été identifiées. Ainsi, plutôt que d'atténuer les risques liés à la réinstallation, les prêteurs sont devenus les complices des effets appauvrissants de l'extraction minière.
Lorsque ces risques se matérialisent, les personnes déplacées sont confrontées à des souffrances et des privations bien concrètes. Il faut donc que les pratiques de l'industrie minière évoluent considérablement pour que les sauvegardes sociales aient un impact véritable sur le terrain.
John Owen jowen@in-dev.org
Directeur de recherche honoraire au Centre de responsabilité sociale dans le secteur minier de l'Université du Queensland.
Deanna Kemp d.kemp@smi.uq.edu.au
Professeure adjointe au Centre de responsabilité sociale dans le secteur minier de l'Université du Queensland.
[1] Adam A B, Owen J R et Kemp D (2015) « Households, livelihoods and mining-induced displacement and resettlement »t The Extractive Industries and Society 2(3), 581-589; Owen J R et Kemp D (2015) « Mining-induced displacement and resettlement: a critical appraisal », Journal of Cleaner Production, 87, 478-488.
[2] Voir « Responsabilités des entreprises en matière de droits de l’homme » de C. Lewis (2012), Revue Migrations Forcées no. 41 www.fmreview.org/fr/prevenir/lewis
[3] Cernea M M (2000) « Risks, safeguards and reconstruction: A model for population displacement and resettlement », Economic and Political Weekly, 35(41), 3659-3678.
[4] Société financière internationale (2012) Normes de performance en matière de durabilité
environnementale et sociale http://www.ifc.org/wps/wcm/connect/38fb14804a58c83480548f8969adcc27/PS_French_2012_Full-Document.pdf?MOD=AJPERES