Le développement d’alternatives à la détention est devenu partout dans le monde un contre-courant significatif face à la normalisation de la détention des migrants. Dans les cas où les alternatives ont fonctionné, c’est parce qu’elles se sont appuyées sur l’engagement et la participation des migrants eux-mêmes dans les processus de migration. Cependant, elles n’ont pas fonctionné partout, et les échecs d’États comme le Royaume-Uni (RU) mettent en lumière des enseignements importants.
La Suède tout comme l’Australie ont développé avec succès des alternatives à la détention basées sur la gestion de cas (ou case management) au sein de la communauté[1]. Une seule personne de confiance, parfois appelée référent, assume la responsabilité globale du travail avec un migrant de manière à garantir que tous ses besoins matériels soient couverts : logement, informations sur le processus de migration, conseil juridique. Ce référent fait également l’effort de construire une relation de confiance avec le migrant, et il prend le temps tout au long du processus d’immigration d’explorer toutes les options à long-terme, y compris l’autorisation de rester, le retour assisté et les possibilités que des pays tiers pourraient offrir. De tels programmes ont largement satisfait tout autant les besoins des gouvernements que ceux des migrants, dans la mesure où très peu de migrants se sont enfuis, et que ceux qui ont vu leur autorisation de rester refusée ont décidé d’accepter l’option du retour assisté.
Les origines de ces deux programmes de gestion de cas sont significatives. Ils ont tous deux été introduits en réponse à une crise systémique. En Suède, le changement a suivi un tollé général du public et des médias concernant les conditions de détention vers la fin des années 1990. En Australie, la condamnation internationale de la détention obligatoire et indéfinie d’enfants et d’adultes combinée à des erreurs flagrantes comme des cas répétés d’expulsion de citoyens australiens, ont poussé le gouvernement à introduire des programmes radicalement différents, au sein de la communauté, pour les migrants clandestins se trouvant déjà sur le territoire[2]. Bien évidemment, le traitement en haute-mer dans des conditions déplorables des migrants qui arrivent par bateaux se poursuit et s’est même intensifié avec la réouverture des centres de détention sur les iles de Nauru et Manus. Néanmoins, tant en Australie qu’en Suède, la gestion de cas fait maintenant partie intégrante du système d’immigration.
En Grande-Bretagne, le pays européen qui détient le plus grand nombre de migrants, aucun changement de ce type n’est intervenu. La détention reste un élément prépondérant du processus d’asile, et environ 22 % des demandeurs d’asile sont détenus à une étape ou une autre, pas uniquement à des fins d’éloignement, mais bien tout au long de ces procédures, dans le cadre du controversé dispositif accéléré de détention (Detained Fast Track[3]).
Malgré des incitations financières offertes par le biais de programmes de retours assistés, le RU se voit confronté à des taux exceptionnellement faibles de recours à cette solution : seulement environ 16 % des migrants rejetés organisent leur propre retour (en bénéficiant d’une assistance), comparé à 82 % en Suède[4]. Les différents mécanismes qui permettent de gérer le maintien des migrants au sein de la communauté, notamment le dépôt d’une caution, l’obligation de se présenter, la surveillance électronique et les différents modes d’assignation à résidence, ne semble apporter qu’une faible contribution à l’acceptation du retour assisté.
Il arrive fréquemment qu’il soit impossible de renvoyer dans leur pays de nombreux migrants soumis à une détention à long-terme à cause des difficultés pour leur obtenir des titres de voyage auprès de pays comme l’Iran, l’Algérie ou la Palestine. En conséquence, au Royaume-Uni, 57 % des migrants relâchés après une année ou plus de détention sont remis en liberté plutôt que renvoyés[5]. Une récente étude indépendante a montré que 70 millions de livres sterling étaient gaspillées chaque année à la détention de migrants qui sont finalement libérés[6]. Ce chiffre inclut maintenant d’importantes compensations pour détention illégale, un phénomène encore rare avant 2009. Depuis cette date, les tribunaux ont statué de manière répétée que la détention sans perspective d’expulsion était illégale. La détention à long terme s’est avérée encore plus catastrophique pour les migrants qui souffraient déjà de troubles mentaux ; la Cour suprême a statué par quatre fois depuis 2011, que la détention prolongée de migrants souffrant d’une décompensation psychologique était une infraction à leur droit de ne pas être soumis à un traitement inhumain ou dégradant comme que prévu à l’article 3[7].
Une seule crise a réussi à ébranler l’approche britannique de l’immigration au cours des dernières années, et malheureusement elle n’a pas entraîné beaucoup de progrès concernant l’adoption d’alternatives. Des campagnes constantes contre la détention routinière des enfants et des familles ont forcé le gouvernement à tester de mauvaise grâce deux programmes alternatifs à Millbank en 2007/08 et à Glasgow en 2009/10. Ces deux programmes impliquaient de déplacer des familles dans des hébergements différents où elles seraient préparées au retour. Ni l’un ni l’autre des programmes n’ont réussi à établir un climat de confiance avec les migrants ; ces familles se trouvaient en fin de processus et l’objectif primordial était de les persuader d’accepter leur retour. Néanmoins, en 2010 du fait de pressions politiques continues, le nouveau gouvernement a annoncé qu’il mettrait un terme à la détention des enfants pour des motifs d’immigration.
Le Processus de retour familial (Family Return Process), subséquemment mis en place, réduit la détention des familles de manière conséquente mais sans l’éliminer complètement ; les familles sont retenues pendant de courtes périodes dans des installations que ne ressemblent pas à des centres de détentions calqués sur des prisons. Cependant, alors que les familles rejetées ont maintenant la possibilité de rencontrer des agents de l’immigration (UKBA) pour parler de leurs options et qu’un Comité indépendant examine les options de retour, il n’y a toujours pas de dialogue ou de véritable travail de gestion de cas. Les familles reçoivent davantage d’information et de temps, et la détention prolongée est habituellement évitée, mais sans que les raisons fondamentales qui pourraient expliquer pourquoi elles n’ont pas confiance dans ce processus soient abordées. Ce processus de retour familial constitue tout de même une indication que même le gouvernement britannique peut être convaincu de changer de direction – qu’il est possible d’arriver à ce que la détention soit considérée comme nocive, au moins pour les enfants – ce qui pourrait être une première étape vers un changement culturel plus conséquent sur le traitement des familles, et en dernier ressort des migrants en général.
Le glissement vers l’implication
Pourquoi les alternatives à la détention ont-elles fait si peu de progrès substantiels au Royaume-Uni ? Toutes les alternatives à la détention mises en place jusqu’ici au RU, le dépôt de caution et l’obligation de se présenter de Glasgow comme le Processus de retour familial, n’interviennent qu’en fin de processus : elles ne concernent que des migrants dont le cas a déjà été rejeté. Elles sont uniquement centrées sur le retour ; toutes les autres perspectives de migration ont déjà été éliminées. En conséquence, elles sont toutes les deux la manifestation d’une absence totale de confiance entre les migrants et l’UKBA qu’elles contribuent à perpétuer, une situation dans laquelle les demandeurs d’asile et les migrants clandestins ont l’impression que leurs cas n’ont pas été soigneusement et impartialement examinés. Un point sur lequel les ONG et les conseillers juridiques sont largement d’accord.
Un changement de système est nécessaire au Royaume-Uni pour passer de la coercition à une implication auprès des migrants. C’est ce type de changement que les alternatives à la détention peuvent provoquer et concrétiser. La question est de savoir si un changement de ce type peut survenir sans être précipité par une crise. La crise britannique de la détention des enfants s’est limitée aux enfants, et tout changement qui s’en est suivi jusqu’ici s’est également limité aux enfants. Comment des changements plus généralisés peuvent-ils être initiés sans une réelle volonté de la part du gouvernement de prendre un nouveau départ ?
En 2010, j’ai visité, avec une délégation de l’International Detention Coalition, une unité d’hébergement familial en Belgique[8]. D’un point de vue légal, les familles étaient détenues mais dans les faits elles vivaient relativement normalement dans un immeuble juste en dehors de Bruxelles. Une petite équipe de « coaches » ou agents de soutien au retour (employés par les autorités gouvernementales) travaillaient quotidiennement avec eux dans leurs appartements. Il s’agissait clairement d’un exemple de projet pilote limité, comptant sur un investissement ou un engagement restreint de la part des autorités et dans le cadre d’un contexte généralisé de type coercitif. Les familles se trouvaient en fin de processus et l’objectif du projet était de les persuader de retourner ‘volontairement’ dans leur pays. Nous avons posé des questions aux agents de soutien sur leur travail avec les familles, et ils nous ont dit qu’ils disaient aux familles de rentrer dans leur pays. Mais il est apparu que ce qu’ils faisaient dans la réalité était bien différent. Ils allaient faire les courses avec les familles. Ils discutaient de leurs problèmes, et ils faisaient tout ce qu’ils pouvaient pour les aider. Ils leur trouvaient des avocats, et réussissaient même à faire rouvrir leurs dossiers et, le cas échéant, les aidaient à soumettre des demandes d’autorisation de résidence : des éléments inattendus de gestion de cas. En conséquence, il semblait exister un certain niveau de confiance entre les familles et ces agents de soutien.
La suspension de la détention des familles et ce projet-pilote de logement en unités ouvertes ont précédé un arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme statuant que les conditions de détention en Belgique étaient inadaptées aux enfants. Trois ans plus tard, d’autres unités d’hébergement ont été ouvertes. La Belgique est loin de disposer d’un système de migration se fondant sur une implication auprès des migrants mais les unités de logement sont maintenant bien établies ; elles suscitent un intérêt international considérable et sont également l’objet d’une fierté gouvernementale toute aussi considérable. L’avenir des solutions alternatives repose peut-être sur des projets limités similaires à celui-ci. S’il peut être démontré que ces alternatives fonctionnent tout autant du point de vue du gouvernement que des migrants, les approches basées sur l’implication ont des chances de faire école.
Les enseignements tirés des alternatives à la détention montrent clairement que le soutien, le conseil juridique et le dialogue sont bénéfiques pour les migrants et facilitent la résolution des cas du point de vue des gouvernements. Des initiatives pourraient-elles être développées qui s’appuieraient sur les points forts de ces prestataires de services déjà actifs au sein de la communauté qui aident les migrants à avoir un rôle plus actif et plus éclairé dans les systèmes dans lesquels ils sont impliqués? Après tout, discuter avec les migrants de leurs problèmes et établir un climat de confiance, c’est bien ce que les ONG font au quotidien.
Tel est l’objectif d’un nouveau projet mené aux États-Unis[9] par les organisations Lutheran Immigration and Refugee Service (LIRS) et Presbyterian Disaster Assistance (PDA). Depuis 2012, le LIRS coordonne un réseau de projets communautaires qui apportent aux migrants qui sortent de détention un soutien qui non seulement les aident à couvrir leurs besoins mais aussi à respecter les conditions de leur mise en liberté. L’intention poursuivie est à la fois de réussir à faire libérer des personnes et de réunir des éléments contre le recours à la détention. Les similarités avec le Royaume-Uni – une culture fortement coercitive alliée à une société civile particulièrement active – laisse supposer que ces enseignements pourraient être précieux.
Rétablir la confiance dans les systèmes de migration nécessite un peu plus que quelques projets-pilotes d’ONG. Au Royaume-Uni, la méfiance est bien enracinée. Parallèlement à une meilleure communication, des améliorations au niveau de la prise de décision sont également nécessaires pour garantir que des migrants qui ont des craintes justifiées de persécution ou d’autres motifs sérieux de rester – et dont les circonstances particulières rendent toute perspective de retour inconcevable – ne se voient pas contraints au retour.
Un tel changement de stratégie semble improbable aujourd’hui, mais les priorités qui dictent le contrôle de l’immigration ont évolué rapidement au cours des dernières années, c’est pourquoi il ne faudrait pas considérer la réalité actuelle comme inévitable. Le modèle basé sur le dialogue et l’implication est meilleur, à tous les niveaux, que l’approche actuelle basée sur la détention et la coercition. Il est urgent de réunir davantage de preuves qui le démontrent et d’en persuader les gouvernements.
Jerome Phelps jerome@detentionaction.org.uk est Directeur de Detention Action www.detentionaction.org.uk
[1] IDC, Case management as an alternative to immigration detention: The Australian Experience, 2009 http://tinyurl.com/IDC-Australia2009
[2] Voir l’article de McKay page 25.
[3] UK Border Agency, Asylum Data Tables Immigration Statistics April to June 2012, Vol 4, tableaux 11 et 13 http://tinyurl.com/UKBA-stats-april-june-2012
[4] IDC, op cit, p35
[5] UKBA, op cit, tableau dt.05
[6] Matrix Evidence, An economic analysis of alternatives to long-term detention, janvier 2012. Voir : http://detentionaction.org.uk/timelimit/publications pour celle-ci et d’autres publications.
[8] Voir l’article de Schockaert page 52.
[9] Voir l’article de Bremer et al page 50.