On dénombre actuellement plus de 2,8 millions de personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays (PDI) en Éthiopie, alors qu’on estimait leur nombre à seulement 291 000 en juillet 2012[1]. La sécheresse, les inondations, les tensions ethniques/claniques et les conflits liés aux ressources et aux frontières sont les principales causes de déplacement interne, les conflits représentant 70 % des cas de déplacement. C’est dans l’État régional Somali de l’Éthiopie, qui partage une frontière avec la Somalie au nord, à l’est et au sud, que l’on dénombre le plus grand nombre de PDI en Éthiopie, ces dernières représentants près d’un habitant sur six de la région.
En 2014, reconnaissant que le nombre de PDI ne cessait de croître, le gouvernement de l’État régional Somali a sollicité l’assistance technique de la communauté internationale, avec laquelle il a établi un groupe de travail multipartite pour les solutions durables. Coprésidé par le Bureau de prévention et de préparation aux catastrophes de l’État régional Somali et par l’agence des Nations Unies pour les migrations (OIM), ce groupe de travail a réalisé quelques progrès (dans un environnement politique difficile) pour répondre aux besoins humanitaires et de développement des PDI.
Limitations des politiques nationales
À ce jour, les réponses apportées au déplacement interne en Éthiopie se sont principalement articulées autour de mesures humanitaires vitales. Bien que les réponses humanitaires jouent un rôle indispensable pour apporter un filet de sécurité aux personnes qui en ont désespérément besoin, il est tout aussi crucial de garantir une transition harmonieuse vers l’assistance axée sur le développement. Cependant, l’absence d’un cadre spécifique concret permettant de guider les réponses apportées au déplacement interne en Éthiopie a entravé cette transition. À l’heure actuelle, sa politique la plus pertinente, qui date de 2013, se rapporte à la gestion des risques de catastrophe (GRC) avec un programme stratégique et un cadre d’investissement connexes. Les objectifs de GRC consistent à réduire les risques liés aux catastrophes et à protéger les personnes exposées à de telles circonstances, mais ils ne répondent pas spécifiquement aux besoins d’urgence des PDI, ni à leurs besoins d’assistance au développement. Notamment, bien que le gouvernement d’Éthiopie soit signataire de la Convention de l’Union africaine sur la protection et l’assistance aux personnes déplacées de l’intérieur en Afrique (Convention de Kampala), elle ne l’a pas encore ratifié et préfère affirmer que ses cadres juridiques et politiques nationaux fournissent des directives suffisantes pour répondre au déplacement interne.
Comme les catastrophes naturelles et les désastres anthropiques forment un schéma récurrent en Éthiopie, les bailleurs ont tendance à reporter rapidement leur attention d’une crise à une autre. De plus, la tendance du gouvernement à attribuer toutes les crises à des catastrophes naturelles, une approche qui est moins susceptible d’endommager la réputation du pays en matière de progrès développementaux, n’a aucunement contribué à créer une dynamique de réforme. En conséquence, les vulnérabilités, les pertes et les expériences traumatisantes spécifiques des PDI sont rapidement oubliées, de même que les problèmes systémiques et structurels et les impacts à plus long terme sur les communautés d’accueil et les environnements.
Toutefois, quelques avancées positives ont été réalisées. Incitée, du moins en partie, par l’ampleur des déplacements attribués à des catastrophes récurrentes et par l’engagement d’un plus vaste éventail d’acteurs humanitaires et du développement, l’Éthiopie a introduit de nouveaux mécanismes institutionnels pour contribuer à répondre aux besoins immédiats et à plus long terme des PDI en matière d’assistance humanitaire et au développement. Parmi ces initiatives, on peut citer le Groupe consultatif pour les PDI, composé du coordinateur résident/humanitaire de l’ONU, du Bureau des Nations Unies pour la coordination des affaires humanitaires, de l’OIM, de l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), du Comité international de la Croix-Rouge et du Conseil danois pour les réfugiés) et un Comité directeur national (sous la direction du premier ministre adjoint) pour soutenir plus d’un million de personnes déplacées suite au conflit frontalier entre les États régionaux de Somali et d’Oromia. De plus, le gouvernement éthiopien met en œuvre, avec l’appui de la communauté internationale, l’approche de la Nouvelle façon de travailler (« New Way of Working ») issue du Sommet humanitaire mondial. Celle-ci se définit comme une approche « travaillant sur plusieurs années, basée sur l’avantage comparatif d’un vaste éventail d’acteurs, y compris d’acteurs extérieurs au système de l’ONU, vers des résultats collectifs »[2].
Une nouvelle approche régionale
En octobre 2017, l’État régional éthiopien de Somali a élaboré et approuvé une stratégie régionale en faveur de solutions durables, la première de ce type dans cet État, mais aussi en Éthiopie[3]. Cette stratégie adopte la définition de PDI telle que proposée par les Principes directeurs relatifs au déplacement de personnes à l’intérieur de leur propre pays, tout en reconnaissant les défis spécifiques de l’adoption d’une telle définition dans le contexte éthiopien, en particulier en ce qui concerne les populations pastorales.
Lancée par le Groupe de travail sur les solutions durables (GTSD), cette stratégie est alignée sur les principes et les cadres internationaux, y compris les Principes directeurs, le Cadre conceptuel sur les solutions durables pour les PDI du Comité permanent interorganisations et la Convention de Kampala, ainsi que les instruments nationaux compétents. Bien que sa portée soit uniquement régionale, il s’agit du premier cadre développé et approuvé en Éthiopie qui cible spécifiquement le déplacement interne. Il a éveillé l’intérêt d’autres régions éthiopiennes (dont Afar, Gambella et Oromia) à épouser une approche globale de la réponse au déplacement interne, ce qui a attiré à son tour l’attention des responsables au niveau national. La première consultation nationale réalisée en Éthiopie, fin 2017, a permis de faire les premiers pas vers l’élaboration d’une politique nationale relative aux PDI tandis que, pour la première fois, le processus national de planification humanitaire a pris en compte les besoins de relèvement des PDI.
En dépit des quelques progrès réalisés, il reste toujours des tâches urgentes à accomplir. L’une des difficultés est de convaincre tous les acteurs de participer à la mise en œuvre de la stratégie, dans la mesure où elle nécessite les efforts concertés de l’ensemble des parties prenantes et l’implication de l’ensemble des secteurs, sous l’égide du gouvernement. Qui plus est, il faudra prêter une plus grande attention à la réalité des exécutants régionaux, avec leurs ressources limitées et leurs capacités techniques insuffisantes. Pour résoudre cette première difficulté, il faudra peut-être que les organisations participant au GTSD développent une stratégie collective. À propos de la deuxième difficulté liée aux capacités, l’OIM a procédé au renforcement des capacités relatives aux solutions durables (par exemple, par des séances de formation de deux jours auxquelles un total de 73 fonctionnaires régionaux travaillant dans le secteur de la justice, de la microfinance, de la santé, etc. ont participé fin 2017) à Gambella, dans l’État régional de Somali et à Afar, sur des sujets tels que le relèvement rapide et les divers cadres internationaux, africains et éthiopiens relatifs au déplacement interne.
Plus fondamentalement, on observe toutefois un manque d’analyses longitudinales, multidimensionnelles et transversales pour éclairer l’élaboration des politiques. C’est pourquoi les fonctions du système existant de gestion des informations relatives au déplacement interne, tel que la matrice de suivi du déplacement (DTM) de l’OIM, devraient être élargies pour ne plus se limiter à la collecte de données visant à guider la planification et la coordination des réponses humanitaires à court terme, mais aussi pour produire (par le monde universitaire et/ou plusieurs agences en collaboration) un ensemble de données probantes pouvant favoriser les futures décisions politiques et les progrès pour parvenir à des solutions.
Il y a quelques années, les données relatives aux PDI étaient généralement inexistantes (reflétant les sensibilités des gouvernements à ce sujet). La collecte de données et la cartographie du déplacement systématiques par l’OIM a commencé au niveau administratif le plus bas mais, au fur et à mesure qu’un nombre croissant d’acteurs souhaitaient utiliser ces données pour éclairer leur planification, le système de gestion des informations a été progressivement élargi pour couvrir l’ensemble du pays. Aujourd’hui, tous les chefs de cluster en Éthiopie se reposent sur la matrice pour leur planification sectorielle, un outil qui a obtenu l’aval des autorités fédérales en 2017.
Il est aussi primordial d’ouvrir un dialogue stratégique pour désensibiliser et dépolitiser les discussions et les processus qui entourent le déplacement interne. Il est significatif que l’évolution favorable de l’engagement au niveau national vis à vis du déplacement interne en général, et des solutions durables en particulier, soit issue de travaux réalisés au niveau régional dans des États régionaux tels que le Somali et Gambella, où des déplacements à la fois massifs et récurrents avaient eu lieu. La participation des autorités régionales à la fourniture de l’assistance et aux discussions sur les besoins des PDI ont progressivement ouvert la voie à la participation du gouvernement fédéral lui-même, initialement dans le cadre de la réponse humanitaire au déplacement interne et, aujourd’hui, dans la quête de solutions durables.
Behigu Habte bhabte@iom.int Responsable de programmes d’urgence et d’après-crise
Yun Jin Kweon ykweon@iom.int Responsable de la consolidation de la paix
Agence des Nations Unies pour les migrations (OIM) www.iom.int
[1] Selon la Matrice de suivi du déplacement (DTM) de l’OIM. Cette augmentation du nombre de PDI est due en partie à l’amélioration des méthodologies de collecte de données, à une couverture plus complète et à un plus vaste éventail d’acteurs ayant accès aux PDI dans des zones précédemment difficiles à atteindre. Il convient toutefois de noter que les statistiques relatives aux PDI demeurent contestées en Éthiopie.
https://displacement.iom.int/node/3929; https://displacement.iom.int/node/4012
[2] www.agendaforhumanity.org/initiatives/5358
[3]www.humanitarianresponse.info/sites/www.humanitarianresponse.info/files/documents/files/171117_final-durable_solutions_strategy_for_somali_region_2017-2020.pdf