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Améliorer les données relatives aux PDI pour faciliter la mise en œuvre des Principes directeurs

Au vu du nombre croissant de personnes déplacées de l’intérieur dans le monde et de l’intérêt grandissant pour des politiques et des programmes « fondés sur des données », il semble particulièrement opportun de se demander, à l’occasion de l’année du 20e anniversaire des Principes directeurs relatifs au déplacement de personnes à l’intérieur de leur propre pays, si ces efforts intègrent véritablement ces Principes. Les expériences du personnel du Service conjoint pour le profilage des déplacés internes (Joint IDP Profiling Service, JIPS) mettent en lumière l’existence d’écarts importants entre les données actuellement disponibles et les principaux préceptes des Principes directeurs. L’analyse de ces écarts permet de formuler des recommandations pour améliorer la base de données relatives au déplacement interne, ce qui contribuerait à éclairer la mise en œuvre des Principes directeurs et à en améliorer l’efficacité.

Contextualiser la définition des PDI

La définition des personnes déplacées de l’intérieur, telle que présentée dans les Principes directeurs, est large et englobe aussi bien les causes naturelles de déplacement que les causes d’origine humaine. Toutefois, il n’existe aucun système de données systématique, complet et faisant autorité qui reflète cette définition. Les méthodologies qui sont actuellement utilisées s’appuient sur une définition relativement réduite en conséquence des réalités opérationnelles et politiques, si bien qu’il sera parfois nécessaire de prendre une série de décisions techniques pour produire des données contextualisées, utiles et adaptées aux objectifs visés[1].

Les difficultés opérationnelles peuvent limiter la portée de la collecte de données au détriment de leur qualité. L’accès limité à certaines zones géographiques se répercute sur la couverture des données, par exemple lorsque des risques sécuritaires empêchent de pénétrer dans des installations informelles. Les considérations politiques entrent également en jeu, comme lorsque les définitions du déplacement interne s’éloignent de celle des Principes directeurs. Par exemple, la définition utilisée pour le recensement de 2014 de la Côte d’Ivoire se limitait aux déplacements provoqués par des conflits armés récents, et excluait donc les personnes déplacées à d’autres moments, et pour d’autres raisons.

Même lorsque les limitations opérationnelles et politiques sont adéquatement atténuées, les décisions techniques liées à la conception méthodologique peuvent retreindre davantage la définition en définissant des paramètres de collecte de données, par exemple en choisissant une période spécifique, ou en s’attachant seulement à certaines causes de déplacement, ou certaines zones géographiques. Il est possible que ces décisions soient parfois tout à fait justifiées lorsque l’objectif est de permettre de mieux relier la collecte des données à des usages particuliers, mais elles peuvent entraver tout de même la capacité à dresser un tableau complet du déplacement, en omettant potentiellement certains groupes vulnérables.

En plus des difficultés liées à l’identification des PDI, il n’existe aucune pratique normalisée pour établir la fin du déplacement sur la base des données, en dépit de l’acceptation généralisée de la définition conceptuelle donnée dans le Cadre sur les solutions durables pour les PDI du Comité permanent interorganisations (IASC)[2]. La décision prise par certains acteurs de cesser de suivre certains cas se base souvent sur des critères excessivement simplifiés et fréquemment influencés par les politiques (tels que le retour physique) pour déterminer qu’une solution durable a été trouvée, même si les défis liés au déplacement demeurent. Par ailleurs, le recours à de tels critères est incohérent par rapport aux Principes directeurs. D’un autre côté, les PDI peuvent rester indéfiniment dans les données car il n’existe aucuns critères précis pour évaluer les solutions, une question qui présente certaines difficultés, mais que certains acteurs voient d’un bon œil car elle évite le risque que les PDI soient retirées des données de manière prématurée et arbitraire.

Appliquer le principe de non-discrimination

Si l’on ne comprend pas la position des PDI vis-à-vis des communautés non déplacées parmi lesquelles elles vivent, cela peut limiter la compréhension et l’application du principe de non-discrimination prévu par les Principes directeurs. Il en résulte souvent une assistance qui donne priorité aux PDI tout en négligeant les besoins des autres, ou qui est incapable de tenir compte des difficultés particulières que les PDI rencontrent encore. Il est possible d’éviter ces situations en adoptant une approche comparative entre les groupes de population et en employant des méthodes qualitatives spécialement conçues pour identifier les preuves de discrimination[3].

Par exemple, le profilage urbain entrepris à Mogadiscio a révélé que tous les groupes de population établis dans des installations informelles et non planifiées vivaient dans la pauvreté ; toutefois, la population de PDI se heurtait à des problèmes spécifiques qui expliquaient des conditions de vie comparativement plus difficiles et les exposaient à un plus grand risque d’expulsion. Ces résultats ont permis d’identifier les réponses qui devaient porter une attention spécifique aux PDI et celles qui devaient cibler les pauvres en milieu urbain dans leur globalité.

Éclairer les solutions durables

Les Principes directeurs insistent sur le droit des PDI à pouvoir choisir de manière éclairée et volontaire leur installation future (qu’il s’agisse de retourner sur leur lieu de résidence habituel ou de s’installer ailleurs) ; ils soulignent également la responsabilité des autorités nationales à créer un environnement dans lequel les PDI peuvent surmonter les difficultés liées au déplacement. Toutefois, pour comprendre comment faciliter la concrétisation de ces principes, nous avons besoin de données ventilées concernant les préférences des PDI, leurs compétences, leurs capacités et leurs vulnérabilités, que nous devons associer à une vue d’ensemble du contexte social, économique, environnemental et politique plus général.

Cette contextualisation permet de coordonner des actions mieux éclairées et plus cohérentes entre les interventions humanitaires et de développement. Cela est particulièrement vrai pour les zones urbaines, où réside la grande majorité des personnes déplacées, et où celles-ci sont confrontées à un certain nombre de systèmes complexes, dont les services, les infrastructures et un mélange de structures de gouvernance informelles et formelles[4]. Pour avoir un effet durable, l’élaboration de politiques et de programmes doit compléter et soutenir les structures existantes et renforcer la cohésion sociale. Dans les situations où les PDI résident à proximité des zones urbaines, comme à El Fasher, au Soudan, il est indispensable de prendre en considération les besoins de planification urbaine si l’on veut favoriser l’intégration locale durable. Quant à l’assistance au retour, pour être elle aussi durable, il est important de comprendre dans quelle mesure les zones de retour garantissent la sécurité physique, l’accès à des services de base et une coexistence pacifique avec les résidents actuels[5].

Participation des PDI à l’élaboration des solutions

Selon les Principes directeurs, la pleine participation des PDI à la planification et à la gestion des solutions doit être garantie. Cela signifie que les PDI devraient être impliquées dans la conception et la mise en œuvre des processus qui produisent des données sur leur situation, et qu’elles devraient avoir accès à ces données pour éclairer leurs propres décisions. En réalité, cela se produit rarement, et tandis que la question du partage des données est abordée par les organisations qui fournissent une assistance, elles abordent bien peu la question du partage des données et/ou des conclusions avec les sujets eux-mêmes. De plus, les besoins informationnels que les PDI pourraient identifier pour prendre leurs propres décisions ont rarement priorité sur les données requises pour fournir l’assistance et pour les autres types de planification opérationnelle.

En Colombie, les nombreuses données collectées sur la population déplacée servent de fondement à la réponse programmatique du gouvernement. Bien que cette analyse se soit traduite par des actions utiles pour de nombreuses PDI, des consultations auprès des communautés ont révélé que certains groupes de population, par exemple les communautés autochtones, ne perçoivent pas leur propre situation et leurs besoins prioritaires de la même manière que la majorité de la population des PDI. Des travaux sont en cours pour améliorer cette approche et garantir une approche analytique plus consultative.

Plus généralement, bien que des efforts soient déployés pour renforcer l’engagement des PDI dans les processus de collecte de données[6], des efforts plus audacieux sont nécessaires pour garantir l’engagement complet et véritable des communautés touchées, y compris en tant qu’utilisateurs importants des données.

Les autorités nationales comme premières responsables

Même si dans de nombreux contextes, les autorités nationales participent en effet à la collecte des données sur le déplacement interne, elles ne dirigent elles-mêmes véritablement ces efforts que dans quelques cas seulement. Il est encore plus rare que les systèmes de données soient reliés aux systèmes nationaux de statistique et, par conséquent, qu’ils soient incorporés efficacement aux processus nationaux de planification et d’élaboration de politiques.

La Colombie offre un bon exemple d’institution publique (son Service d’assistance et d’indemnisation des victimes) disposant du mandat et de suffisamment de ressources pour diriger le processus de collecte de données sur les PDI en vue d’éclairer les actions nationales. Les autorités fédérales de Somalie ont également fait preuve de leadership en développant leurs propres systèmes de collecte de données avec l’appui de partenaires internationaux, dans l’objectif d’intégrer les PDI aux processus de planification nationale et urbaine, et aux processus de mise en œuvre et de production de rapports dans le cadre des Objectifs de développement durable.

Dans de nombreux contextes, les données relatives aux PDI les plus facilement disponibles sont produites par les partenaires internationaux qui fournissent l’assistance humanitaire. Bien que cela s’avère utile là où les autorités nationales n’ont pas la volonté ou la capacité d’entreprendre efficacement ce travail, le manque de leadership de la part des autorités ou de participation véritable en matière de production de données peut se traduire par une absence de cohésion entre les données et la prise de décisions au niveau national. Cette situation peut se révéler particulièrement dommageable dans les crises de déplacement prolongées pour lesquelles les interventions en faveur du développement et la planification sont cruciales.

Pour combler cette lacune, il est indispensable de multiplier les investissements dans les stratégies de renforcement des capacités. Ces stratégies devraient veiller à ce que les parties prenantes concernées, principalement les autorités publiques et les agences de statistique aux niveaux local, régional et national, puissent progressivement assumer un rôle de leadership en matière de conception et de mise en œuvre des processus de collecte de données. Pour porter ses fruits, cette approche doit investir dans des partenariats de plus longue durée qui donnent priorité à des relations basées sur la confiance, l’échange et le dialogue, ainsi qu’à un engagement institutionnel et politique clair et sans faille[7].

En s’attaquant aux questions relatives à chacun de ces aspects, à savoir le contexte, la non-discrimination, les solutions durables, la participation des PDI et les responsabilités des autorités nationales, nous pouvons créer des liens plus solides entre les cadres normatifs et les données sur lesquelles notre travail devrait se baser, contribuant ainsi collectivement à améliorer l’application des Principes directeurs à partir de données concrètes.

 

Natalia Krynsky Baal coordinator@jips.org
Coordinatrice

Laura Kivelä kivela@jips.org
Coordinatrice adjointe

Melissa Weihmayer weihmayer@jips.org
Responsable de la gestion des informations

Joint IDP Profiling Service www.jips.org

 

Améliorer les statistiques sur le déplacement interne

Le Groupe d’experts sur les statistiques relatives aux réfugiés et aux PDI (EGRIS) a élaboré un rapport technique sur les statistiques relatives aux PDI qui souligne, en se basant sur les pratiques actuelles, les considérations en matière de définition, de méthodologie et d’opération, pour la production de statistiques officielles sur les PDI. Après avoir reçu l’appui de la Commission des statistiques de l’ONU en 2018, ce groupe a été chargé de mener à bien une deuxième phase de travail qui visera à définir des recommandations internationales sur les statistiques relatives aux PDI, répondant par là-même à de nombreux défis décrits dans le présent article, dont un cadre statistique complet pour le déplacement interne, accompagné de directives pour sa mise en œuvre pratique.

https://ec.europa.eu/eurostat/web/expert-group-on-refugee-statistics

 

[1] Voir également Chemaly W S, Baal N K et Jacobsen K (2016) Forced Displacement Go Figure: Shaking the Box of IDP Profiling www.jips.org/system/cms/attachments/1174/original_2016-08_Forced_Displacement_WEB.pdf et Baal N et Ronkainen L (2017) Obtaining representative data on IDPs: challenges and recommendations Collection technique de l’UNHCR : 2017/1 www.unhcr.org/598088104.pdf.

[2] Voir Beyani C, Baal N K et Caterina M (2016) « Défis conceptuels et solutions pratiques dans les situations de déplacement interne » Revue Migrations Forcées, numéro 52 www.fmreview.org/fr/solutions/beyani-baal-caterina  

[3] La boîte à outils essentielle du JIPS offre une série d’outils et de guides méthodologiques facilement accessibles pour conduire un exercice de profilage de bout en bout. https://jet.jips.org/

[4] Voir également la charte de Global Alliance for Urban Crises http://urbancrises.org/sites/default/files/2017-10/GAUC%20Charter%20EN.pdf

[5] Un récent processus interorganisations dirigé par le Rapporteur spécial sur les droits de l’homme des PDI a abouti à la création de la bibliothèque des indicateurs de solutions durables et du guide d’analyse, qui fournissent des outils pour analyser les solutions durables en se basant sur le cadre de solutions durables pour les PDI de l’IASC.

https://inform-durablesolutions-idp.org/

[6] Par exemple, la révolution de la participation dirigée par le Goupe de travail de l’IASC sur la responsabilité envers les populations touchées.

[7] Voir Making Data Useful: How to improve the evidence-base for joint responses to forced displacement?, Rapport de conférence du JIPS www.jips.org/en/news/latest-news/jips-conference-2017-report-and-video

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