Skip to content
L’application du Cadre du CPI en Somalie et au Soudan

La présente contribution analyse la capacité du Cadre de solutions durables pour les personnes déplacées de l’intérieur du Comité permanent interorganisations[1] (ci-après, le « Cadre du CPI ») à servir de boussole pour avancer vers des solutions durables dans les contextes où le déplacement est lié à la discrimination, aux déséquilibres de pouvoir et aux possibilités inégales d’exercer ses droits. Le Cadre formule plusieurs principes clés, définit les critères permettant de mesurer les solutions durables et donne priorité à l’établissement d’un dialogue avec les communautés touchées par le déplacement et des partenariats multipartites entre les gouvernments et les acteurs de l’humanitaire, de la paix, des droits humains et du développement.

Depuis son lancement en 2010, le Cadre du CPI est devenu une référence qui fait autorité en matière de solutions durables. Au niveau national, de nombreuses lois et politiques reprennent ses composantes, comme c’est le cas au Niger, en Afghanistan, au Kenya, au Sri Lanka, en Somalie et au Soudan du Sud. Au niveau mondial, les critères du Cadre ont été opérationnalisés dans la bibliothèque interorganisations d’indicateurs de solutions durables[2] en 2018 puis, en 2020, la Commission de statistique de l’ONU a approuvé les recommandations internationales sur les statistiques relatives aux PDI[3] (IRIS), qui définissent des approches pour évaluer les solutions durables en se basant sur le Cadre du CPI. Enfin, au niveau régional, plusieurs approches contextualisées ont été développées telles que le Cadre ReDSS[4] en Afrique de l’Est et dans la corne de l’Afrique.

Pour marquer le 10e anniversaire du lancement du Cadre du CPI, cet article fait le bilan des enseignements tirés de l’application de ses dispositions en Somalie et au Soudan, deux pays qui se concentrent depuis de nombreuses années sur la quête de solutions durables. Les sections suivantes décrivent la mise en application des critères et des principes du Cadre dans ces deux pays. Les réflexions finales à propos de l’application du Cadre du CPI mettent en lumière a) le besoin de forger des partenariats pour garantir des approches à la fois ascendantes et descendantes ; b) l’importance suprême de la nature volontaire et non discriminatoire des solutions ; et, enfin, c) le besoin de continuer à partager les capacités et de poursuivre les engagements vis-à-vis des principes et des définitions afin de renforcer la cohérence des interventions et des actions collectives.

Étude de cas : la Somalie

Mettre fin aux déplacements grâce à des partenariats avec les acteurs de l’humanitaire, du développement et de la paix est une priorité du gouvernement fédéral de Somalie et de la communauté internationale depuis 2016.[5] Au début, le Cadre du CPI a guidé le déploiement des exercices de profilage à Mogadiscio et à Hargeisa, lesquels ont permis de créer une base de données pour hiérarchiser les solutions durables dans le huitième Plan national de développement. Par la suite, ReDSS et des consortiums d’ONG ont utilisé un ensemble d’indicateurs de solutions durables, tirés directement de la bibliothèque interorganisations d’indicateurs de solutions durables et du Cadre ReDSS, afin de mettre en œuvre trois projets de solutions durables. Ces projets visaient à produire des données concrètes qui permettraient d’éclairer la planification locale et la réintégration des PDI et des réfugiés à Mogadishu, Kismayo et Baidoa.

La mise en application du Cadre du CPI dans ces localités a fait ressortir l’importance de la cohésion sociale et de la non-discrimination en tant qu’éléments indispensables au succès des interventions de solutions durables. Néanmoins, il est nécessaire de compléter l’analyse ascendante réalisée sur le terrain par une approche descendante visant à mesurer les progrès des solutions durables, en particulier pour éviter une approche « par projet » de ces solutions. L’utilisation du Cadre du CPI et de ses définitions, de ses principes et de ses indicateurs basés sur des critères a permis d’éclairer les documents stratégiques du gouvernement, et cette approche a abouti à l’inclusion des dispositions du Cadre dans les politiques nationales de Somalie, ce qui a marqué un tournant important.

La Stratégie nationale de Somalie pour des solutions durables, qui devrait prochainement voir le jour, devrait étendre l’application des dispositions du Cadre du CPI à l’ensemble du pays, renforçant ainsi ses liens avec l’État de droit, la stabilisation, la justice, la sécurité et le développement économique. Cette prise en compte plus systématique du Cadre du CPI est le résultat de quatre années d’engagement, d’une évolution progressive vers des processus dirigés par les pouvoirs publics tant au niveau local que national, et de l’élargissement du renforcement des capacités pour inclure les partenaires internationaux, les autorités et la société civile.

Étude de cas : le Soudan

Trouver des solutions durables face au déplacement interne au Soudan est l’une des dix priorités du gouvernement de transition. Entre 2017 et 2019, le gouvernement et la communauté internationale ont entrepris des efforts conjoints pour soutenir les solutions durables à El Fasher (dans le Darfour du Nord) et à Um Dukhun (dans le Darfour-Central) afin d’opérer une transition entre l’assistance humanitaire et des programmes de plus longue durée visant les populations déplacées de l’intérieur et les communautés d’accueil. Deux projets ont ainsi été mis en place, adoptant une approche locale des solutions durables et un processus en cinq étapes qui donne priorité à la collecte de données exhaustives ainsi qu’aux consultations et à la planification conjointe avec les communautés touchées par le déplacement, pour jeter les bases des programmes de solutions durables. Le Cadre du CPI a éclairé l’analyse, la méthodologie et la conception des programmes conjoints.

Au niveau local, dans le cadre du pilote rural conduit à Um Dukhun, des plans d’action locaux ont été élaborés pour surmonter les obstacles aux solutions durables. Ces plans étaient basés sur des consultations avec les communautés touchées par le déplacement et conduits avec l’adhésion des parties prenantes concernées, dont les autorités locales. Le pilote urbain d’El Fasher[6] était un exercice de profilage multisectoriel et collaboratif entrepris conjointement par le gouvernement, la Banque mondiale, l’ONU, des bailleurs et des ONGI (représentées par le biais du Groupe de travail sur les solutions durables) et des PDI résidant dans les camps d’Abu Shouk et d’El Salam. Pour la première fois, les acteurs de l’humanitaire et du développement ont travaillé avec les autorités locales en vue de produire des données de grande qualité, associant une analyse socio-économique de la situation des PDI et de leurs voisins à une analyse des besoins plus généraux en matière de planification urbaine.

Dans ces deux cas, comme en Somalie, il était évident que l’analyse et la planification locales et ascendantes devaient être complétées par une stratégie nationale descendante pour s’assurer que toutes les parties prenantes s’accordent sur les concepts, les principes et les critères relatifs aux solutions durables. Suite aux enseignements tirés des pilotes au Darfour, des efforts sont aujourd’hui en cours dans sept États du Soudan en appui à la planification de solutions durables. Cette approche veillera à ce que les acteurs présents dans le pays et les autorités disposent de résultats pouvant être comparés et analysés conjointement afin de concevoir des politiques favorisant les solutions durables.

Difficultés rencontrées et enseignements

Dix ans après sa publication, le Cadre du CPI est bien connu des organisations travaillant sur les solutions durables, à qui il fournit des bases solides. Cependant, il y a plusieurs difficultés à surmonter et enseignements à tirer lors de la mise en application de ce Cadre.

Une évaluation externe[7] de l’analyse de profilage entreprise à El Fasher a révélé que les parties prenantes ne comprenaient pas toutes de la même manière la définition internationalement approuvée de « solutions durables ». En revanche, en Somalie, des efforts avaient été déployés pour contextualiser les définitions et les principes du CPI et pour les approuver avec le gouvernement, ce qui a permis d’étayer efficacement les activités axées sur les solutions décrites précédemment. Les activités déployées au niveau des installations ont également mis en lumière à quel point il était important d’intégrer les compréhensions locales de ces principes. Il est donc indispensable qu’il y ait une compréhension commune des définitions et des principes dès le début des processus de solutions durables afin de d’atténuer le risque d’attentes divergentes et de favoriser la coordination. 

Souvent, les acteurs se concentrent sur les solutions géographiques décrites dans le Cadre du CPI (rapatriement, intégration locale et réinstallation) plutôt que sur les principes de non-discrimination et la nature volontaire de l’adoption des solutions durables, comme le décrit le Cadre, si bien qu’ils négligent souvent le fait que la mise en place de solutions durables est généralement un processus long et compliqué qui va au-delà de la simple installation physique. Comme le précise le Cadre : « Une solution durable est mise en place lorsque des personnes qui ont été déplacées à l’intérieur de leur propre pays n’ont plus besoin d’aide, ni de protection spécifiques et liées à leur déplacement, et que ces personnes jouissent des droits de l’homme sans connaître de discrimination en raison de leur déplacement. » Il est pourtant primordial de donner priorité à la nature non discriminatoire et volontaire des solutions et de mesurer l’intégration locale (que ce soit là où les personnes sont arrivées après avoir été déplacées, ou là où elles sont retournées) comme un processus permettant, à terme, de surmonter les vulnérabilités liées au déplacement.

En Somalie comme au Soudan, il s’est avéré important d’adopter une approche mixte, à la fois ascendante et descendante. En principe, les solutions durables doivent être abordées sur le plan conceptuel et sur le plan opérationnel, tant au niveau national que local, ainsi que dans les statistiques officielles et les données opérationnelles, afin de garantir leur interopérabilité et une plus grande efficacité. Ce processus repose sur des dynamiques gouvernementales complexes, dans le cadre desquelles les actions nationales et locales n’interviennent pas toujours simultanément, ces actions devant suivre un ordre chronologique. Pour que ces efforts aboutissent, la solution repose dans l’harmonisation des définitions et des indicateurs, et, en ce sens, IRIS apporte une contribution très importante.

Au Soudan comme en Somalie, la mesure des progrès vers la mise en place de solutions était basée sur la comparaison de la situation de la population déplacée avec celle de la population non déplacée (plutôt que par rapport à des normes minimales). Cette approche a démontré qu’elle constituait une base solide pour mesurer les solutions, et elle a également servi de modèle aux approches locales observées dans les deux études de cas. Grâce à ces deux approches, il a été possible d’observer que la cohésion sociale, qui n’est pas un critère du Cadre du CPI, était un facteur clé supplémentaire du processus d’intégration locale, en plus des huit critères décrits dans le Cadre – et un critère qu’il convient donc d’inclure dans les analyses et dans les interventions.

 

GTSD Somalie Teresa.delministro@one.un.org

GTSD Soudan elmikh@unhcr.org

Margharita Lundkvist-Houndoumadi lundkvist@jips.org 
Conseillère senior en profilage, JIPS www.jips.org

Jasmine Ketabchi ketabchi@unhcr.org 
Fonctionnaire chargée de la recherche de solutions durables, HCR www.unhcr.org

 

[1] https://interagencystandingcommittee.org/other/iasc-framework-durable-solutions-internally-displaced-persons

[2] http://inform-durablesolutions-idp.org/indicators/ 

[3] https://unstats.un.org/unsd/statcom/51st-session/documents/BG-item-3n-international-recommendations-on-IDP-statistics-E.pdf

[4] Regional Durable Solutions Secretariat https://regionaldss.org/

[5] Cette priorité était au cœur de l’Initiative pour des solutions durables, qui était soutenue par des acteurs clés tels que la Direction suisse du développement et de la coopération.

[6] UNCT, Gouvernement du Soudan, JIPS, Banque mondiale (2019) Progress towards Durable Solutions in Abou Shouk and El Salam IDP camps, North Darfur Sudan http://dswgsudan.org/en/2019-progress-towards-durable-solutions-abushouk-elsalam-idp-camps/#section=0&page=0&subpage=0

[7] Jacobsen K and Mason T B (2020) Measuring Progress Towards Solutions in Darfur

https://inform-durablesolutions-idp.org/wp-content/uploads/2020/08/Progress-Durable-Solutions-IDPs-Evaluation-Sudan-June2020.pdf

DONATESUBSCRIBE