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Prévenir les déplacements liés aux catastrophes et s’y préparer

En 2019, les catastrophes ont été à l’origine de trois fois plus de déplacements internes que les conflits et la violence. Selon les estimations de l’Observatoire des situations de déplacement interne (Internal Displacement Monitoring Centre, IDMC), 24,9 millions de nouveaux déplacements ont été provoqués par des catastrophes, la plupart par des événements climatiques tels que les cyclones, les tempêtes et la mousson. À titre de comparaison, les conflits et la violence ont entraîné 8,5 millions de nouveaux déplacements.[1]

Les catastrophes, ou la simple menace d’une catastrophe, peuvent provoquer différents types de déplacement : une évacuation préventive ou réinstallation planifiée loin des zones à risque élevé ; une fuite des habitants exposés à un risque de catastrophe mortelle à déclenchement rapide ; ou un déplacement progressif des populations loin des zones frappées par des catastrophes à déclenchement lent (telles que la sécheresse ou l’érosion côtière) en raison de la perte de leurs moyens d’existence, de l’accès réduit aux denrées alimentaires et de l’augmentation de la pauvreté. Qui plus est, le changement climatique exacerbe le risque de déplacement lié aux catastrophes. En 2018, on estimait que 108 millions de personnes avaient eu besoin du système humanitaire international pour obtenir une assistance vitale face à des inondations, des tempêtes, des sécheresses et des incendies, un chiffre qui pourrait doubler d’ici 2050.[2]

Les conséquences humanitaires du déplacement sont dévastatrices. Les personnes les plus pauvres au monde sont celles qui en souffrent le plus, et qui continueront d’en souffrir le plus : celles qui, le plus souvent, vivent dans des zones sujettes aux catastrophes et qui ne sont pas suffisamment résilientes pour s’en protéger.[3] Plusieurs événements organisés à l’initiative du PD20 entre 2018 et 2020 ont mis en lumière des exemples de mesures de prévention ou d’atténuation du déplacement lié aux catastrophes.[4] Ces exemples ont démontré qu’il était possible de prévenir et d’atténuer les conditions favorisant les déplacements en cas de catastrophe grâce à la collecte de données fiables, à une intervention humanitaire précoce, à des approches politiques intégrées et à l’engagement des communautés exposées au risque du déplacement. Ces exemples introduisent certains des thèmes principaux et des approches essentielles pour prévenir et réduire les déplacements liés aux catastrophes, et méritent d’être partagés.

Prévention et préparation

Alors que l’attention s’est surtout portée sur la quête de solutions durables face aux déplacements internes, il serait de toute évidence encore mieux de prévenir et de corriger les conditions qui provoquent les déplacements liés aux catastrophes. C’est l’une des raisons pour lesquelles l’action humanitaire par anticipation, telle que le financement basé sur les prévisions (forecast-based financing, FbF), suscite un intérêt croissant depuis quelques années. Ce type de financement permet de libérer automatiquement des fonds pré-approuvés pour des actions humanitaires elles aussi pré-approuvées, une fois qu’un seuil spécifique est atteint. Basé sur des prévisions scientifiques et une analyse des risques, il permet d’améliorer la préparation aux catastrophes, de réduire l’impact des risques et de contribuer à la prévention ou à la réduction des déplacements.

Un bon exemple de FbF est la réponse apportée par la Fédération internationale des sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge (FICR)[5] au dzud, un phénomène climatique caractérisé par une sécheresse intense suivie d’un froid extrême, devenu plus fréquent en Mongolie ces dernières années. Près de la moitié du pays est exposée à ce risque, en particulier les communautés pastorales et leurs troupeaux. Afin de soutenir les bergers avant qu’ils ne perdent leur bétail et qu’ils ne puissent se sentir alors forcés d’émigrer vers la ville et/ou des installations informelles, une carte des risques liés au dzud a été élaborée, incluant 14 indicateurs basés sur les prévisions météorologiques. Une fois que ces indicateurs atteignent le point de déclenchement, les financements sont automatiquement affectés. En 2020, environ 4 050 personnes issues de 1 000 ménages de bergers vulnérables ont reçu des transferts monétaires sans condition et des trousses de soins pour animaux. Cette approche a permis de réduire la mortalité animale et donc de préserver la seule source d’alimentation et de revenus de ces bergers.

Bien qu’il ne soit pas toujours possible de prévenir les déplacements puisque les catastrophes naturelles demeurent largement imprévisibles, le cas du dzud montre que cela est tout de même faisable dans certaines circonstances.

L’importance des données

La prévention des déplacements liés aux catastrophes n’est pas une tâche facile dans la mesure où elle présuppose de comprendre et d’identifier ses causes sous-jacentes, complexes et interconnectées. Comme le montre l’élaboration de la carte des risques liés au dzud dans notre exemple précédent, il faut disposer de données opportunes et exactes sur le phénomène concerné afin de pouvoir le prévenir et s’y préparer efficacement, mais aussi de données sur les communautés risquant d’être déplacées – qui devront ensuite être utilisées pour atténuer les souffrances humaines.

Les principales difficultés peuvent provenir du manque a) d’interopérabilité des données, b) de coordination parmi les entités qui les collectent et c) de consensus sur les indicateurs clés et les définitions pour établir à quel moment le déplacement commence et finit, qui est déplacé et pendant combien de temps. Les événements à déclenchement lent sont particulièrement difficiles à suivre car ils se déroulent sur une période de temps plus longue et sont déclenchés par un large éventail de facteurs interconnectés. En conséquence, il est souvent difficile de faire la distinction entre déplacement et migration. En outre, il faut également redoubler d’efforts pour capturer les événements à petite échelle, qui sont souvent moins visibles. Des données fiables sont nécessaires pour concevoir une intervention adaptée pour les personnes déplacées, et pour tirer des enseignements de ces événements afin de réduire les déplacements.

Aux Philippines, le Centre d’information et de surveillance des opérations d’intervention en cas de catastrophe (Disaster Response Operations Monitoring and Information Center, DROMIC) sert de répertoire de données sur les catastrophes. Ce centre collecte des données désagrégées (par exemple, sur l’âge, le genre et le handicap) et des informations issues de différentes sources (y compris les instituts météorologiques et volcaniques, et les réseaux locaux de travailleurs sociaux) sur les déplacés et les autres populations touchées, les sites d’évacuation, les logements endommagés et l’aide humanitaire, ventilées par zone géographique et type de catastrophe. Il utilise ensuite des analyses prédictives d’événements catastrophiques éventuels en se basant sur des théories mathématiques et des technologies spatiales, y compris des drones, pour préparer les interventions humanitaires. Les données et les informations de référence sont également utilisées pour planifier des solutions durables, de manière à aider les communautés à devenir plus résilientes et à se relever des catastrophes. 

Une approche intégrée des politiques

L’élaboration de cadres normatifs et politiques adaptés est un autre élément important. Le déplacement lié aux catastrophes est une question transversale qui nécessite donc une approche politique coordonnée intégrant la réduction des risques de catastrophe, l’adaptation au changement climatique et la mobilité humaine, en plus des droits humains, du développement et de l’action humanitaire. Cette approche implique donc d’intégrer les défis liés à la mobilité humaine (y compris les réinstallations planifiées) aux lois et politiques de gestion des risques de catastrophe, aux plans nationaux d’adaptation et aux autres processus de développement concernés à l’échelon local, infranational et national.

La politique nationale du Vanuatu en matière de changement climatique et de déplacement provoqué par les catastrophes qui date de 2018 est un bon exemple d’approche politique intégrée au niveau national.[6] Elle identifie douze axes stratégiques, chacun étant accompagné de mesures institutionnelles et opérationnelles assorties d’échéances. Les interventions au niveau du système et des secteurs couvrent un éventail de domaines, dont la gouvernance, les données, la protection et le renforcement des capacités, et intègrent rigoureusement des mécanismes de consultation et de participation des communautés locales. Il s’agit d’un type d’approche plus holistique, qui réunit des domaines politiques tels que le logement et le foncier, la santé, l’éducation, les moyens d’existence, les connaissances autochtones, la sécurité et l’accès à la justice. La question de la mise en application pratique des politiques a également été prise en considération et des directives ont été publiées sur leur mise en œuvre, leur financement et leur suivi. La Plate-forme sur les déplacements liés aux catastrophes travaille en collaboration étroite avec les gouvernements pour qu’ils harmonisent leurs politiques au niveau régional et national.

Impliquer les communautés touchées

Il existe un lien fondamental entre la prévention ou l’atténuation des risques de déplacement et la résilience des communautés concernées. Il est important de comprendre comment les communautés peuvent elles-mêmes mieux anticiper les catastrophes, s’y préparer et réduire leur impact ; et il est tout aussi vital de veiller à ce que les communautés concernées puissent participer aux discussions qui les concernent et qu’elles aient un droit de réponse.

Le programme Sister Village, dans la région indonésienne du Mont Merapi, est un bon exemple de projet mis en place par une communauté pour l’aider à se préparer à un futur déplacement lié à une catastrophe.[7] Ce programme jumelle les villages situés dans les zones fortement exposées au risque d’éruption volcanique avec d’autres villages de même culture situés dans des zones plus sûres. Il a été mis en place par les communautés exposées au risque de déplacement, avec l’aide des autorités qui ont facilité le processus de jumelage. Ce projet repose sur un élément essentiel : un système d’information sur les villages, à savoir une base de données des résidents (et de leurs actifs) qui devront être évacués en cas de crise de façon à d’apporter une assistance plus rapide. Les évacués peuvent ensuite accéder à des terres, des abris, des établissements scolaires et aux soins de santé, et recevoir des documents d’identification. De plus, un fonds public a été établi pour financer les mesures communautaires de développement et de réduction des risques de catastrophe.

Ces exemples sont des sources d’inspiration qui montrent comment les pouvoirs publics, les communautés locales et la société civile peuvent chacun jouer un rôle et travailler ensemble sur la question du déplacement lié aux catastrophes. Néanmoins, il reste encore beaucoup à faire. Le Cadre de Sendai pour la réduction des risques de catastrophe 2015-2030, le Pacte mondial sur les migrations, le Groupe de travail sur les déplacements du CCNUCC et le Groupe de haut niveau sur les déplacements internes du Secrétaire général de l’ONU sont autant de preuves de l’attention toujours plus grande que la communauté internationale porte au déplacement dans le contexte des catastrophes à déclenchement rapide et lent. Au niveau régional, il est important de s’assurer que ces cadres et ces engagements sont mis en œuvre aux côtés des cadres régionaux existants, tels que la Convention de Kampala. Toutefois, les déplacements provoqués par les conflits et la violence continuent souvent d’occuper le premier plan. En reconnaissant la nature multiple et interconnectée des facteurs du déplacement, l’objectif ne devrait pas être d’établir des priorités entre un type de déplacement et un autre, mais plutôt de s’efforcer de rechercher des mesures de prévention et d’atténuation et des solutions durables pour toutes les personnes déplacées de l’intérieur.

 

Barbara Essig barbara.essig@idmc.ch
Experte en politiques, Observatoire des situations de déplacement interne (Internal Displacement Monitoring Centre, IDMC)
www.internal-displacement.org

Sebastien Moretti sebastien.moretti@ifrc.org
Directeur de la migration et du déplacement, Fédération internationale des sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge www.ifrc.org

Secrétariat de la Plateforme sur les déplacements liés aux catastrophes info@disasterdisplacement.org https://disasterdisplacement.org/

 

[1] IDMC (2020) Global Report on Internal Displacement. A Summary https://www.internal-displacement.org/sites/default/files/publications/documents/2020-IDMC-GRID-executive-summary.pdf

[2] IFRC (2019) The Cost of Doing Nothing https://media.ifrc.org/ifrc/wp-content/uploads/sites/5/2019/09/2019-IFRC-CODN-EN.pdf

[3] Voir également le dossier de RMF 64 (2020) sur le thème « Crise climatique et communautés locales » www.fmreview.org/fr/numero64  

[4] Voir par exemple https://www.globalprotectioncluster.org/news-and-events/gp20-activities-and-initiatives/gp20-steering-group-meeting-9-march-2020/

et www.globalprotectioncluster.org/news-and-events/gp20-activities-and-initiatives/putting-words-into-action-reducing-disaster-displacement-risks-through-local-measures/

[5] IFRC (2018) Forecast-based Financing for vulnerable herders in Mongolia https://media.ifrc.org/ifrc/wp-content/uploads/sites/5/2018/06/CaseStudy16_Mongolia-FbF-Final.pdf bit.ly/IFRC-FbF-Mongolia-2018

[6] Gouvernement du Vanuatu, Politique nationale sur le changement climatique et le déplacement lié aux catastrophes, 2018 https://perma.cc/3R75-K3JN

[7] www.globalprotectioncluster.org/wp-content/uploads/Sister-Village-Indonesia-@-GP20-UNHCR-0903203-1.pdf

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