En vertu de la loi kenyane sur les réfugiés de 2006, les demandeurs d’asile au Kenya doivent s’adresser au Commissaire aux affaires des réfugiés (ci-après le Commissaire) pour que leur demande d’asile soit examinée en première instance. S’ils ne sont pas satisfaits de la décision du Commissaire, ils peuvent faire appel auprès de la Commission de recours des réfugiés (ci-après la Commission) qui est une commission statutaire établie en vertu de la loi sur les réfugiés pour examiner les décisions du Commissaire. S’ils ne sont pas satisfaits de la décision de la Commission, ils ont alors accès à la Haute Cour du Kenya. En théorie la progression naturelle d’une instance à l’autre devrait se faire sans heurts pour culminer par la Haute Cour. Cependant, aucun cas de reconnaissance de réfugiés n’est parvenu jusqu’à la Haute Cour depuis que le HCR, en juillet 2014[1], a confié le processus de DSR (détermination du statut de réfugié) au Secrétariat aux affaires des réfugiés (ci-après le Secrétariat) – dirigé par le Commissaire.
L’influence judiciaire, c’est-à-dire l’implication des tribunaux – sur les processus de DSR au Kenya est limitée et la raison principale en est l’application par le Kenya d’un statut prima facie à certains groupes de demandeurs d’asile. Les Soudanais du Sud et les Somaliens représentent jusqu’à 78 % des demandeurs d’asile au Kenya et cette reconnaissance fondée sur le groupe est appliquée depuis plusieurs années à ces deux groupes (bien que révoquée pour les Somaliens en 2016). En conséquence, une proportion importante de demandeurs d’asile se sont vus accorder la reconnaissance sur cette base et n’ont donc pas besoin d’accéder à la procédure d’appel.
Les tribunaux kenyans s’occupent principalement de résoudre des questions d’accès au territoire et de liberté de circulation. Ces affaires impliquant des demandeurs d’asile au Kenya portent exclusivement sur des accusations de résidence en dehors d’une zone désignée sans autorisation légale. Demander l’asile en soi n’est certes pas un crime mais les demandeurs d’asile sont tenus de résider dans une zone désignée, souvent dans les camps de réfugiés de Dadaab ou de Kakuma, et ne sont autorisés à entrer et sortir des camps qu’avec l’autorisation expresse du Secrétariat.
Accès à la représentation juridique
Le système judiciaire kenyan est contradictoire, ce qui signifie que les tribunaux n’interviennent que lorsqu’un demandeur d’asile ou le Commissaire fait appel d’une décision prise par la Commission. Les tribunaux kenyans autorisent très rarement l’autoreprésentation – qui n’est d’ailleurs pas autorisé en cas de recours contre les décisions d’organes statutaires tels que la Commission. Les demandeurs d’asile qui ne sont pas satisfaits de la décision de la Commission doivent donc faire appel aux services d’un avocat agréé pour les représenter devant le tribunal. Au Kenya, les services juridiques sont toutefois coûteux et hors de portée de la plupart des demandeurs d’asile.
Même si en théorie les demandeurs d’asile peuvent recourir au Fonds d’aide juridique et peuvent demander une aide au Service national d’assistance juridique, dans la pratique le Fonds ne dispose pas de ressources financières suffisantes pour couvrir les frais juridiques des demandeurs d’asile ou même des Kenyans incapables d’obtenir une représentation juridique effective dans d’autres domaines. Les services fournis par les ONG d’aide juridique restent donc la seule alternative pour les demandeurs d’asile déboutés qui ne sont pas en mesure de payer les frais de justice. Il existe toutefois, moins de dix ONG d’aide juridique au Kenya qui soient susceptibles d’offrir une représentation juridique en règle générale, et seules quelques-unes d’entre elles sont spécialisées dans le droit d’asile. En outre, le financement qui permet à ces organisations d’offrir gratuitement ce type de services a été considérablement réduit au cours des dernières années.
Le manque d’accès à une représentation juridique efficace affecte également la capacité des demandeurs d’asile à faire appel. Même s’ils sont autorisés à introduire des recours auprès de la Commission sans être représentés par un avocat, les demandeurs d’asile qui le font n’ont souvent pas les connaissances juridiques nécessaires pour interpréter le raisonnement juridique présenté par le Commissaire en appui de sa décision. Par exemple, un certain niveau de connaissances juridiques est souvent nécessaire pour qu’un demandeur d’asile puisse déchiffrer la signification de certains concepts du droit des réfugiés, comme la crainte fondée de persécution ou la possibilité raisonnable de subir un préjudice grave. Sans ce type de connaissances juridiques, il est difficile pour les demandeurs d’asile de rédiger les points d’appel nécessaires pour engager avec succès un réexamen et ils risquent, soit de présenter des arguments moins efficaces et sans valeur juridique, soit d’être dissuadés de déposer un appel en premier lieu[2]. Au Kenya, le manque d’accès à la représentation juridique limite donc la capacité des demandeurs d’asile qui souhaiteraient faire appel des décisions de DSR à la fois, en les empêchant de présenter un ou plusieurs arguments d’appel efficaces et en ne permettant pas à ces appels de progresser dans la procédure judiciaire.
À la lumière de ces défis, nous suggérons ici un certain nombre de moyens pour améliorer l’accès à la représentation juridique des demandeurs d’asile au Kenya :
Renforcer le Fonds d’assistance juridique : le Procureur général, le fonctionnaire de l’État chargé de l’administrer, doit octroyer à ce Fonds un financement plus conséquent. Des ressources financières supplémentaires permettraient de commencer à verser des fonds aux avocats qui assurent la défense de citoyens Kenyans et de demandeurs d’asile qui, autrement, ne peuvent pas payer ces services.
Sensibilisation : le service national d’aide juridique doit prendre des mesures pour faire en sorte que les avocats agréés connaissent l’existence du Fonds et les règles pour en bénéficier. Un effort de sensibilisation et de formation à grande échelle des avocats kenyans agréés doit être entrepris afin de les sensibiliser aux questions qui touchent les réfugiés et les encourager à s’occuper des affaires qui les concernent. De nombreux avocats agréés avec lesquels RCK a pris contact ne connaissaient pas l’existence du Fonds ou ne savaient pas qu’il pouvait être utilisé pour fournir des services d’aide juridictionnelle aux demandeurs d’asile. Les sessions de sensibilisation organisées par RCK ont produit quelques premiers résultats positifs, tels l’augmentation du nombre d’avocats disposés à fournir une représentation juridique gratuite devant la Commission. Des mesures doivent également être prises pour sensibiliser les demandeurs d’asile à l’existence du Fonds en fournissant des informations et en les diffusant dans des langues que les demandeurs d’asile peuvent comprendre.
Soutenir les ONG d’aide juridique : le gouvernement du Kenya, par l’intermédiaire du bureau du Procureur général, doit également veiller à ce que des fonds suffisants soient alloués aux ONG d’aide juridique afin qu’elles puissent continuer à apporter une assistance juridique aux demandeurs d’asile qui en ont besoin. Ce soutien pourrait également prendre la forme d’efforts connexes visant à améliorer la protection juridique des demandeurs d’asile, par exemple en mettant à leur disposition des « tuteurs de protection » c’est-à-dire des réfugiés formés pour dispenser des connaissances juridiques sur les documents et les points relatifs à l’asile.
L’adoption de ces mesures permettra aux demandeurs d’asile d’accéder gratuitement et plus aisément à des conseils et à une représentation juridiques efficaces, ce qui devrait garantir un accès plus équitable à la procédure d’appel.
Eileen Imbosa imbosa@rckkenya.org
Conseillère juridique
Andrew Maina maina@rckkenya.org
Chargé de plaidoyer
Refugee Consortium of Kenya www.rckkenya.org
[1] HCR (2020) Building on the foundation: Formative Evaluation of the Refugee Status Determination (RSD) Transition Process in Kenya www.unhcr.org/5551f3c49.pdf
[2] Pour les appels devant la Haute Cour contre les décisions prises par la Commission, un avocat doit introduire un recours et suivre rigoureusement la procédure d’appel devant le tribunal.