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Recourir à des approches collaboratives pour améliorer les données sur le déplacement interne

Les gouvernements et les acteurs internationaux doivent pouvoir accéder à des données complètes et fiables pour éclairer les interventions, les politiques et les programmes, en particulier dans la quête de solutions durables face au déplacement interne. En dépit des nombreux défis, tels que l’utilisation de normes et de définitions divergentes, il existe de nombreux exemples de bonnes pratiques en matière de collecte, de diffusion et d’utilisation des données relatives au déplacement.

L’initiative du Plan d’action du PD20 a permis aux gouvernements et à un large éventail de parties prenantes mondiales de partager leur expertise et des bonnes pratiques précieuses, mais aussi de s’entraider pour renforcer leurs capacités. Le présent article donne des exemples concrets de bonnes pratiques au niveau mondial, provenant de la République centrafricaine et de la Somalie, que ce soit pour surmonter les défis liés spécifiquement aux données sur le déplacement interne ou pour aider les gouvernements et les autres acteurs à utiliser les données produites. Ces trois exemples démontrent l’importance de la collaboration et de l’établissement de normes au niveau mondial et national pour s’assurer que les données sur le déplacement interne sont pertinentes et de bonne qualité, de manière à éclairer les activités visant à corriger les causes et les impacts du déplacement et à trouver des solutions durables.

Conceptualiser les mesures et les indicateurs

De par leur nature même, les situations de déplacement interne sont variées et multidimensionnelles, et il reste difficile de mettre en pratique les cadres établis au niveau international, tels que les Principes directeurs relatifs au déplacement de personnes à l’intérieur de leur propre pays et le Cadre conceptuel sur les solutions durables pour les personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays de l’IASC. Il est particulièrement compliqué de mesurer la réalisation de solutions durables, tant au niveau technique qu’au niveau pratique. Cette situation a contribué au développement de différentes approches et de pratiques divergentes.

Le Groupe d’experts sur les statistiques relatives aux réfugiés et aux PDI (EGRIS) est l’une des initiatives les plus solides ayant vu le jour en vue de combler cet écart.[1] Depuis 2016, l’EGRIS travail de manière collaborative à l’élaboration de recommandations (destinées aux systèmes statistiques nationaux) pour la mise en œuvre de mesures harmonisées du déplacement forcé sur l’ensemble du spectre de la mobilité humaine. Les recommandations internationales sur les statistiques relatives aux PDI (IRIS),[2] élaborées par le sous-groupe chargé des PDI de l’EGRIS[3] et avalisées par la Commission de statistique de l’ONU en mars 2020, fournissent un cadre internationalement approuvé pour les statistiques relatives aux PDI. Ces recommandations incluent également des directives, basées sur le cadre de l’IASC, expliquant comment mesurer la mise en place de solutions durables à des fins statistiques.[4]

Ces recommandations reconnaissent qu’il est extrêmement difficile d’élaborer une mesure statistique pour une question aussi complexe que les solutions durables. Cette mesure doit trouver le bon équilibre entre l’inclusion d’éléments substantiels pertinents et la possibilité de s’appliquer à un large éventail de contextes de déplacement à travers le monde, tout en restant réaliste dans sa mise en œuvre. C’est pourquoi l’un des principaux points de discussion lors de l’élaboration de cette mesure portait sur l’identification des aspects les plus essentiels en matière de déplacement, en se concentrant sur les vulnérabilités liées au déplacement reprises par les huit critères de l’IASC[5] mais également en prenant en compte l’emplacement physique des PDI (c’est-à-dire le lieu de déplacement, le lieu du retour et les autres lieux d’installation). L’emplacement physique est important pour dresser des comparaisons avec la communauté non déplacée, notamment pour distinguer les besoins et les vulnérabilités des PDI spécifiquement liés à leur déplacement et ceux qu’ils partagent avec les populations non déplacées.

Tenant compte de ces éléments ainsi que de la variabilité des ressources et des capacités statistiques disponibles dans les contextes de déplacement interne, IRIS propose une mesure composite qui évalue principalement les vulnérabilités essentielles liées au déplacement pour savoir si elles ont été surmontées en se basant sur cinq des huit critères de l’IASC. Cependant, il est également crucial de mesurer d’une manière générale les progrès réalisés en vue de la mise en place de solutions durables pour les PDI afin d’éclairer les programmes et les interventions, et c’est pourquoi IRIS recommande également que la mesure des progrès prenne en compte l’ensemble des huit critères de l’IASC.

À ce jour, aucun ensemble mondial d’indicateurs n’a été élaboré. Cela signifie donc qu’à l’avenir, il existe une opportunité de peaufiner la méthodologie en réalisant davantage de tests et en poursuivant la collaboration entre les gouvernements et les organisations internationales.

Atelier collaboratif sur les méthodes de collecte de données en RCA

Le besoin de données fiables et de bonne qualité sur les personnes touchées par le déplacement a été reconnu de manière unanime lors du processus de planification humanitaire de 2019 en République Centrafricaine (RCA). Toutefois, des différences semblaient apparaître dans la compréhension de certains concepts de base liés au déplacement interne. La complexité de la crise humanitaire en RCA, où plusieurs types de déplacement coexistent dans les mêmes zones et en même temps, a prouvé à quel point il était nécessaire que toutes les parties prenantes aient une compréhension commune des définitions et des concepts.

En janvier 2019, l’initiative PD20 a organisé un atelier en RCA qui a réuni des représentants des communautés concernées, d’administrations locales et nationales, d’organisations humanitaires et de développement et d’organisations de la société civile, en vue de discuter d’une amélioration de la qualité des données sur le déplacement interne. Les participants ont ainsi pu aboutir à une compréhension commune des concepts de base du déplacement interne et de la nécessité de suivre le nombre total de personnes dans une situation de déplacement à un moment donné, ainsi que l’évolution de ce nombre sur une période définie, afin de mieux comprendre les dynamiques du déplacement et, par là-même, de pouvoir déployer une intervention et une assistance adaptées pour garantir la protection.

Ils ont également convenu d’un plan d’action pour améliorer la qualité des données sur le déplacement interne en RCA. Dans le cadre de ce plan, ils ont élaboré une procédure opérationnelle standard (SOP) qui introduisait, entre autres, des critères d’arbitrage pour aider à résoudre les conflits actuels/potentiels entre les sources d’informations au moment de la compilation des données, et une méthodologie de ventilation des données par âge et par sexe tant pour les PDI établies dans des camps que pour les PDI vivant chez une famille d’accueil. Cette procédure présente également un système de validation et de publication des données, accompagné de responsabilités clairement attribuées. Elle souligne l’importance de poursuivre la collaboration entre les parties prenantes concernées pour garantir la fiabilité et l’exhaustivité des données en RCA.

Planification de solutions durables : le profilage à Mogadiscio, en Somalie

 Le profilage des installations informelles de Mogadiscio, réalisé en 2015-16, est un exemple de collecte de données collaborative en vue d’identifier des solutions durables dans un contexte de déplacement prolongé. Depuis plusieurs décennies, les conflits armés, conjugués à des sécheresses et des inondations sévères et récurrentes, sont un moteur du déplacement en Somalie. Établies dans les installations urbaines informelles en périphérie de Mogadiscio, la capitale, les PDI semblent rencontrer des difficultés différentes de celles auxquelles se heurtent les populations non déplacées dans ces mêmes installations. Toutefois, étant donné le peu de données disponibles sur l’expérience des populations déplacées, des partenaires des administrations fédérales et municipales et des acteurs de l’humanitaire ont conduit un exercice de profilage en 2014-15 afin de comprendre pleinement la situation des déplacements dans la ville et d’éclairer la planification de politiques et de programmes axés sur des solutions durables.[6] L’objectif était de fournir des estimations ventilées du nombre de PDI établies dans les installations informelles, d’analyser l’historique de leur déplacement et d’examiner les compétences, les capacités, les besoins spécifiques et les mécanismes d’adaptation qui influencent les décisions des familles quant à leur propre avenir.

Les résultats du profilage ont directement alimenté les plans de développement de niveau local et national, ainsi que les stratégies de solutions durables. Ils ont éclairé l’établissement de l’Initiative pour des solutions durables pour les PDI somaliennes et l’inclusion, pour la première fois, de la question du déplacement interne dans le Plan national de développement du pays (2017). En outre, le profilage a éclairé la création d’un groupe de travail dirigé par le maire de Mogadiscio et fourni les données de référence pour la Stratégie quinquennale pour des solutions durables (2020) de la ville.[7] Enfin, cet exercice a permis de nouer un dialogue avec les acteurs du développement, qui ont fini par reconnaître le déplacement comme un facteur d’appauvrissement et comprendre l’importance du rôle des municipalités dans la mise en œuvre de solutions durables – ce qui a ouvert les portes à des levées de fonds dans les secteurs de l’humanitaire et du développement.

Conclusion

Les exemples présentés ici ne sont que quelques-unes des nombreuses initiatives visant à combler les carences des données sur le déplacement interne afin de parvenir à une compréhension commune et prévenir et résoudre ce phénomène. Il faudrait dorénavant élargir ces initiatives, ainsi que les autres, et/ou capitaliser sur celles-ci pour optimiser leur impact. L’immense complexité du déplacement interne dissuade souvent le dialogue et l’action. Toutefois, même s’il n’est pas possible de s’attaquer simultanément à tous les problèmes, ces exemples démontrent qu’en s’attaquant aux défis les plus importants de manière collaborative, il est possible de créer une base solide pour identifier des solutions concrètes, efficaces et durables au déplacement interne.

Les gouvernements et les acteurs internationaux devraient poursuivre sur cette lancée et chercher dorénavant à renforcer leur collaboration pour peaufiner et mettre en œuvre des méthodologies et des approches standardisées. Par ailleurs, ils devraient faire participer les communautés touchées à toutes les étapes des processus de collecte et d’analyse des données et affecter les ressources nécessaires au renforcement des capacités pour produire des données exhaustives et de bonne qualité sur les PDI qui soient à la fois utilisables par diverses parties prenantes et utiles pour la prise de décisions.

 

Devora Levakova levakova@jips.org
Conseillère en profilage, JIPS www.jips.org

Adrián Calvo Valderrama adrian.calvo@idmc.ch
Coordinateur principal du suivi, IDMC www.internal-displacement.org

Jacques Ajaruvwa Wathum ajaruvwa@unhcr.org
Coordinateur principal du Groupe chargé de la protection, HCR-RCA www.unhcr.org

Damien Jusselme djusselme@iom.int
Coordinateur régional de la matrice de suivi des déplacements pour l’Afrique centrale et occidentale, OIM https://displacement.iom.int

 

[1] https://ec.europa.eu/eurostat/web/expert-group-on-refugee-statistics

[2] https://ec.europa.eu/eurostat/documents/7723677/10225952/International+Recommendations+on+IDP+Statistics.pdf/98b79165-d6c8-d579-88c0-6f67f5feb0c9

[3] Dans le cadre de l’EGRIS, le sous-groupe de travail sur les PDI était dirigé par le JIPS, avec l’appui de la Division de statistique de l’ONU, du Bureau central de statistique de Norvège et de l’IDMC, et se composait de représentants des bureaux nationaux de statistique de 15 États membres et d’experts issus d’organisations régionales et internationales.

[4] IASC (2010) Cadre conceptuel sur les solutions durables pour les personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays
www.brookings.edu/wp-content/uploads/2016/06/durablesolutionsFrench-final.pdf

[5] Voir note 4, p. 29.

[6] Avec l’appui technique du JIPS, cet exercice était dirigé par l’agence somalienne de gestion des catastrophes du ministère de l’Intérieur et des Affaires fédérales, l’administration régionale de Banadir et le groupe de travail sur le profilage du Groupe sectoriel de la protection, composé des organisations suivantes : HCR, DRC, OIM, OCHA, NRC, IRC, SSWC, ORDO, HINNA, ELMAN, Mercy Corps, DBG, Save the Children, REACH et le Groupe des abris.

[7] La Stratégie pour des solutions durables est élaborée pour l’autorité régionale de Banaadir / la municipalité de Mogadiscio.

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