La COVID-19 pose un certain nombre de défis aux systèmes d’asile. Que se passe-t-il lorsque les systèmes d’asile ne sont pas en mesure de fonctionner conformément aux processus et modalités établis ? Que se passe-t-il si les enquêteurs et les décideurs ne peuvent pas rencontrer les demandeurs d’asile ou se rendre au bureau ? Comment les systèmes d’asile peuvent-ils faire face si le respect des délais établis est impossible et qu’il n’y a pas d’indication claire quant au moment où la situation reviendra « à la normale » ou quant à la durée de la période de transition vers une « nouvelle normalité » ? Quelles solutions les États peuvent-ils identifier et privilégier pour protéger les droits des demandeurs d’asile et veiller à ce qu’ils ne soient pas pénalisés en vertu d’une situation qui échappe totalement à leur contrôle (ou à celui de quiconque), tout en assurant la protection de la santé publique ? Comment les mesures provisoires peuvent-elles contribuer à éviter l’accumulation de retards à tous les stades du processus de détermination du statut de réfugié (DSR) ?
La question de l’adaptabilité face à de tels défis est soulevée dans le Pacte mondial sur les réfugiés[1] et fait partie intégrante de la vision de son Groupe d’appui à la capacité d’asile. Dans le contexte de la pandémie de COVID-19, le Portugal a très vite identifié une approche nouvelle des défis auxquels il se trouvait confronté. Fin mars 2020, le Conseil des ministres du pays a publié l’Arrêté n° 3683-B/2020 pour régulariser temporairement le statut de résidence de tous les citoyens étrangers qui avaient déposé une demande de résidence ou d’asile à partir du 18 Mars 2020, jour où l’état d’urgence nationale a été déclaré au Portugal[2]. La validité de ce séjour légal était initialement prévue jusqu’à la fin du mois de juin, puis a été prolongée jusqu’à la fin du mois d’octobre 2020. L’explication donnée par le ministère de l’Intérieur pour cette décision était que les personnes ne devaient pas être privées de leurs droits à la santé et aux services publics parce que leurs demandes ne pouvaient pas être traitées[3].
Adaptation et défis en matière de protection
Bien que l’Arrêté n’accorde pas de permis de séjour aux demandeurs d’asile, ceux-ci sont traités comme s’ils avaient un permis de séjour valide. De fait, cela permet d’éviter que les demandeurs d’asile ne soient pénalisés par la réduction de capacité de traitement des enregistrements pendant la pandémie de COVID-19. Une semaine après l’entrée en vigueur du texte, et suite aux appels de la société civile pour obtenir plus de clarté sur les droits des bénéficiaires, il a été annoncé que les prestations incluraient les services sociaux et les prestations liées à l’emploi telles que les allocations familiales, la pension alimentaire pour les enfants et la protection contre le chômage. L’Arrêté couvrait également de nombreuses questions dans le cadre de la procédure d’asile/DSR, de la (re)programmation des rendez-vous à la suspension des délais.
En outre, garantir l’accès aux soins de santé pour tous pendant une pandémie, quel que soit le statut juridique, est conforme à une approche fondée sur les droits et est également logique d’un point de vue de santé publique. En termes de droits de l’homme, les individus doivent tous pouvoir accéder à des soins de santé potentiellement vitaux de manière équitable, en particulier si le retard dans l’obtention de leur statut juridique est dû à des facteurs échappant à leur contrôle. Dans le même temps, restreindre l’accès aux soins de santé met non seulement les individus en danger, mais menace également la santé et la sécurité des membres de leur communauté.
Les personnes ayant un besoin de protection internationale et entrées dans le pays, mais n’ayant pas présenté de demande avant la date limite du 18 mars, ne pouvaient pas bénéficier de la mesure[4]. Les organisations de la société civile ont plaidé en faveur de leur inclusion, mais en vain. Compte tenu de l’incertitude qui entoure l’état d’urgence, il semble difficile – et inutile – d’appliquer des dates limites strictes. Les demandeurs d’asile qui ont présenté leur demande dans un délai raisonnable après leur arrivée ne devraient pas être pénalisés par le déclenchement de la crise lorsqu’il s’agit d’accéder à l’ensemble des droits octroyés aux demandeurs d’asile en vertu du droit portugais.
La décision du pays de renforcer le statut des demandeurs d’asile et de faciliter leur accès aux services répond à des préoccupations de santé publique, mais aussi à la nécessité de gérer les ressources en ces temps incertains. En garantissant leur accès à un emploi légal, l’État permet à certains demandeurs d’asile de devenir autonomes et peut également commencer à taxer ceux qui travaillent – une situation clairement avantageuse pour tous.
Un modèle d’adaptation future
Les mesures prises par le Portugal ont porté leurs fruits et produit des résultats concrets et mesurables en matière de protection. Dans un monde numérique, et dans le contexte des discussions sur les modalités d’enregistrement et de la DSR à distance, les mesures prises par le Portugal (et celles prises par d’autres pays, tels que l’Équateur, le Pérou, la Suède ou la Lituanie, pour n’en citer que quelques-uns) contribuent à la discussion sur l’adaptation de la DSR et sur une réponse plus élargie en matière de protection, en apportant une perspective éprouvée et non technique qui met l’accent sur les droits des demandeurs d’asile et ne nécessite pas d’investissement initial important de la part des États. Les États qui cherchent à adapter leurs procédures d’asile pour faire face aux exigences d’une crise pressante pourraient, s’ils le souhaitent, retenir certains des aspects clés de l’Arrêté du Portugal. En particulier :
Une action rapide : Adopté neuf jours seulement après la déclaration de l’état d’urgence relatif à la COVID-19, l’Arrêté a rapidement clarifié le statut de résidence des demandeurs d’asile et des migrants dont la demande était en cours de traitement (d’autres détails, moins clairs, ont été réglés par la suite lors de la phase d’application). Une action rapide a permis de réduire au minimum la confusion et l’incertitude, tandis que les demandeurs d’asile et les migrants ont eu accès aux services médicaux et à d’autres services dès les prémices de la crise.
L’accent est mis sur les droits : Malgré la date butoir, l’Arrêté semble avoir été conçu afin de garantir et préserver l’équité au sein du système d’asile. Les demandeurs d’asile ont de fait obtenu le bénéfice du doute, indépendamment du statut de leur demande ou de leur processus d’appel.
Une approche de groupe : L’activation et le champ d’application de l’Arrêté reposaient sur la base d’un groupe identifié de personnes se trouvant dans une situation similaire, ce qui a ainsi permis d’apporter une réponse souple et immédiate à une situation dans laquelle le traitement individuel s’avérait peu pratique et finalement impossible compte tenu des circonstances inhabituelles. En dehors de l’application d’une date butoir comme critère pour définir le groupe, aucune autre distinction n’avait été faite en termes de statut.
Le renforcement de la procédure d’asile : Plutôt que de créer un nouveau statut ou une structure parallèle, l’Arrêté a mis à profit les systèmes existants afin d’en faire bénéficier un éventail plus large de demandeurs d’asile. Cela a eu l’avantage de réduire la nécessité d’établir de nouvelles définitions et de nouveaux droits, tout en offrant la promesse d’une transition sans heurts vers le système préexistant lors de l’assouplissement éventuel des mesures d’urgence.
Bien que cette solution ne s’applique pas nécessairement à toutes les situations dans lesquelles une certaine adaptabilité est nécessaire pour traiter les demandes d’asile, elle offre un modèle permettant de relever certains types de défis. Elle le fait, en outre, d’une manière qui est accessible même aux États qui n’ont peut-être pas les ressources nécessaires pour augmenter considérablement leurs effectifs ou déployer des technologies pour faciliter le traitement des cas. Enfin, le modèle portugais démontre que des solutions peuvent être trouvées dans le cadre du système d’asile existant, plutôt que de requérir l’élaboration de nouvelles procédures ou de nouveaux statuts.
Angela Moore moorea@unhcr.org
Responsable principale de la protection, Afghanistan
Periklis Kortsaris kortsari@unhcr.org
Chef de la section DSR, Division des services de la protection internationale
HCR www.unhcr.org/fr
Les auteurs souhaiteraient remercier tout particulièrement Filipe Doutel, Responsable du plaidoyer et du conseil juridique auprès du Service jésuite pour les refugiés – Portugal, Mónica Farinha, Présidente du Conseil portugais pour les réfugiés, et Marina Portugal, Directrice du Département Asile et Réfugiés , SEF, pour leur soutien lors de la préparation de cet article.
Les opinions exprimées sont celles des auteurs et ne représentent pas nécessairement celles du HCR.
[1] Pacte mondial sur les réfugiés, paragraphe 62 www.unhcr.org/fr/5c700c524
[2] Arrêté numéro 3683-B/2020, 27 mars 2020 https://bit.ly/2UtBPxB
[3] Schengenvisainfo news « Portugal Grants Migrants and Asylum Seekers Full Citizenship Rights During COVID-19 Outbreak », 2 avril 2020
www.schengenvisainfo.com/news/portugal-grants-migrants-and-asylum-seekers-full-citizenship-rights-during-covid-19/
[4] Il convient toutefois de noter que les non-citoyens qui sont présents de manière irrégulière dans le pays peuvent accéder aux services de santé nationaux s’ils peuvent prouver (à l’aide de documents délivrés par leurs autorités locales) qu’ils sont présents dans la région depuis 90 jours. Arrêté n° 25360/2001 (2ème série).