L’une des évolutions récentes les plus notables de la politique d’asile de l’Union européenne est le rôle croissant du Bureau d’appui en matière d’asile (EASO)[1] dans la détermination du statut de réfugié (DSR). Au départ, le mandat de l’EASO était fortement axé sur des activités telles l’échange d’informations et la formation, mais au fil du temps, celui-ci s’est élargi, tout comme ses ressources humaines et financières[2]. Cet article se concentre sur l’évolution du rôle de l’EASO et son impact à la fois indirect et direct sur la DSR en Europe.
L’impact indirect de l’EASO sur la DSR
Plusieurs activités de l’EASO ont un impact indirect sur la DSR. La formation est l’une d’entre elles. L’EASO a mis au point un programme de formation pour les administrateurs nationaux qui consiste en une série de plusieurs modules comprenant l’évaluation de la crédibilité et les techniques d’entretien[3]. Ses initiatives en matière de qualité sont également pertinentes : l’EASO cartographie les pratiques nationales (des États membres de l’UE) et organise des réunions thématiques ou sont discutés les bonnes pratiques et les problèmes de mise en œuvre ; il fournit également des outils pratiques comme, par exemple, sur la manière de mener un entretien personnel[4].
L’EASO est également impliqué dans la collecte et l’échange d’informations sur les pays d’origine (IPO) et l’adoption d’une méthodologie commune d’IPO. Il produit des rapports conjoints avec les experts d’États membres ; ces rapports sont accessibles au public et peuvent être examinés par d’autres acteurs tels les demandeurs d’asile et leurs avocats (contrairement à d’autres aspects moins transparents de la reconnaissance des réfugiés dans certaines juridictions).
Quel est l’impact de ces activités ? Les États membres ne sont pas juridiquement contraints par l’analyse incluse dans les documents produits par l’EASO mais – malgré leur caractère non contraignant – les rapports d’information sur les pays d’origine produits par l’EASO sont potentiellement influents, étant donné l’autorité de l’agence et l’importance de l’information sur les pays d’origine dans le cadre des évaluations de crédibilité. Il est donc crucial que ces rapports intègrent des informations provenant d’acteurs diversifiés, y compris de la société civile, qu’ils respectent les normes d’objectivité et d’impartialité et qu’ils soient maintenus à jour.
Si l’influence actuelle sur la prise de décision par le biais de l’IPO peut être décrite comme indirecte, la proposition de 2016 de la Commission européenne portant sur le remaniement de l’Agence de l’UE en matière d’asile prévoit un rôle plus conséquent pour ses produits, ainsi qu’une série de processus qui leur conféreraient un caractère « exécutoire[5] ». L’adoption d’une « analyse commune » de la situation dans certains pays d’origine spécifiques en est un exemple, ainsi que la production, sur cette base, de notes d’orientation pour aider les États membres à évaluer la pertinence des demandes. La même proposition envisage également d’attribuer à l’agence un rôle de contrôle. En fonction de sa conception et de son fonctionnement, un tel mécanisme pourrait également avoir un impact sur la DSR. Toutefois, les négociations sur cette proposition étaient toujours en cours en octobre 2020 et il serait donc prématuré de tirer des conclusions quant au rôle futur de l’agence dans ces domaines.
Impact direct : des conseils d’experts à une mise en œuvre conjointe
L’implication de l’EASO dans le traitement des demandes d’asile est nouvelle. Le soutien opérationnel a toujours fait partie du mandat légal de l’EASO qui déploie, à la demande des États membres de l’UE, des « équipes d’appui à l’asile ». Initialement, cependant, ces équipes n’interagissaient pas directement avec les demandeurs d’asile individuels ; leur travail consistait plutôt à fournir des conseils d’experts ou des formations, etc. Toutefois à la suite de l’augmentation des arrivées de demandeurs d’asile dans l’UE en 2015/2016, le personnel de l’EASO et les experts nationaux déployés ont commencé à se charger de tâches plus pratiques, comme la fourniture directe d’informations aux nouveaux arrivants. À mesure que la pression augmentait, des formes de traitement conjoint ont été instaurées en Grèce où l’EASO et le service d’asile grec se sont partagés le traitement des demandes d’asile afin de réduire la charge de travail du pays hôte. En Grèce, les experts déployés par l’EASO mènent de manière indépendante les entretiens d’admissibilité à l’asile au nom du service d’asile grec. Ils soumettent ensuite leurs conclusions, sur la base desquelles le service d’asile grec rend la décision finale d’admissibilité. (La phase d’admissibilité vise à écarter les demandeurs qui pourraient être renvoyés dans des pays tiers sûrs). Depuis 2018, le personnel de l’EASO qui parle grec est également impliqué dans l’examen du bien-fondé des demandes d’asile en Grèce. Ces développements qui affectent la prise de décision en première instance n’ont pas encore été associés à une révision officielle du mandat légal de l’EASO.
En Grèce, l’EASO est également impliqué dans une fonction de soutien à la prise de décision en seconde instance en vertu de laquelle le bureau fournit « des rapporteurs » aux comités d’appel nationaux, une fonction expressément stipulée dans la loi nationale. Les tâches des rapporteurs se limitent à la préparation initiale des dossiers et à la recherche d’informations sur les pays d’origine sur demande des membres du comité. Ils ne fournissent donc pas aux membres des comités d’appel un avis juridique concret, ni même un avis consultatif, concernant l’octroi de la protection internationale. Cette fonction signifie que leur implication dans la détermination du statut au stade des recours n’est qu’indirecte.
Et, à son tour, quel est l’impact de ces activités particulières[6] ? Bien que le décideur en matière d’asile en première instance – selon le droit communautaire comme national – reste le service d’asile grec, dans la pratique, cette décision est fondée sur une recommandation et des faits établis lors d’un entretien mené par des experts déployés par une agence de l’UE dont les avis consultatifs influencent le résultat. Le service d’asile grec ne se contente pas d’entériner les avis consultatifs non-contraignants de l’EASO ; il a le pouvoir d’adopter une décision qui va à l’encontre des propositions des experts déployés, ce qu’il a souvent fait. Néanmoins, l’évolution du rôle de l’EASO signifie qu’il a un impact accru sur la DSR au niveau national.
Les demandeurs d’asile doivent bénéficier de l’ensemble des droits prévus par le droit communautaire et international, quelle que soit la personne qui mène l’entretien . Sur le terrain, cependant, les organisations de la société civile signalent des lacunes concernant, par exemple, la manière d’évaluer la vulnérabilité et de mener les entretiens de recevabilité, elles mentionnent aussi le fait que les avis consultatifs sur la recevabilité sont émis en anglais et qu’ils ne sont pas traduits en grec, et que les entretiens sont menés en anglais, ce qui nuit à la qualité de la représentation juridique que peuvent apporter les avocats grecs[7].
Perspectives pour l’avenir
L’évolution du rôle de l’EASO met en évidence des défis en termes de responsabilité et de protection des droits fondamentaux. L’EASO a cherché à améliorer la qualité procédurale de son processus décisionnel en établissant un processus d’audit interne de qualité. Sur la base des recommandations du Médiateur européen[8], l’EASO a développé d’autres normes de procédures concrètes, comme l’obligation pour le Bureau de signaler aux autorités nationales toutes erreurs identifiées par son agence en lien avec sa propre partie du traitement. La prochaine étape importante sera la mise en place d’un mécanisme interne de plaintes qui soit accessible aux particuliers. Cela est envisagé dans le cadre du nouveau mandat légal de l’EASO en cours de négociation.
Le rôle de l’EASO a considérablement changé. Cela a progressivement entrainé l’émergence de modèles de mise en œuvre conjointe par le biais du traitement conjoint des demandes d’asile. Les schémas de mise en œuvre conjointe et l’augmentation des ressources financières et humaines dont dispose le Bureau pourraient servir de précurseur à des formes d’intégration plus profondes entre l’UE et les administrations nationales en ce qui concerne la DSR. Il convient de considérer cette tendance comme une approche pragmatique visant à renforcer la solidarité et le partage des responsabilités en matière d’évaluation des demandes d’asile. Les premières expériences de traitement conjoint en Grèce montrent toutefois qu’une intégration administrative renforcée ne doit pas être accueillie avec une approbation sans réserve. L’intégration administrative comporte ses propres difficultés et, en l’occurrence, appelle à repenser les processus de responsabilité et le droit procédural de l’UE afin qu’elle n’entraine pas, dans la pratique, un affaiblissement des garanties procédurales.
Evangelia (Lilian) Tsourdi e.tsourdi@maastrichtuniversity.nl
Professeure assistante et titulaire d’une bourse du Conseil néerlandais de la recherche (NWO VENI), Université de Maastricht www.maastrichtuniversity.nl/p70065508
[1] Pour en savoir plus sur le mandat légal de l’EASO voir : Règlement n°439/2010 du Parlement européen et du Conseil du 19 mai 2010
[2] Pour un aperçu des activités générales de l’EASO, voir son dernier rapport d’activité annuel pour 2019
www.easo.europa.eu/sites/default/files/EASO-Consolidated-Annual-Activity-Report-2019.pdf
[3] https://training.easo.europa.eu/lms/
[4] www.easo.europa.eu/asylum-support-training/asylum-processes-quality
[5] En ce qui concerne la proposition de 2016 de la CE, voir : Proposition de la Commission pour un règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à l’Agence de l’Union Européenne pour l’asile portant abrogation du règlement (UE) 439/2010, COM (2016) 271 final (4 mai 2016).
[6] Pour une analyse plus complète, voir : Tsourdi E (L) (2020) ‘Holding the European Asylum Support Office Accountable for its role in Asylum Decision-Making: Mission Impossible?’, German Law Journal 21, 506–531 https://doi.org/10.1017/glj.2020.21
[7] Voir, entre autres, l’opération de l’EASO sur les points chauds grecs de l’Initiative pour les droits des réfugiés en Grèce (2018) : Operation on the Greek Hotspots: An overlooked consequence of the EU-Turkey Deal, HIAS–Islamic Relief USA www.hias.org/sites/default/files/hias_greece_report_easo.pdf bit.ly/HIAS-Greece-2018; European Center for Constitutional and Human Rights (2019) ‘Case Report: EASO’s Involvement In Greek Hotspots Exceeds The Agency’s Competence And Disregards Fundamental Rights’ www.ecchr.eu/fileadmin/Fallbeschreibungen/ECCHR_Case_Report_EASO_Greek_Hotspots_042019.pdf bit.ly/ECCHR-EASO-case-report-2019
[8] Voir, Décision du Médiateur européen dans l’affaire 1139/2018/MDC sur la conduite d’experts lors des entretiens avec les demandeurs d’asile organisés par le Bureau européen d’appui en matière d’asile (30 septembre 2019) www.ombudsman.europa.eu/en/decision/en/119726