En décembre 2012, le cinquième Dialogue du Haut-commissaire sur les défis de protection a réuni à Genève autour du thème « Foi et Protection » plus de 400 représentants d’organisations confessionnelles, de chefs religieux et d’autres partenaires pour une discussion de deux jours centrée sur le partenariat avec les acteurs religieux. Il s’agissait du premier dialogue multiconfessionnel organisé officiellement par le HCR en vue d’explorer les valeurs communes qui sous-tendent la notion de protection des réfugiés dans toutes les grandes religions. Ces discussions ont également favorisé une prise de conscience et une compréhension plus profondes du rôle que jouent la religion et la spiritualité dans l’existence des personnes que sert le HCR.
Les participants à ce Dialogue ont en outre reconnu l’importance des partenariats existants et potentiels entre le HCR et les organisations confessionnelles. Ils ont réaffirmé avec force la validité des principes fondamentaux qui sous-tendent le travail humanitaire[1] (à savoir : impartialité, non-discrimination, respect des convictions des autres, diversité, autonomie, égalité, humanité et garantie contre toute forme de conditionnalité) et ils ont reconnu l’adhésion à ces principes comme une nécessité dans le cadre de la réponse apportée aux situations humanitaires.
Lors de la clôture de la réunion, le Haut-commissaire, António Guterres, a souligné que « les contributions précieuses des organisations et des communautés confessionnelles à la protection des réfugiés et des déplacés » étaient unanimement reconnues. Il a mis en exergue certaines suggestions concrètes de suivi, parmi lesquelles la demande d’élaborer des orientations en matière de « connaissances relatives à la spiritualité » à l’intention du personnel du HCR.
Le HCR et les organisations confessionnelles
En juillet 2014 le HCR a publié une « Note sur le partenariat » qui définit des orientations générales sur la manière de nouer un dialogue, d’aller à la rencontre et d’établir des partenariats avec des organisations confessionnelles, des communautés religieuses locales et des chefs spirituels, et donne des exemples de cas où les acteurs confessionnels ont eu un rôle déterminant au niveau local[2]. La Note sur le partenariat reconnaît que les organisations confessionnelles et l’autorité de leurs chefs spirituels peuvent varier en taille et en importance, et compter aussi bien des groupes composés de quelques croyants que des religions mondiales et de vastes réseaux interconfessionnels. Ces organisations englobent tout un éventail d’identités et de motivations religieuses, connaissent plus ou moins bien les principes humanitaires et sont plus ou moins bien disposés à les respecter ou en mesure de le faire.
Les chefs religieux ont un rôle influent au sein de leurs communautés confessionnelles et plus généralement au sein de la communauté au sens large. En donnant des exemples concrets, la Note démontre que les chefs religieux non seulement jouissent de confiance et qu’ils exercent une autorité morale sur les membres de leur propre communauté religieuse, mais qu’ils façonnent également l’opinion publique de la collectivité plus large, y compris au niveau national et international.
Les exemples suivants ont été tirés d’une enquête que le HCR a menée en 2013 (avec l’appui d’une coalition d’organisations confessionnelles) afin de mieux comprendre la portée des partenariats déjà existants entre les acteurs religieux et le HCR à tous les stades du cycle de refuge et de déplacement. Cette enquête s’est penchée sur les leçons tirées et a identifié les bonnes pratiques en matière de coopération avec les acteurs religieux.
Des exemples de bonnes pratiques Un certain nombre d’exemples de ces bonnes pratiques sont regroupés dans la Note sur le partenariat et dans deux autres publications intitulées Overview of the Survey on Good Practices Examples et Analysis of the Survey on Good Practices Examples.2 « … les chefs de la communauté musulmane [à Bangui en République centrafricaine] se sont mobilisés à quelque 5km du camp de réfugiés sur la route de Tirungulu pour empêcher [les acteurs armés non étatiques] d’avancer. Ce groupe s’est littéralement assis au milieu de la piste pour les empêcher de passer. Ils ont invoqué le Saint Coran, rappelant aux acteurs armés non étatiques leurs devoirs en tant que musulmans. » « …les organisations confessionnelles [au Myanmar] ont joué un rôle de tampon entre les belligérants et ont donc pu opérer dans les deux camps, même au plus fort du conflit. Grâce à la confiance dont elles bénéficiaient, elles ont été de bons avocats de la protection. Elles ont fait pression sur le gouvernement pour que celui-ci assume pleinement la responsabilité de l’éducation et des services de santé pour les déplacés internes dans l’État de Kachin. Elles ont également réussi à obtenir la libération de déplacés internes mis en détention, car elles ont pu répondre d’eux. Aucune autre organisation internationale ou non gouvernementale locale ne dispose d’une marge de manœuvre aussi étendue pour faire face à la situation humanitaire. » “Les capacités, les connaissances et les qualifications des organisations confessionnelles et des chefs religieux de la communauté [à Jijiga, Éthiopie] ont conduit le bureau [l’antenne du HCR] à travailler étroitement avec eux, compte tenu du potentiel qu’ils présentent s’agissant de répondre aux besoins de protections de la communauté réfugiée. …Les femmes du groupe de lutte contre les mutilations génitales féminines des camps ont lancé un appel à soutenir les chefs religieux car la communauté les [les chefs religieux] contestait pour des motifs religieux lors d’action de sensibilisation. » |
Défis et possibilités
Le HCR, à l’instar de l’ensemble de la communauté humanitaire s’engage à respecter des principes humanitaires et à faire en sorte que la protection soit à la base de toutes ses activités. Le HCR doit donc s’assurer qu’il ne s’engage pas dans des partenariats dont les fondements et les activités seraient contraires à ces principes, et notamment, que son appui ne soit pas utilisé à des fins de prosélytisme ou pour imposer à la fourniture de l’aide humanitaire des conditions qui seraient contraires aux principes humanitaires. D’un autre côté, force est de reconnaître que les acteurs confessionnels sont parfois confrontés à des personnels humanitaires qui n’appartiennent pas à leur communauté religieuse et qui semblent avoir un préjugé contre eux. Pour pouvoir être surmontés, les défis que pose le partenariat doivent être appréhendés à partir des deux perspectives, en particulier par l’intermédiaire de changements positifs d’attitude et d’approche[3].
Du point de vue du HCR, les défis les plus épineux surgissent lorsque les acteurs confessionnels encouragent ou tolèrent les comportements suivants : l’antagonisme ou l’exclusion à l’égard de membres d’autres origines confessionnelles ; les discours haineux ou l’incitation à la violence dirigés contre les membres ou les communautés d’une autre confession ; le prosélytisme et les pressions à la conversion comme condition préalable au maintien de l’aide ; le mariage précoce ou autres pratiques traditionnelles préjudiciables ; les stéréotypes liés au genre et l’absence de prise en compte des droits spécifiques des femmes, des garçons et des filles, ainsi que des vulnérabilités dans les contextes où la violence sexuelle et sexiste et les mécanismes d’adaptation négatifs sont généralisés ; la stigmatisation et la discrimination concernant le VIH/sida ; la stigmatisation et la discrimination à l’égard des personnes et des réseaux lesbiens, gays, bisexuels, transgenres et intersexuels (LGBTI). Il peut arriver en outre que les communautés confessionnelles locales ignorent les processus et les procédures propres au HCR et notamment ses priorités stratégiques ainsi que les notions qu’il préconise en matière de risques et de vulnérabilités, ce qui peut devenir une source de frustration et d’incompréhension pour les employés du HCR.
Les employés du HCR ont également signalé que dans les situations d’urgence complexe la coordination représentait de défi majeur du travail en partenariat avec les communautés confessionnelles locales, leurs réseaux et leurs organisations communautaires. Parmi les autres difficultés documentées en matière de partenariat avec les acteurs confessionnels, plus particulièrement lorsqu’il s’agit de communautés et de chefs religieux locaux, il faut citer la différence de perspective qui peut opposer une approche fondée sur la charité à une approche fondée sur les droits qui régissent l’assistance humanitaire.
Il est évident que le partenariat avec le HCR pose également des difficultés aux organisations confessionnelles. L’un des facteurs réside dans l’inégalité inhérente aux rapports de force qui, dans certaines circonstances, peuvent s’instaurer entre une organisation internationale et une petite institution locale. Un autre facteur tient aux procédures et aux exigences propres au HCR auxquelles les organisations confessionnelles comme d’autres partenaires, peuvent ne pas pouvoir ou ne pas vouloir se soumettre, et au fait que la rotation de son personnel peut influer sur la présence et la mémoire institutionnelle du HCR dans des lieux isolés sur le terrain au point de remettre en question une coopération positive de longue date.
Malgré les difficultés que cela représente pour les deux parties, les organisations confessionnelles, les communautés religieuses locales et les chefs religieux participent traditionnellement à toute une série d’activités de protection dans le cadre des situations humanitaires, notamment : en fournissant une protection physique et en facilitant l’accès humanitaire ; en dissuadant la violence par leur présence et leur accompagnement ; en atténuant les tensions entre les réfugiés/déplacés internes et les communautés d’accueil dans les situations de conflit ou d’après conflit ; en participant aux activités de réconciliation et de consolidation de la paix ; en luttant contre la xénophobie et la discrimination ; en prévenant la violence sexuelle et sexiste ou le recrutement forcé ; en améliorant les conditions d’accueil et en accompagnant les détenus ; en assurant une aide à l’orientation juridique et à la gestion des cas d’asile ; en plaidant pour l’adoption de changements législatifs en faveur des personnes relevant de la compétence du HCR ; en aidant à la réinstallation et/ou à l’installation sur place des réfugiés.
Accueillir l’étranger
L’élaboration d’une Note d’orientation à l’intention des chefs religieux est une autre initiative issue du Dialogue du Haut-commissaire sur la Foi et la protection, destinée à promouvoir la tolérance et le respect de la dignité humaine et des droits de l’homme des demandeurs d’asile et des réfugiés, des migrants, des personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays et des personnes apatrides. Début 2013 le HCR a travaillé en collaboration avec des organisations confessionnelles, des réseaux et des experts religieux en vue de préparer un texte consistant en 16 affirmations rédigées à la première personne qui s’appuie sur des principes et des valeurs partagées par toutes les grandes religions du monde. Ce document a pour objet de donner aux chefs religieux l’occasion d’affirmer le rôle que jouent les communautés religieuses dans « l’accueil à l’étranger, au réfugié, au déplacé interne, à l’autre […] de s’élever contre l’intolérance […] et de respecter le droit de l’étranger à pratiquer librement sa propre foi ».
L’invitation à « accueillir l’étranger » est essentiellement l’expression d’une conviction découlant des principes d’hospitalité, de respect et d’égalité, car ces valeurs sont profondément ancrées dans toutes les grandes religions :
Hospitalité: Les acteurs tels que les communautés confessionnelles locales sont souvent les premières à intervenir en faveur des individus, des familles et des communautés aux premiers stades d’une crise humanitaire. Elles interviennent du fait de leur présence, de leurs connaissances locales, de leurs réseaux et de leurs ressources dans certaines des régions les plus isolées. La reconnaissance de ce fait a suscité un regain d’intérêt pour la collaboration avec ces communautés afin d’améliorer l’accès aux plus vulnérables.
Respect: Le respect de la diversité des identités, des valeurs et des traditions est essentiel pour renforcer la protection et la résilience des personnes et des communautés déplacées de force. Les communautés confessionnelles locales sont profondément conscientes du fait que dans de nombreux pays et communautés du monde, la foi est un « besoin fondamental » et, en cela, elles peuvent fournir un soutien certes matériel mais également spirituel aux personnes en situation de déplacement forcé. Les chefs religieux locaux et les communautés confessionnelles locales se trouvent dans une position privilégiée pour répondre à ces besoins.
Egalité: La coopération doit reposer sur un ensemble d’objectifs communs, ainsi que sur le respect mutuel et le partenariat. L’égalité doit aussi se traduire par une égalité de traitement et le droit à une protection égale conformément aux normes humanitaires.
Ces principes représentent un point de départ pour l’instauration d’un dialogue entre le HCR et les acteurs confessionnels et peuvent aussi guider les partenaires qui souhaiteraient renforcer un dialogue mondial entre les religions et les acteurs humanitaires traditionnels et non traditionnels.
De décembre 2012 à décembre 2013 les Affirmations des chefs religieux ont été signées et avalisées par plus de 1700 chefs spirituels, membres de communautés religieuses et d’organisations confessionnelles du monde entier, et elles ont été officiellement diffusées à l’occasion d’une cérémonie de signature en présence d’une assemblée de 600 chefs religieux au cours de la 9e Assemblée mondiale des Religions pour la paix le 21 novembre 2013 à Vienne[4]. Des groupes confessionnels partout dans le monde utilisent maintenant les Affirmations et les ressources qui les accompagnent comme des instruments pratiques pour renforcer le soutien apporté aux réfugiés et autres personnes déplacées au sein de leurs communautés.
« L’une des valeurs fondamentales de ma foi est d’accueillir l’étranger, le réfugié, le déplacé interne, l’autre. Je le/la traiterai comme j’aimerais qu’on me traite. Je demanderai aux autres, même aux dirigeants de ma communauté religieuse, de faire de même. »
José Riera riera@unhcr.org est Conseiller spécial auprès du Directeur, et Marie-Claude Poirier poirier@unhcr.org est Assistante Chargée de recherche, Droit et politique, tous deux au sein de la Division de la Protection internationale du HCR. www.unhcr.org
[1] Voir CICR : Code de conduite pour le Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge et pour les organisations non gouvernementales (ONG) lors des opérations de secours en cas de catastrophe.
www.ifrc.org/Global/Publications/disasters/code-of-conduct/code-french.pdf
[2] La Note sur le partenariat avec des organisations confessionnelles, des communautés religieuses locales et leurs chefs religieux du HCR est disponible en français www.unhcr.fr/53ad6b569.html. Pour ce qui est de : Overview of the Survey on Good Practices Examples voir : http://goo.gl/nLdEeN et pour : Analysis of the Survey on Good Practices Examples voir http://goo.gl/YsFnFM.
[3] Les principes en matière de partenariat qui ont été instaurés par le Dispositif mondial d’aide humanitaire (Global Humanitarian Platform) sont : égalité, transparence, démarche axée sur les résultats, responsabilité et complémentarité. Voir Dispositif mondial d’aide humanitaire, « Principes de Partenariat », Juillet 2007.
[4] Le document multilingue Affirmations des chefs religieux (en arabe, anglais, français, allemand, hébreux, russe, espagnol et turc) est disponible en ligne sur : www.unhcr.org/51b6de419.html.