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Centres d’accueil pour les jeunes au Salvador : offrir des alternatives au déplacement

Le nombre de mineurs non accompagnés provenant du Salvador, du Guatemala et du Honduras qui tentent de franchir la frontière des États-Unis (É-U) a augmenté de manière considérable au cours des dernières années, pour passer de 2 304 en 2012 à près de 47 000 en 2016[1]. Beaucoup d’entre eux s’enfuient de chez eux pour échapper à des menaces de violence et parce qu’ils craignent les activités des bandes dans leurs quartiers[2]. Bien évidemment, la politique des États-Unis devrait répondre à cette crise humanitaire en reconnaissant la légitimité de la demande de protection de ces enfants, mais les efforts du développement international doivent également continuer de combattre dans les pays d’origine les facteurs qui poussent ces jeunes à partir. La question est de savoir comment le faire de manière effective et efficace. 

Aujourd’hui au Salvador, les problèmes de pauvreté, corruption, activité des bandes, violence et trafic de drogue recouvrent des facettes aussi multiples qu’inextricablement liées. La pauvreté et le chômage servent à alimenter le recrutement des bandes, à étendre leur territoire et à décupler les taux de délinquance[3]. Même si la guerre civile prolongée du Salvador a trouvé une résolution il y a maintenant 25 ans, les dizaines d’années d’instabilité qui ont suivi ont fragilisé le développement des institutions civiles alors que le pays ne compte que sur un soutien international limité pour résoudre des problèmes économiques et sociaux persistants.

Les enfants et les jeunes des familles à revenus modestes sont très fortement affectés par la qualité des communautés qui les entourent. La violence dans les quartiers et les activités des bandes les rendent vulnérables, et ces jeunes ont en outre de fortes probabilités d’être en butte aux abus de la police. Prises ensemble, ces circonstances, conjuguées aux conditions de vie dans les quartiers, exposent les jeunes à la persécution, à l’enrôlement dans les bandes et à d’autres dangers qui réduisent leur sentiment d’espoir en l’avenir.

Les centres d’accueil pour les jeunes au Salvador

Les centres d’accueil pour les jeunes sont un modèle fondé sur une approche communautaire de prévention de la violence. Il existe plus de 160 de ces centres stratégiquement situés dans les quartiers en proie à des niveaux élevés de violence, qui tentent de créer un espace sécurisé dans lequel les jeunes peuvent jouer, apprendre et se développer[4]. Les jeunes se rendent dans les centres avant et après l’école, et reçoivent de l’aide pour faire leurs devoirs, jouent, participent périodiquement à des ateliers et s’impliquent dans toute une gamme d’autres activités. Même s’il se peut qu’un centre particulier desserve des centaines de jeunes, les centres en eux-mêmes ne sont pas très grands ; l’idée de ce modèle est que le centre fonctionne comme une seconde maison (leur devise est mi segunda casa) pour les jeunes qu’il accueille. De nombreux centres sont aménagés dans de petites maisons avec un espace de vie comprenant des tables pour l’aide aux devoirs, et une petite cour à l’arrière, presque entièrement envahie par une table de ping-pong.

Chaque centre fonctionne avec un seul employé à plein-temps, un coordinateur, habituellement un membre de la communauté qui habite dans la même rue et qui est soutenu par de nombreux bénévoles et un conseil consultatif comprenant les chefs communautaires et les représentants des principales institutions locales, notamment les églises.

En 2016, nous avons mené une évaluation indépendante de ces centres par le biais de questionnaires en ligne adressés aux coordinateurs et aux jeunes, de visites sur place, de groupes de discussion et d’entretiens avec les administrateurs chargés du financement des centres[5].

Créer un sentiment d’appartenance

Notre étude a révélé que la sécurité physique était une préoccupation pour les jeunes et les coordinateurs. Soixante-neuf pour cent des jeunes ont affirmé être « très préoccupés » à « assez préoccupés » à l’idée que quelqu’un les arrête dans la rue et les menace ou les agresse. Un pourcentage similaire s’inquiète pour la sécurité des membres de leurs familles. Dans ce contexte, le succès des centres d’accueil pour les jeunes repose sur leur capacité de fournir un espace attractif dans lequel les jeunes peuvent se sentir en sécurité. Les jeunes qui ont répondu à l’enquête ont exprimé un sentiment solide de connexion sociale à l’égard des centres, lesquels réussissent très bien à encourager ce sentiment d’appartenance, en partie grâce aux liens sociaux étroits entre les coordinateurs/bénévoles et les jeunes. Comme l’a expliqué un jeune : « L’attention [que je reçois ici] fait que je me sens spécial, et c’est l’endroit où on me laisse exprimer ce que je pense et ce que je ressens ». La plupart des jeunes sont convaincus qu’il y a au centre au moins un adulte qui les connait suffisamment bien pour se rendre compte de leurs difficultés lorsqu’ils en ont.

Même si les centres n’ont pas pour objectif de convaincre les jeunes de ne pas émigrer, le succès qu’ils obtiennent en établissant un lien et des relations de confiance – un capital social – contribue à améliorer les conditions de vie dans les quartiers, ce qui peut décider un jeune à rester plutôt qu’à fuir.

Promouvoir des leaders, créer des opportunités

Le leadership et l’efficacité personnelle sont des aspects importants du développement des jeunes, en partie parce qu’ils donnent aux jeunes une autonomie accrue et leur permettent de prendre davantage d’initiatives pour diriger leur propre avenir. Quatre-vingt-deux pour cent des personnes interrogées ont indiqué se sentir plus en mesure de faire face aux difficultés et aux problèmes qu’ils rencontrent du fait de leur implication dans le centre. Au vu du niveau de violence communautaire et des activités des bandes dans leurs quartiers, associés à leur propre situation économique et aux taux de chômage élevés, on serait en droit de s’attendre à ce que les perspectives des jeunes concernant leur propre avenir soient négatives ; bon nombre d’entre eux indiquent toutefois qu’ils ont le sentiment d’avoir des opportunités et qu’ils sont relativement confiants dans leur capacité de se forger un avenir. Plus important encore, ces jeunes attribuent cet état d’esprit à leur implication dans les activités du centre.

L’implication dans les activités des centres a également un impact tangible sur les possibilités de mobilité sociale des jeunes – un résultat susceptible d’atténuer les facteurs qui pourraient les pousser à émigrer. Trente-deux pour cent des jeunes ont dit qu’ils avaient trouvé un meilleur emploi grâce au centre, et soixante-dix-huit pour cent d’entre eux ont indiqué que le centre les avait aidés à obtenir de meilleurs résultats scolaires. Une jeune fille a répondu par exemple que ses devoirs sont devenus plus faciles à faire depuis qu’elle a acquis des compétences en informatique au centre. Il s’agit d’une contribution majeure à l’amélioration des chances dans la vie de ces jeunes, et en dernière instance, à la stabilité de leurs familles et de leurs quartiers. Même si nous devons rester prudents et ne pas surestimer l’impact direct que les centres peuvent avoir sur la trajectoire scolaire et d’emploi des jeunes avant d’avoir achevé une évaluation d’impact complète et plus rigoureuse, il ne reste pas moins important de souligner l’influence positive qu’ils semblent avoir dans ce domaine.

Intervenir auprès de ceux qui sont le plus susceptibles d’émigrer

Certains jeunes qui viennent dans les centres sont confrontés à des risques plus importants que les autres, notamment en ce qui concerne l’enrôlement dans une bande et la consommation de drogues. Comparativement à leurs pairs dont le facteur de risque est moins élevé, nous avons découvert que les jeunes qui ont un facteur de risque plus élevé étaient significativement plus enclins à envisager l’émigration. Les employés des centres interviennent souvent dans la vie de ces jeunes. Un coordinateur a expliqué, par exemple, qu’il avait rencontré un chef de bande locale à plusieurs reprises afin de plaider en faveur des jeunes fréquentant le centre. Pour cela, il avait dû se rendre dans une zone de la ville particulièrement violente pour demander qu’un jeune du centre soit libéré de ses liens avec la bande – une demande qui aurait pu se solder par des conséquences mortelles pour le coordinateur. D’autres coordinateurs ont fait part d’expériences similaires, par exemple, lorsqu’ils sont intervenus dans la vie d’un jeune en danger. Du fait de la complexité de ces interventions, des formations et des ressources supplémentaires sont nécessaires si l’on veut pouvoir associer la prévention et l’intervention au modèle actuel des centres d’accueil pour les jeunes.

Expansion et durabilité

Le soutien financier affecté aux centres diffère d’une communauté à l’autre, mais presque tous associent plusieurs sources de financement. USAID apporte un soutien financier jusqu’au moment où le centre est fonctionnel, et chaque centre reçoit un soutien de la municipalité locale. D’autres organisations communautaires contribuent au financement des centres et remplissent d’autres fonctions importantes, notamment en jouant un rôle de conseil auprès des coordinateurs de centre. De même, sans nécessairement donner beaucoup d’argent, les églises locales sont un élément central du modèle ; comme l’expliquait une personne interrogée, l’église locale fournit « une autorité morale et protège le centre », et lui donne de la crédibilité aux yeux des parents et des autres membres de la communauté.

Les centres sont durables parce que leurs coûts de fonctionnement sont peu élevés, mais l’espace dont ils disposent est souvent inadapté pour desservir des jeunes en nombre important ou pour offrir des installations plus variées. La demande dépasse la capacité, et de nombreux jeunes ont demandé que les centres restent ouverts pendant les weekends comme pendant la semaine.

Une alternative viable ?

Aucune indication ne semble démontrer qu’un renforcement des frontières ait ralenti l’afflux de mineurs non accompagnés du Triangle du nord de l’Amérique centrale [6] vers les États-Unis, et historiquement la construction de murs à la frontière s’est avérée inefficace pour décourager les entrées irrégulières. Après avoir modifié la politique et les pratiques d’immigrations des États-Unis pour accorder l’asile aux jeunes non accompagnés qui fuient la violence, il est impératif que les décideurs renforcent leur soutien au développement, à la gouvernance et à la sécurisation au Salvador, au Guatemala et au Honduras.

Les centres d’accueil pour jeunes au Salvador ne constituent sans aucun doute pas une réponse intégrale aux problèmes complexes posés par l’activité des bandes, le trafic de drogue et la violence criminelle dans la région, mais notre étude montre qu’ils représentent une alternative viable face à aux approches « main de fer » et ultra autoritaires – aux tactiques policières plus agressives et au renforcement des peines de prison– qui ont été tentées sans succès au Salvador par le passé. Ces centres fonctionnent avec le soutien de la communauté locale dans laquelle ils sont ancrés, ils constituent un modèle facilement adaptable aux besoins d’une zone donnée, et ne nécessitent qu’un soutien minimal pour fonctionner. Avec des ressources supplémentaires associées à un investissement plus important dans l’infrastructure et l’éducation, les centres peuvent s’avérer un moyen plus efficace d’intervenir dans la vie d’un plus grand nombre de jeunes au moment où ils sont sur le point de décider si les risques qu’ils courent en restant dépassent les risques de l’émigration.     

 

Benjamin J Roth rothbj@sc.edu
Professeur adjoint, Université de Caroline du Sud www.sc.edu



[2] HCR (2014) Children on the Run: Unaccompanied Children Leaving Central America and Mexico and the Need for International Protection www.unhcr.org/uk/children-on-the-run

Kennedy E (2014) No Childhood Here: Why Central American Children are Fleeing Their Homes, American Immigration Council www.americanimmigrationcouncil.org/research/no-childhood-here-why-central-american-children-are-fleeing-their-homes

[3] Shifter M (2012) Countering Criminal Violence in Central America, Council on Foreign Relations www.cfr.org/americas/countering-criminal-violence-central-america/p27740

[4] Ces centres font partie d’un effort plus vaste de prévention de la criminalité dans la région soutenu par USAID.

[5] Au total 77 individus ont participé aux entretiens et aux groupes de discussion.

[6] Également désigné de nos jours par les termes « nord de l’Amérique centrale ».

 

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