- May 2025

La diplomatie humanitaire multipartite aux niveaux mondial et régional, y compris dans le cadre de dialogues transrégionaux, est essentielle pour mobiliser les efforts des États en vue de traiter les cas des personnes migrantes disparues.
L’Objectif 8 du Pacte mondial pour les migrations (PMM) de 2018 constitue un engagement visant à « sauver des vies et mettre en place une action internationale coordonnée pour retrouver les migrants disparus ». Son inclusion a permis d’inscrire la question des personnes migrantes disparues à l’ordre du jour international en posant un ensemble d’engagements politiques sur les moyens d’y répondre. Cependant, dès que le PMM est entré dans sa phase de mise en œuvre, ce jalon est devenu un défi : comment concrétiser ces engagements internationaux sur le terrain pour prévenir les décès et les disparitions et améliorer les efforts de recherche le long des routes de migration.
Le premier cycle d’examens du PMM, mené en 2020-2021, a révélé une mise en œuvre exceptionnellement faible de l’Objectif 8, seuls quelques États ayant signalé des avancées[1]. Il a également souligné un risque de mauvaise interprétation de ces engagements dans un contexte où prédominent des approches migratoires axées sur la sécurité (plutôt que sur la protection et les droits), car certains peuvent considérer que la prévention des parcours migratoires (jugés dangereux) constitue une manière évidente de sauver des vies.
La réticence des États à s’engager concrètement sur la question des personnes migrantes disparues n’a rien de surprenant. Les décès et les disparitions de personnes migrantes sont souvent liés (directement ou indirectement) à des politiques et pratiques migratoires restrictives et constituent, à ce titre, une question sensible et fréquemment politisée. De plus, la complexité des recherches et des procédures d’identification transnationales, conjuguée au manque de savoir-faire établi en la matière, constitue un obstacle supplémentaire. Enfin, l’absence d’une agence-chef de file efficace alliant poids politique et présence opérationnelle, ainsi que l’absence d’un groupe de travail spécifique au sein du Réseau des Nations Unies sur les migrations (UNNM), ont également freiné la mise en œuvre durant les premières années suivant l’adoption du PMM.
Le présent article examine comment une action de diplomatie humanitaire multipartite et à plusieurs niveaux, engagée depuis 2022, est parvenue à inverser cette tendance. Le travail mené par une coalition grandissante réunissant le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) et la Fédération internationale des Sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge (FICR), avec le soutien d’autres acteurs, a permis de promouvoir de manière tangible les efforts coordonnés des États pour traiter les cas de personnes migrantes disparues, offrant ainsi une feuille de route prometteuse pour l’avenir.
Engagement au niveau mondial
Dès le départ, une approche à double volet a été adoptée : d’une part, un effort pour revitaliser et renforcer le cadre d’engagements significatif fourni par le PMM, et, d’autre part, l’accent (suivant une logique fondée sur les routes de migration) porté sur les organisations et instances régionales et sous-régionales en tant qu’agents de mobilisation des États. Cette approche a grandement bénéficié de l’interaction mutuellement enrichissante avec le travail des instances mondiales et régionales de défense des droits humains, notamment le Comité des disparitions forcées[2] des Nations Unies et la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples[3].
Face au constat inquiétant de la faible mise en œuvre initiale de l’Objectif 8, le CICR et l’OIM ont saisi l’occasion du premier Forum d’examen des migrations internationales (FEMI) en 2022 (qui assure le suivi de la mise en œuvre du PMM) pour plaider en faveur d’une plus grande attention portée à l’Objectif 8 et pour rappeler l’importance des personnes migrantes disparues et de leurs familles. Dès le début, la coopération entre le CICR et l’OIM a été déterminante, reposant sur les données, l’analyse, la portée et l’influence de l’OIM, associées à l’expertise technique, à la présence sur le terrain et à la longue expérience du CICR en matière de soutien aux personnes disparues et à leurs familles dans des contextes de conflit armé et de violence. L’élargissement de cette alliance par la publication en début d’année 2022 d’une déclaration conjointe de l’UNNM, du CICR et de la FICR sur les migrants disparus a renforcé sa capacité à guider et à influencer le processus du FEMI et la phase suivante de la mise en œuvre du PMM[4].
À la suite d’efforts de plaidoyer concertés, l’Assemblée générale des Nations Unies a, dans le paragraphe 76 de la Déclaration de progrès du FEMI, demandé au Secrétaire général des Nations Unies de formuler « des recommandations concrètes sur le renforcement de la coopération en ce qui concerne les migrants disparus et la fourniture d’une assistance humanitaire aux migrants en détresse […], afin d’éviter les pertes de vies humaines en transit ». Un groupe de travail spécifique de l’UNNM a été créé pour répondre à ce mandat, l’OIM et le CICR dirigeant les travaux sur les personnes migrantes disparues, et l’OIM, le HCR et la FICR se concentrant sur l’assistance humanitaire aux personnes migrantes en détresse. Sur une période de 18 mois, le groupe de travail a mobilisé d’autres acteurs des Nations Unies et de la société civile, mené des consultations multipartites et rassemblé les bonnes pratiques[5], les enseignements tirés ainsi que les lignes directrices et outils existants en matière de prévention et de résolution des cas.
Ces travaux ont abouti à l’élaboration de 26 recommandations concrètes [document en anglais], présentées à l’Assemblée générale des Nations Unies dans un rapport du Secrétaire général en décembre 2024[6]. Il est important de noter que ces recommandations sont expressément conçues pour s’appliquer aux personnes réfugiées et à d’autres personnes ayant besoin d’une protection internationale, renforçant ainsi la complémentarité entre les deux Pactes mondiaux, sur les migrations et sur les personnes réfugiées, notamment dans le contexte des mouvements mixtes. Cette complémentarité, qui est soulignée de manière générale dans une section spécifique du rapport du Secrétaire général, est essentielle, car le Pacte mondial sur les réfugiés (PMR) ne comporte aucun engagement comparable à l’Objectif 8 du PMM. L’application des engagements de l’Objectif 8 à toutes les personnes traversant des frontières internationales dans des contextes de mouvements mixtes, quel que soit leur statut, représente une avancée majeure, car elle permet d’éviter les querelles définitionnelles souvent préjudiciables qui ont entaché les discussions antérieures.
L’engagement au niveau international, toutefois, n’aurait pas suffi, à lui seul, à favoriser des avancées concrètes dans les réponses des États aux personnes migrantes disparues, car cela suppose de donner la priorité à des efforts coordonnés de prévention, de recherche et d’identification le long des routes de migration, dans les pays d’origine, de transit et de destination, y compris dans les États n’ayant pas adopté le PMM.
Engagement au niveau régional
Les instances régionales et sous-régionales ainsi que, de manière tout aussi importante, les dialogues migratoires transrégionaux se sont révélés essentiels en offrant aux États des plateformes pour discuter et traiter ensemble les défis liés aux personnes migrantes disparues. Ces instances et ces processus peuvent contribuer à transformer les engagements internationaux en politiques ou recommandations concrètes adaptées aux réalités régionales. Cette approche a été reconnue par le Secrétaire général des Nations Unies, qui a recommandé en 2024 aux États membres d’« utiliser les instances régionales et sous-régionales pour faciliter la coopération entre États et les autres acteurs sur la recherche et l’identification le long des routes, par l’adoption de politiques communes, le partage d’informations et l’échange de pratiques[7] ». Depuis 2019, notamment grâce aux efforts de plaidoyer soutenus du CICR, de l’OIM et d’autres acteurs tant au niveau multilatéral qu’auprès des États individuels, un nombre croissant d’instances régionales à travers le monde s’est emparé de la question des personnes migrantes disparues.
En 2022, à l’issue de deux années de consultations, les 11 États membres de la Conférence régionale sur la migration dans les Amériques ont adopté un ensemble complet de « Recommandations sur les mécanismes régionaux de coordination et d’échange d’informations dans la recherche de personnes disparues dans le contexte de la migration » [document en anglais].
La même année, le Processus de Rabat (Dialogue euro-africain sur la migration) a commencé à se pencher sur la question au travers de discussions thématiques spécifiques, amenant ses 54 États membres à intégrer les personnes migrantes disparues dans leur plan d’action conjoint l’année suivante. Depuis lors, grâce à la direction solide de la Gambie et de la Suisse dans ce forum, avec l’appui du CICR, de l’OIM et du HCR, des avancées majeures ont été obtenues, notamment la création d’un Réseau de points focaux nationaux[8].
En Afrique, le CICR et la Commission de l’Union africaine ont conjointement organisé plusieurs réunions de haut niveau sur la question des personnes migrantes disparues. La Commission de l’Union africaine prévoit désormais, avec le soutien de l’OIM, d’élaborer un ensemble de lignes directrices continentales sur cette question. De même, plusieurs discussions ont eu lieu entre 2022 et 2024 dans le cadre de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) en vue d’élaborer un Plan stratégique pour les personnes migrantes disparues.[9]
En Europe, les discussions intergouvernementales – sans parler des cadres ou politiques – ont été dramatiquement insuffisantes (en dehors du Processus de Rabat), alors même que le continent recense le plus grand nombre de personnes migrantes disparues au monde sur ses côtes et à ses portes, notamment, mais pas uniquement, sur les routes méditerranéenne et atlantique. Toutefois, deux évolutions récentes permettent un certain optimisme. Au niveau de l’Union européenne, en mars 2024, la présidence belge a lancé la toute première discussion technique sur la question des personnes migrantes disparues au sein du Conseil de l’UE[10]. Au niveau de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, en octobre 2024, les parlementaires représentant 46 États membres ont adopté une résolution intitulée « Personnes migrantes, réfugiées et demandeuses d’asile disparues – Un appel à clarifier leur sort [11]».
En Asie, qui représente une part importante du nombre mondial de personnes migrantes disparues, les initiatives faisaient largement défaut. La situation a évolué à la fin de l’année 2024 avec la tenue d’une Table ronde politique [document en anglais] visant à améliorer la réponse face aux disparitions de personnes le long des routes dangereuses en Asie. Organisée par le Bureau régional d’appui du Processus de Bali, l’OIM, le HCR et le CICR, cette réunion a rassemblé plusieurs des 45 États membres de ce dialogue régional sur la migration. Toutefois, une action concertée des gouvernements sur la question des personnes migrantes disparues en Asie demeure un objectif ambitieux à plus long terme.
Bien que les initiatives régionales mentionnées ci-dessus soient importantes, elles varient considérablement en termes de profondeur, reflétant la complexité des réalités en matière de volonté et d’intérêt politiques, les capacités (ou l’absence de capacités) existantes, ainsi que le degré de perception négative de la migration irrégulière et des disparitions de personnes migrantes dans différentes sociétés. Néanmoins, l’expérience acquise au fil des années d’engagement sur cette question permet d’identifier plusieurs facteurs ayant clairement contribué à la réussite des actions diplomatiques humanitaires.
Facteurs de réussite
- Mobiliser des États moteurs
Comme pour de nombreuses questions humanitaires, le sort des personnes migrantes disparues est souvent négligé et dépend largement du plaidoyer des acteurs humanitaires. Cependant, il apparaît de manière récurrente que, lorsque des États décident de promouvoir activement cette question dans les discussions intergouvernementales, les résultats obtenus sont nettement meilleurs que lorsque seuls les acteurs humanitaires en assurent la défense. C’est ce qui a été observé, comme mentionné précédemment, avec la Gambie et la Suisse dans le cadre du Processus de Rabat, ainsi qu’avec la Belgique durant sa présidence de l’Union européenne. Les échanges entre pairs se révèlent également plus efficaces pour encourager l’action des États. La mobilisation d’un ou de plusieurs États moteurs pour qu’ils deviennent des chefs de file doit donc constituer une priorité stratégique dans toute démarche visant à exercer une influence dans les forums multilatéraux en vue de susciter des actions au niveau national. Par ailleurs, la mobilisation des pays d’origine pour qu’ils défendent activement la cause de leurs citoyens disparus est essentielle. Cela implique souvent de surmonter une culture de stigmatisation que de nombreux pays associent à la migration irrégulière de leurs citoyens.
- L’élargissement de la coalition
L’augmentation constante du nombre d’acteurs soutenant la diplomatie humanitaire en matière de personnes migrantes disparues a été déterminante. En particulier dans un contexte d’incertitude sans précédent quant au financement et aux mandats humanitaires, la force du nombre offre une garantie précieuse : elle permet d’assurer que le retrait d’un acteur n’entraînera pas l’abandon de la cause. La combinaison des mandats, de l’expertise, de l’influence et de la portée géographique d’acteurs, tels que l’OIM, le HCR, la FICR et le CICR constitue également une force unique, garantissant leur représentation et leur accès à un large éventail de forums et de discussions, tout en assurant la pertinence et la légitimité nécessaires pour traiter du sujet. Enfin, il est essentiel de promouvoir des rencontres entre la société civile et les gouvernements sur cette question sensible pour s’assurer de faire directement entendre les voix des personnes concernées par celles et ceux qui sont en mesure de faire évoluer les choses.
- Ancrer la diplomatie humanitaire dans les données et la pratique opérationnelle
Le fait de pouvoir fonder les orientations politiques sur des pratiques opérationnelles éprouvées, élaborées au fil des ans par le CICR, le Mouvement plus large de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge et de nombreux autres acteurs, constitue un élément clé de nos engagements. Peu d’arguments sont plus convaincants que de pouvoir démontrer que d’autres pays mènent déjà avec succès des recherches et des opérations d’identification de personnes migrantes disparues. De même, les données et les analyses fournies par le Projet Migrants Disparus de l’OIM demeurent une ressource essentielle pour toute action de plaidoyer. Il conviendrait donc de faire de l’élargissement de cette base de données probantes, par la poursuite des activités opérationnelles et le transfert de connaissances entre régions, une priorité collective.
Raisons d’être optimistes
Bien que les réponses étatiques à la détresse des personnes migrantes disparues et de leurs familles soient encore loin d’être à la hauteur, de nombreux progrès ont été accomplis depuis 2018. Les nombreuses initiatives, résolutions et réunions décrites dans cet article, conjuguées au nombre croissant de cas où des États ont pris des mesures efficaces (comme, par exemple, dans l’affaire du naufrage de Pylos), viennent confirmer cette affirmation[12]. Face à une question aussi sensible et complexe que celle des personnes migrantes disparues, l’adoption d’une perspective à long terme et le maintien d’une attitude optimiste constituent la seule voie possible.
Angela Cotroneo
Ancienne conseillère mondiale pour le déplacement interne et la migration, Comité international de la Croix-Rouge (CICR)
acotroneo@icrc.org
Florian von König
Responsable mondial du plaidoyer, Agence centrale de recherches, Comité international de la Croix-Rouge (CICR)
fvonkoenig@icrc.org
Les opinions exprimées dans cet article sont celles des auteurs et ne reflètent pas nécessairement celles du CICR.
[1] Voir, par exemple : OIM (2022) Migrants disparus, solutions inexistantes ? Examen de l’Objectif 8 du Pacte Mondial sur les Migrations en Afrique de l’Ouest, p5.
[2] Voir notamment le document CED/C/GC/1 du CDF : Observation générale n°1 (2023) sur les disparitions forcées dans le contexte des migrations | HCDH.
[3] Voir notamment la Résolution sur les migrants et réfugiés disparus en Afrique et les conséquences sur leurs familles – CADHP/RES. 486 EXT.OS/XXXIII) 2021 de la Commission africaine des Droits de l’Homme et des Peuples
[4] La déclaration a été publiée le 7 mars 2022 et cosignée par les dirigeants du Comité exécutif de l’UNNM, le président du CICR, la présidente de la FICR et le directeur général de la Commission internationale pour les personnes disparues. Elle appelait à des mesures plus efficaces pour sauver des vies et empêcher les personnes migrantes de disparaître, conformément au droit international et aux engagements du PMM.
[5]Pour le document rassemblant les pratiques, voir la page du flux de travail de l’UNMM ici [document en anglais].
[6] AGNU, Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières : Rapport du Secrétaire général, 14 novembre 2024, A/79/590
[7] United Nations Network on Migration Recommendations on saving migrants’ lives [document en anglais]
[8] Pour plus de détails, voir Röthlisberger, Saho et von König dans ce numéro.
[9] Voir, par exemple : CEDEAO – Réunions statutaires [document en anglais]
[10] Voir Royaume de Belgique (2 juillet 2024) Fin de la présidence belge du Conseil de l’Union européenne – Réalisations du SPF Affaires étrangères, Commerce extérieur et Coopération au Développement
[11] Voir Pahlke et Pisco dans ce numéro.
[12] Voir Lanzarone, Themelis et von König dans ce numéro.
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