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Migrants disparus en Afrique australe : renforcement des capacités d’enquête des États
  • Lucinda Evert, Stephen Fonseca et Vaughn Rossouw
  • May 2025
Le CICR rend visite à des familles de migrants disparus à Zaka, Zimbabwe. Crédit : Stephen Fonseca

De nombreuses autorités publiques chargées du traitement des migrants disparus et décédés gèrent ces cas au moyen de systèmes qui leur sont propres. Ces systèmes pourraient toutefois être optimisés avec un minimum d’ajustements pour relever les défis liés à ces disparitions et ces décès.

Les raisons qui poussent les gens à quitter leur foyer et à migrer sont nombreuses : instabilité politique, risques environnementaux ou difficultés économiques. Certains font le choix de demander l’asile politique, d’autres sont plutôt à la recherche de meilleures opportunités d’emploi. Malheureusement, beaucoup d’entre eux disparaissent dans diverses circonstances au cours de leur périple ou après être arrivés dans leur pays de destination. Parfois, ils sont détenus sans accès à des moyens de communication, ou bien ils ou leurs familles craignent de demander de l’aide sous peine de se voir déplacés. Il arrive aussi qu’ils décèdent pendant leur voyage ou une fois arrivés à destination. Il est important de ne pas oublier ces migrants et ces réfugiés vulnérables.

Afin de réduire le nombre élevé de migrants disparus et décédés sans papiers d’identification en Afrique australe, essentiellement entre l’Afrique du Sud et le Zimbabwe, le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) a déployé de 2016 à 2018 un projet pilote intitulé ‘Programme pour migrants disparus et décédés‘. Ce projet impliquait une collaboration avec les autorités sud-africaines et zimbabwéennes afin d’enrichir leurs systèmes, outils et ressources de localisation des personnes disparues, vivantes comme décédées. Ses objectifs étaient d’apporter des réponses aux familles de migrants disparus et décédés sur le sort de leurs proches, de rendre aux personnes décédées leur identité et leur dignité, de remettre leurs dépouilles à leurs familles pour leur permettre de les inhumer dignement, et d’améliorer le partage d’informations permettant de rechercher et d’identifier les migrants disparus et décédés entre les familles, les autorités publiques et les médecins légistes.

Sa première phase comprenait des échanges avec les représentants de l’État et des groupes communautaires afin de bien cerner le problème. Les disparitions étaient ensuite enregistrées et des entretiens menés avec les familles de migrants disparus en Afrique du Sud qui provenaient des districts de Zaka et de Gwanda au Zimbabwe. Au cours de ces entretiens, des informations étaient recueillies concernant le lieu où pouvaient éventuellement se trouver les migrants disparus. Des données personnelles susceptibles de faciliter leur identification étaient également collectées et compilées dans le cadre d’une demande de recherche (pour les enquêtes menées au sein des communautés sud-africaines). Enfin, un formulaire d’information sur les personnes disparues était rempli (afin de faire des recherches dans les bases de données des autorités et dans le cadre des enquêtes en cours). Au cours de la phase pilote du projet, 61 migrants ont fait l’objet de demandes de recherches et de formulaires de personnes disparues. Quinze d’entre eux ont été retrouvés et réunis avec leurs familles. Ce projet pilote a confirmé que les familles participent volontiers aux efforts de recherches dès lors que l’on met à leur disposition un moyen de signaler des proches qui ont disparu. Par ailleurs, les familles peuvent proposer des informations utiles sur les personnes disparues afin de faciliter les enquêtes, et des données peuvent également être intégrées à différentes bases de données publiques pour améliorer les efforts d’identification des personnes décédées.

Pour confirmer une identification, il est essentiel de disposer de suffisamment d’informations permettant d’établir des comparaisons et des correspondances. Il faut aussi envisager la possibilité que certains migrants disparus soient décédés après leur arrivée en Afrique du Sud. Bien qu’aucun chiffre officiel ne soit communiqué, les autorités estiment que jusqu’à 10 000 personnes non identifiées (parmi lesquelles figureraient beaucoup de migrants et de réfugiés) sont enterrées chaque année par les autorités sud-africaines. Pour apporter une solution à ce problème, le Comité international de la Croix-Rouge a aidé les autorités à améliorer les procédures d’identification médico-légale de l’une des principales morgues du pays, un centre qui traite jusqu’à 3 000 décès de causes non naturelles par an. Ces travaux comprenaient l’introduction d’examens secondaires menés à des fins d’identification après l’achèvement des autopsies, l’uniformisation des formulaires et des processus utilisés, et la formation des praticiens et des étudiants en médecine légale. Les praticiens effectuaient des radiographies, documentaient et photographiaient certaines caractéristiques d’identification uniques comme des cicatrices, des marques sur la peau, des tatouages, des piercings, des malformations ou des amputations. Ces informations, rassemblant des empreintes digitales ainsi qu’un échantillon d’ADN, étaient transmises aux autorités pour renseigner les recherches lancées dans leurs bases de données. Cette équipe médico-légale spécialisée a traité un total de 128 corps non identifiés au cours de cette période, et des examens secondaires ont permis de confirmer 57 identifications, soit un taux de réussite de 44 %. On notera que ces examens secondaires ont permis d’augmenter le nombre d’identifications de ressortissants étrangers mais aussi de citoyens sud-africains. Ce point présente clairement un avantage pour les autorités dans la mesure où les corps non identifiés sont considérés comme étant des ‘indigents’, et que leur enterrement est à la charge de l’État, ce qui constitue un coût élevé pour les finances du pays.

Développement d’un programme basé sur le projet pilote

Le projet pilote s’est révélé particulièrement prometteur. Le CICR a démontré les résultats immédiats de l’adoption d’une approche globale permettant aux familles du Zimbabwe de fournir des informations sur leurs proches disparus, et permettant de recueillir correctement des informations post-mortem à partir des corps non identifiés dans l’une des principales morgues d’Afrique du Sud. Ces succès ont permis de créer un programme peu coûteux sur la base du projet pilote (grâce à la coordination structurée des services de médecine légale, des forces de l’ordre, des universités, des Sociétés nationales de la Croix-Rouge et de la communauté dans son ensemble, et à des outils numériques de soutien communautaire), tout en donnant aux États les moyens de collecter et de partager des informations sur les personnes disparues avec des pays limitrophes qui tentent d’identifier des personnes décédées sur leur territoire[i]. Ce programme a également apporté une normalisation des formulaires et des procédures utilisés, et il a permis la création de l’Unité d’identification des défunts humains au sein du Service de médecine légale de Johannesburg. Grâce aux efforts de son personnel et de ses étudiants spécialisés en médecine légale, cette unité continue de procéder à des identifications secondaires et d’identifier des corps qui seraient autrement restés inconnus. Ces efforts ont permis d’augmenter de 22 % le nombre d’identifications.

Dans le cadre de la transformation du projet pilote en programme proprement dit, le personnel des services de police de la République du Zimbabwe a suivi une formation (au niveau provincial et au niveau de leur siège) sur les mesures à prendre lorsque des familles signalent la disparition d’un proche dans un autre pays. Cette formation était essentielle dans la mesure où de nombreux policiers ignoraient s’ils pouvaient accepter ces signalements et ne connaissaient pas la marche à suivre pour partager ces informations avec les autorités sud-africaines. Dans le cadre du système Interpol, tous les pays peuvent soumettre des notices jaunes (pour localiser une personne disparue) et des notices noires (pour localiser une personne décédée), et échanger des informations par-delà des frontières. Pour favoriser la diffusion de ces informations dans toutes les provinces du Zimbabwe, le CICR a aidé Interpol à créer une brochure d’information et des affiches expliquant les mesures à prendre. Les dossiers compilés au cours de la phase pilote ont été enregistrés auprès des autorités et se sont vus attribuer un numéro de référence officiel qui a été soumis à Interpol pour être transmis à l’Afrique du Sud.

Le CICR a également pris en compte le fait que de nombreux migrants et leurs familles peuvent hésiter à se manifester ou à s’entretenir avec les autorités à propos de proches disparus, notamment lorsqu’ils sont eux-mêmes sans papiers. Dans cette optique, le CICR a travaillé en étroite collaboration avec ses partenaires, la Croix-Rouge du Zimbabwe et la Croix-Rouge sud-africaine, pour permettre à ceux-ci d’agir en tant qu’intermédiaires entre les familles et les autorités. Les Sociétés de la Croix-Rouge disposent, au sein des communautés, de nombreux bénévoles dignes de confiance qui agissent souvent en tant qu’auxiliaires de l’État. Ces bénévoles ont été formés pour recueillir des données sur les personnes disparues auprès de leurs familles et communiquer ces informations aux autorités zimbabwéennes par le biais d’un système officiel. Les bénévoles d’Afrique du Sud sont également bien placés pour obtenir des informations susceptibles d’aider les autorités à élucider certaines affaires auprès de communautés vulnérables qui hésitent à échanger avec ces autorités. Toutes ces mesures jouent un rôle clé pour garantir que le programme, désormais appelé ‘Approche transnationale concernant les personnes disparues et décédées’, soit remis aux autorités et utilisé. Des Comités de surveillance composés de membres des ministères concernés soutiendront ce programme dans les deux pays. Ils seront chargés de la gestion et de l’orientation du programme.

Réflexions

Les programmes qui tentent de résoudre la question des personnes disparues ou décédées sont plus efficaces lorsqu’on les déploie en collaboration avec les autorités chargées d’enquêter sur ces cas. Ces initiatives nécessitent généralement peu de ressources et peuvent souvent être mises en œuvre à l’aide de mesures simples, comme des formations et un matériel rudimentaire. Une collaboration avec d’autres organisations de la société civile est vivement recommandée, notamment lorsque les autorités manquent de ressources humaines ou matérielles pour agir, ou que les personnes qui disposent d’informations pertinentes ne souhaitent pas les communiquer aux autorités par manque de confiance. Étant donné son faible coût et sa simplicité, ce programme serait facile à adapter et à mettre en œuvre dans d’autres pays dont les ressources sont limitées.

 

Lucinda Evert
Spécialiste de la médecine légale pour l’Afrique du Sud, Comité international de la Croix-Rouge (CICR)
levert@icrc.org
linkedin.com/in/lucinda-evert-1475b4204/

Stephen Fonseca
Directeur, Centre africain pour les systèmes médico-légaux, CICR
sfonseca@icrc.org
linkedin.com/in/stephen-fonseca-52197b180/

Vaughn Rossouw
Conseiller juridique, Centre africain des systèmes médico-légaux, CICR
vrossouw@icrc.org
linkedin.com/in/adv-vaughn-rossouw-8b426312a/

 

[i] Keyes, Craig Adam, Trisha-Jean Mahon et Allison Gilbert (2022) ‘Human Decedent Identification Unit: identifying the deceased at a South African medico-legal mortuary’ [Unité d’identification des défunts humains : identification des personnes décédées dans une morgue médico-légale d’Afrique du Sud] International Journal of Legal Medicine Volume 136 : 1889-1896

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