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Forfaits migratoires : marchandisation et risques des corridors des Amériques
  • Alberto Hernández Hernández et Carlos S. Ibarra
  • May 2025
Traversée du Rio Grande au moyen d’un radeau improvisé. Crédit : Alfonso Caraveo, El Colegio de la Frontera Norte, Mexique

La marchandisation des forfaits migratoires dans les couloirs des Amériques accentue l’inégalité des risques et force les migrants les plus vulnérables à emprunter des itinéraires plus périlleux. Il est urgent de mettre en place des politiques efficaces afin d’atténuer et de prévenir l’exploitation de ces personnes le long de ces couloirs.

Ces dernières années, le nombre de sans-papiers qui utilisent les itinéraires migratoires reliant l’Amérique du Sud et l’Amérique du Nord a affiché une forte hausse. Ces hommes et ces femmes sont généralement poussés par la précarité économique, des crises politiques et les changements des politiques liées à l’immigration aux États-Unis. On compte trois couloirs principaux : le bouchon du Darién, la frontière entre le Mexique et le Guatemala, et la frontière entre les États-Unis et le Mexique. Chacun de ces couloirs a ses propres dangers et sa propre économie locale qui conditionnent les trajets empruntés par les migrants.

Le bouchon du Darién est une région inhabitée et recouverte de forêts denses, située entre la Colombie et le Panama. Cette zone possède une végétation dense, des montagnes escarpées et des rivières dangereuses. Réputée pratiquement infranchissable jusqu’à récemment, elle est aujourd’hui traversée par des migrants venus d’Amérique du Sud, des Caraïbes, d’Afrique et d’Asie malgré les nombreux dangers qu’elle présente. Des guides locaux, appelés ‘coyotes’, vendent aux migrants du matériel de survie et organisent des zones de campement tandis que des réseaux criminels imposent des frais de passage ou font peser des menaces. Cette situation non régulée crée un environnement instable où les coûts liés à la sécurité peuvent très vite s’envoler. Les migrants qui manquent de moyens optent souvent pour des itinéraires très dangereux qui les exposent à des blessures, à des vols ou des séparations. Une Haïtienne a expliqué avoir accepté d’avancer de l’argent pour bénéficier d’un ‘raccourci’, mais elle dit avoir été forcée de payer des frais supplémentaires au cours de son passage.

Plus au nord, la frontière entre le Mexique et le Guatemala présente des postes de contrôle officiels ainsi que des services officieux qui permettent de traverser la rivière Suchiate sur des radeaux de fortune (payants). Les intermédiaires, ainsi que les exploitants de ces radeaux et les responsables locaux, exigent souvent des paiements supplémentaires en échange de ces services. Aux postes de contrôle situés à l’intérieur des terres, les migrants sont également victimes d’extorsions supplémentaires qui entament leurs maigres ressources et les poussent à s’endetter. La présence militaire peut par ailleurs pousser les migrants à emprunter des itinéraires encore plus dangereux tandis que les marchands locaux profitent de la situation pour leur vendre des fournitures essentielles au prix fort.

À la frontière des États-Unis et du Mexique, un renforcement de la loi pousse les passeurs à proposer des itinéraires coûteux mais ‘plus sûrs’. Les migrants paient souvent davantage pour obtenir des garanties partielles. Ces coûts peuvent varier en fonction de la nationalité ou du niveau de richesse perçu des demandeurs. La marchandisation qui prédomine dans ces couloirs de migration intensifie les risques pris par les plus vulnérables et souligne la nécessité de mettre en place des stratégies équitables pour lutter contre ces disparités.

Nos recherches se fondent sur un travail ethnographique de terrain, l’observation des participants et plus de 60 entretiens menés de 2020 à 2023 dans le bouchon du Darién, à la frontière du Mexique et du Guatemala, ainsi que dans divers sites du côté des États-Unis et du Mexique[i]. Les personnes interrogées comprenaient des migrants, des intervenants locaux et des responsables gouvernementaux[ii].

L’explosion du phénomène des ‘forfaits migratoires’

À travers ces couloirs, un nouveau marché de ‘forfaits migratoires’ a réinventé la façon dont les gens se déplacent vers le nord. Au lieu de s’en remettre uniquement aux offres des passeurs, de plus en plus de migrants achètent désormais des formules de services, souvent déclinés en 3 niveaux : « basique », « standard » et « VIP ». Ces forfaits promettent différents degrés de sécurité, de rapidité et de confort, allant d’un ravitaillement de base avec nourriture, tentes et kits de premiers secours, à la navigation sur des rivières dangereuses en bateaux hors-bord. Parfois, ils proposent des ‘services de protection’ avec escorte armée moyennant des frais supplémentaires.

Selon les passeurs, les intermédiaires locaux et les agences de voyages officieuses, ces forfaits offrent es prestations tout à fait minimales, laissant entendre que payer un prix plus élevé permettrait de réduire encore les risques. Les migrants les plus fortunés, capables de prouver qu’ils disposent de ressources financières ou de parrainages financiers, ont accès à des marches courtes, à des aires de repos organisées et à des zones de campement adaptées. Les guides peuvent aussi leur promettre des horaires de traversée plus sûrs (en évitant par exemple de traverser la jungle de nuit), ou mettre à leur disposition des canoës plutôt que des radeaux de fortune pour traverser les rivières. En réalité, beaucoup de ces itinéraires ‘exclusifs’ exposent les voyageurs à d’importants dangers physiques et à des contacts sporadiques avec des gangs criminels. Un migrant colombien a notamment raconté avoir payé près de deux fois le tarif habituel pour raccourcir son périple de deux jours, mais avoir été forcé de verser des paiements supplémentaires à des gardiens locaux à mi-parcours, anéantissant ainsi une grande partie de la prestation ‘premium’ qui lui avait été promise[iii].

Risques stratifiés et expériences différentielles

La marchandisation de la migration crée une hiérarchie inégalitaire des passages, qui reflète et renforce les inégalités existantes à l’échelle mondiale. Ceux qui peuvent se permettre d’acheter des services « premium » sont généralement exposés à des retards et des risques de vol ou de violence moindres. Ils peuvent bénéficier de consignes plus claires pour identifier les postes de contrôle à éviter, les transferts en bateau les plus rapides, ou obtenir des soins médicaux rudimentaires. Une ressortissante vénézuélienne que nous avons interrogée alors qu’elle voyageait avec deux jeunes enfants a expliqué qu’un ‘forfait VIP’ leur avait permis de contourner plusieurs zones de conflit connues dans le bouchon du Darién. Même si elle se savait exploitée, elle estimait que ces coûts supplémentaires étaient justifiés car ils lui permettaient de réduire l’exposition de ses enfants aux éléments et de limiter leurs contacts avec des gangs potentiellement violents[iv].

Les migrants qui disposent de moins de moyens endurent, quant à eux, des conditions beaucoup plus rudes : ils doivent emprunter des sentiers isolés dans la jungle, traverser des rivières de nuit sans matériel, vêtements, ou chaussures appropriés, ou confier leur sort à des réseaux de passeurs plus anciens qui ne garantissent plus la sécurité de leur passage. Ils sont également plus susceptibles de subir la désinformation qui circule sur les réseaux sociaux ou les rumeurs qui se propagent le long des couloirs. Ceux qui sont à court d’argent s’exposent à des problèmes d’extorsion locale ou d’arrestations répétées de la part d’agents corrompus qui exigent des pots-de-vin.

La situation est encore plus dangereuse pour les femmes qui voyagent seules ou avec des enfants, notamment dans les zones isolées qui ne disposent d’aucun abri formel. Les personnes interrogées ont indiqué que certains réseaux de passeurs exigent que les migrantes leur versent des ‘frais d’assurance’ supplémentaires pour éviter les agressions sexuelles. Ces suppléments constituent une autre forme d’exploitation. Les mineurs non accompagnés (dans beaucoup de cas des adolescents qui fuient la violence ou l’extrême pauvreté) ont expliqué qu’ils intègrent des groupes informels pour bénéficier d’une protection mutuelle, mais qu’ils restent à la merci d’enlèvements ou de travail forcé s’ils n’ont pas les capacités physiques de suivre le groupe, ou l’argent nécessaire pour payer les frais de passage réclamés.

Certains passeurs ciblent les migrants en fonction de leur nationalité ou de leur niveau de richesse perçu, en proposant notamment aux Sud-Américains hispanophones des tarifs légèrement différents de ceux proposés aux migrants haïtiens ou africains. Dans les régions frontalières du Mexique et du Guatemala, de nombreux migrants haïtiens et d’Amérique centrale ont indiqué avoir été orientés vers des itinéraires plus longs et plus dangereux par des passeurs qui estimaient qu’ils ne possédaient pas assez d’argent. Non seulement cette pratique ajoute un élément de discrimination raciale et économique, mais elle force aussi les personnes les plus démunies à suivre des itinéraires où les vols, les agressions et les abandons sont plus fréquents. En accentuant les hiérarchies sociales, la marchandisation migratoire expose les personnes les moins en capacité de choisir aux risques les plus extrêmes.

L’impact sur l’accès humanitaire et les interventions de sauvetage

Si les agences humanitaires et les organisations locales tentent d’apporter de l’aide dans ces couloirs, les différentes facettes de l’activité des passeurs compliquent considérablement leurs interventions. Les migrants qui paient des suppléments contournent souvent les itinéraires officiels et trouvent refuge dans des cachettes auxquelles les groupes d’aide n’ont aucun accès. Les personnes les moins fortunées, quant à elles, se retrouvent souvent dispersées sur des sentiers isolés ou forcées de séjourner de manière prolongée dans des villes frontalières à risque, une situation qui ne facilite pas la mise en œuvre d’interventions humanitaires cohérentes.

Des bénévoles intervenant dans des sites comme Necoclí (en Colombie) ou Tapachula (au Mexique) ont constaté que les modifications incessantes des itinéraires par les passeurs les empêchait de proposer des services essentiels comme une aide médicale ou un ravitaillement alimentaire. L’utilisation d’itinéraires clandestins réduit également les chances de déploiement d’interventions rapides en cas d’urgence. Dans le bouchon du Darién, par exemple, les migrants qui s’éloignent des sentiers établis pour éviter d’être repérés sont plus susceptibles de se perdre ou de se blesser, sans espoir d’être secourus rapidement. La marchandisation des passages met donc les migrants les plus démunis en danger, mais elle fait aussi obstacle aux efforts humanitaires en augmentant la fragmentation et l’invisibilité des populations vulnérables.

Le rôle des réseaux sociaux

Les outils numériques constituent pour de nombreux migrants des bouées de sauvetage essentielles, par exemple grâce à la mise à jour en temps réel des postes de contrôle actifs, aux discussions sur les nouvelles réformes politiques, ou aux conseils pour la recherche d’hébergements plus sûrs ou d’aides juridiques. Mais paradoxalement, cet environnement renforce aussi la marchandisation migratoire. Les forums en ligne, les groupes WhatsApp, les comptes TikTok et les pages Facebook offrent aux passeurs des espaces publicitaires clés où ils peuvent présenter leurs ‘offres à durée limitée’ ou leurs ‘forfaits migratoires’. Certains se présentent comme des bénévoles humanitaires, mais exigent des frais exorbitants après avoir gagné la confiance des migrants.

Les influenceurs et les Youtubeurs qui cherchent à « faire le buzz » enjolivent parfois le récit de ces voyages, présentant des images magnifiques de la traversée de rivières ou d’escalades de montagnes tropicales, en passant sous silence la brutale réalité vécue par les migrants. Ces représentations fausses peuvent induire en erreur les candidats au voyage, les amener à en sous-estimer les coûts financiers et personnels et à surestimer les taux de réussite de certains itinéraires.

Quoi qu’il en soit, les réseaux sociaux restent un outil puissant pour les organismes de terrain. Les ONG et les défenseurs des droits des migrants utilisent Telegram ou WhatsApp pour diffuser des avertissements sur les réseaux d’extorsion connus ou les autorités locales sans scrupules. Dans certaines villes frontalières, des pages Facebook gérées par des bénévoles publient des listes actualisées d’‘intervenants à éviter’ pour encourager les migrants à signaler immédiatement toute pratique abusive. Ces initiatives collectives apportent une protection fragile mais essentielle des consommateurs. Malheureusement, par manque de connaissances numériques, et du fait des barrières linguistiques et d’un accès limité à Internet, beaucoup de personnes dans certaines populations migrantes peuvent se trouver particulièrement vulnérables face aux publicités trompeuses. Au final, les plateformes numériques sont à l’image des désordres qui règnent dans les couloirs migratoires : elles favorisent à la fois la solidarité et la tromperie, l’autonomisation et l’exploitation.

Les bonnes et les mauvaises pratiques

Plusieurs initiatives locales et populaires se sont donné pour mission de réduire les pratiques abusives au sein de ces couloirs. À Tapachula, par exemple, des initiatives d’‘économie bienveillante’ dirigées par des migrants ont vu le jour, proposant des repas partagés ainsi que des informations par le biais de cuisines communautaires organisées par des femmes Haïtiennes. En mettant en commun leurs ressources et leurs connaissances, les migrants réduisent leur dépendance vis-à-vis services des passeurs. Des ONG locales et des groupes religieux distribuent également des fournitures de base et donnent des conseils pour ‘passer’ les postes de contrôle régionaux et réduire ainsi la vulnérabilité des migrants aux ‘garanties’ frauduleuses.

Pourtant, ces interventions ne produisent pas toujours les résultats escomptés. Les déploiements militaires à la frontière du Mexique et du Guatemala censés perturber le trafic des passeurs poussent souvent les migrants à emprunter des itinéraires moins fréquentés et plus périlleux. Le renforcement des postes de contrôle fait, quant à lui, grimper les frais facturés par les passeurs et aggrave le recours aux itinéraires clandestins. De même, certaines déclarations politiques très médiatisées, portant par exemple sur les accords transfrontaliers censés faire reculer les déplacements illégaux, font indirectement augmenter les demandes de passages illégaux en restreignant les itinéraires plus sécurisés et réglementés. Ces mesures bien intentionnées peuvent exacerber les problèmes qu’elles tentent de résoudre.

La mise en place de programmes pilotes visant à réglementer l’activité des guides locaux et à garantir des prix fixes dans le bouchon du Darién ont eu des effets prometteurs. En délivrant des autorisations officielles et en uniformisant les coûts des services, les dirigeants communautaires font reculer l’extorsion et protègent les migrants des intermédiaires douteux. Ces mesures exigent toutefois une surveillance continue pour éviter toute cooptation de réseaux criminels.

Le bilan de ces opérations est clair. L’application de la loi au coup par coup, ou la répression généralisée peuvent inciter les passeurs à adopter de nouvelles stratégies qui nuisent plus particulièrement aux migrants les plus démunis. Les politiques et les pratiques devraient plutôt s’appuyer sur les efforts menés par les communautés, prioriser les passages les plus sûrs et assurer une surveillance transparente. Ce type d’approches pourrait faire reculer l’exploitation au lieu de la déplacer vers des zones encore plus dangereuses.

Réflexions et recommandations

Nos recherches confirment que le passage des migrants dans certains couloirs, comme le bouchon du Darién ou la frontière du Mexique et du Guatemala, s’inscrit de plus en plus dans une logique commerciale qui expose les personnes les plus vulnérables à des risques accrus. Les réseaux sociaux favorisent à la fois les déplacements des migrants et les profits des passeurs, tandis que les économies locales, souvent liées aux réseaux de passeurs, génèrent des marchés parallèles de vente de matériel de base et de ‘itinéraires plus sûrs’.

Les interventions politiques doivent envisager les intérêts criminels de manière réaliste et prendre pleinement en compte l’importance du marché de la migration dans l’économie locale. Au lieu d’opter pour une répression généralisée qui ne fait qu’accroître les dangers auxquels sont exposés les migrants, la mise en place de mécanismes de surveillance discrets pourrait permettre d’identifier et de sanctionner les actes d’exploitation réitérés (y compris par des agents du gouvernement) sans pour autant pénaliser les petites entreprises communautaires. La coopération régionale devrait faire pression afin d’obtenir des services à prix plus raisonnables et des voies de migration plus sûres et plus fiables, même lorsque celles-ci sont en partie informelles, plutôt que de pousser les migrants à emprunter les itinéraires des réseaux criminels.

L’action humanitaire pourrait promouvoir des partenariats triés sur le volet et tenant pleinement compte de la réalité des conflits, en réunissant des intervenants locaux approuvés et ne bénéficiant pas directement des agissements délétères des passeurs. La création de points d’orientation neutres, sans lien avec les plaques tournantes des passeurs, et leur soutien par le biais d’unités de soins de santé mobiles ou d’aides juridiques, contribuerait à réduire la dépendance des migrants aux ‘forfaits’ abusifs. Pour établir la confiance au niveau local, il faudrait peut-être apporter des solutions créatives à faible visibilité afin de protéger les habitants des représailles des bandes organisés. Les recherches à venir pourraient aborder des sujets comme la création des moyens de subsistance nécessaires pour mettre fin à la dépendance locale aux revenus liés aux activités de trafic, et approfondir l’étude de la désinformation numérique et de ses effets sur les choix faits par les migrants.

 

Alberto Hernández Hernández
Enseignant chercheur (Profesor-Investigador), El Colegio de la Frontera Norte (Collège de la fontière Nord), Mexico; Universidad de los Andes (Université des Andes), Colombie
ahdez@colef.mx
bit.ly/google-scholar-hernandez-hernandez

Carlos S. Ibarra
Chercheur pour le Mexique (Investigador x México), Secretaría de Ciencia, Humanidades, Tecnología e Innovación (Secrétariat des Sciences, des Sciences Humaines, de la Technologie et de l’Innovation de l’État mexicain) ; Escuela de Antropología e Historia del Norte de México (Faculté d’Anthropologie et d’Histoire du Nord du Mexique)
samuel.ibarra@secihti.mx
bit.ly/google-scholar-ibarra

 

[i] Hernández A et Ibarra CS (2023) ‘Navegando Entre Dominación y Empatía: Desafíos Éticos y Metodológicos en la Investigación del Corredor Migratorio del Tapón del Darién’ [document en espagnol], Tramas y Redes, 5:29–46

[ii] Dans tous les cas, nous avons obtenu un consentement éclairé, privilégié l’anonymat et remis en question notre propre influence.

[iii] Cruz-Piñeiro R, Hernández Hernández A, Ibarra CS (2024) ‘Commodifying Passage: Ethnographic Insights into Migration, Markets, and Digital Mediation at the Darién Gap and Mexico–Guatemala Border’, [document en anglais] International Migration Review, 58(4), 2141-2166.

[iv] Zepeda B, Carrión F, Enríquez F (Eds) (2022) Latin America’s Global Border System: An Introduction [document en anglais], Routledge.

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