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Élaborer des réponses politiques aux migrants disparus par l’intermédiaire du Conseil de l’Europe
  • Julian Pahlke et Paulo Pisco
  • May 2025
Une session de l’APCE en janvier 2025 au Palais de l’Europe. Crédit : © Conseil de l’Europe/Candice Imbert

L’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe s’efforce de rassembler les gouvernements, les parlementaires et les acteurs de la société civile de toute l’Europe afin de concevoir et de promouvoir des politiques humaines efficaces pour prévenir les décès et les disparitions de migrants.

Les organisations internationales, les gardes-côtes et les ONG fournissent régulièrement des chiffres alarmants sur le nombre (sous)estimé de morts, de personnes disparues et de personnes en détresse dans le contexte de la migration. Le coup de projecteur porté sur cette tragédie a suscité une prise de conscience et accru les pressions au sein de nos sociétés européennes en faveur de la reconnaissance de notre obligation morale d’agir et d’apporter une réponse à la fois humanitaire et humaine. Pourtant, malgré une reconnaissance grandissante des nombreux facteurs (souvent complexes) qui exposent des hommes, des femmes et des enfants à une extrême vulnérabilité dans le contexte migratoire, les incidents et signalements de décès ou de disparitions de migrants lors de trajets périlleux ne cessent d’augmenter.

Dédié à la défense des droits humains, de la démocratie et de l’État de droit, le Conseil de l’Europe est une organisation internationale qui regroupe 46 États, et se compose de parlementaires désignés par les parlements nationaux. L’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE) en est l’organe politique délibérant, qui se réunit quatre fois par an. Bien qu’elle ne puisse pas légiférer, elle dispose de divers pouvoirs lui permettant de rendre les gouvernements membres comptables de leurs actions de différentes manières[1]. Dans le cadre de son action, l’APCE collabore avec les États membres pour concevoir et promouvoir des réponses politiques efficaces en vue de prévenir les décès et les disparitions dans le contexte des migrations. En tant que responsables politiques, notre capacité d’action repose avant tout sur le cadre juridique applicable dans nos pays respectifs, ainsi que sur les organisations régionales et internationales dont nos États sont membres. Toutefois, bien que le droit international relatif aux droits de l’homme et le droit international des réfugiés énoncent des principes et des obligations clairs, leur mise en œuvre concrète dans la gestion des frontières demeure complexe, notamment en raison des débats fortement polarisés autour des questions de sécurité intérieure et de politique migratoire.

Au sein des États membres du Conseil de l’Europe, les principes du droit à la vie et de la prévention de la torture ainsi que des traitements inhumains et dégradants sont fondamentaux et nul ne peut y déroger. Il s’agit de droits qui ne peuvent être ni violés ni suspendus, même en période d’urgence. La Convention européenne des droits de l’homme protège les droits de toutes les personnes en Europe et impose des obligations qui, si elles sont correctement mises en œuvre, pourraient contribuer à prévenir la disparition ou la mort de migrants, et à garantir que les familles soient informées du sort de leurs proches disparus. La plupart des États membres sont également liés par de nombreux autres instruments juridiques du Conseil de l’Europe, tels que la Convention pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants, la Convention sur la lutte contre la traite des êtres humains, la Convention sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, ainsi que la Convention pour la protection des personnes à l’égard du traitement automatisé des données à caractère personnel.

D’autres obligations internationales découlent notamment de la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées et de la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille. La Convention internationale pour la sauvegarde de la vie humaine en mer et la Convention internationale sur la recherche et le sauvetage maritimes énoncent également des obligations très claires pour les États comme pour les acteurs non étatiques en matière d’assistance et de secours aux personnes en détresse en mer.

De nombreuses initiatives ont permis de réfléchir à la manière dont les normes existantes devraient être interprétées et mises en œuvre dans le contexte des migrations internationales. Parmi les exemples figurent l’adoption par le Comité des disparitions forcées de l’ONU du Commentaire général no 1 (2023) sur les disparitions forcées dans le contexte de la migration en 2023, ainsi que la promotion par le Secrétaire général de l’ONU des « Recommandations pratiques sur le renforcement de la coopération en matière de migrants disparus et la fourniture d’une assistance humanitaire aux migrants en détresse » [document en anglais], en 2024.

À travers la Méditerranée, ainsi qu’en ce qui concerne d’autres océans et mers en Europe, les initiatives de la société civile ont structuré leurs travaux conformément au droit international de la mer. Elles ont mis au point leurs propres méthodes de travail ainsi que des protocoles pour compléter les capacités des autorités officielles de recherche et de sauvetage (SAR) à sauver des vies. D’autres initiatives locales associent des praticiens de la médecine légale qui ont mis en place leurs propres systèmes pour tenter de retracer et d’identifier les corps de personnes probablement migrantes. Parmi les exemples de bonnes pratiques, on peut citer la conservation des données post-mortem recueillies sur les corps, susceptibles de faciliter une identification ultérieure ; le déploiement d’équipes d’identification des victimes de catastrophes en cas de naufrage ; la signalisation des tombes des corps non identifiés, susceptibles d’être ceux de personnes migrantes ; et la formation des procureurs à l’importance d’enquêter sur les corps non identifiés pour augmenter les chances de découvrir leur identité.

Ces efforts ont contribué à dégager un consensus sur l’importance de traiter et de prévenir la vulnérabilité dans le contexte des migrations. Toutefois, la coopération transnationale exige une harmonisation des procédures entre les multiples acteurs étatiques et non étatiques, notamment les services judiciaires, de police, de recherche et de sauvetage, consulaires et médico-légaux. De plus, il est nécessaire de clarifier les rôles et responsabilités distincts des autorités publiques et de la société civile. Ces entités sont trop souvent mises en opposition, ce qui peut conduire à la criminalisation des ONG dans les cas les plus graves et entrave gravement l’efficacité de toute tentative de prévention des disparitions, de recherche et de sauvetage des personnes en détresse, ainsi que d’identification des personnes disparues.

Promouvoir l’élaboration des politiques

L’ensemble des normes du Conseil de l’Europe fournit un cadre exhaustif pour prévenir les violations des droits de l’homme et promouvoir des politiques respectueuses de ces droits pour toutes et tous, y compris pour les personnes en déplacement, comme le confirment la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et le Plan d’action pour la protection des personnes vulnérables dans le contexte de la migration et de l’asile en Europe (2021–2025)[2].

Faire face aux situations de détresse dans le contexte migratoire signifie, avant tout, mettre en place des mécanismes préventifs concrets conformes aux normes des droits de l’homme pour lesquelles les États membres se sont engagés. Le Conseil de l’Europe propose des normes sans équivalents qui incarnent les principes universels des droits de l’homme établis par les sociétés européennes sur les décombres de la Seconde Guerre mondiale, il y a 75 ans. Le Conseil permet également aux 46 États membres de discuter de la mise en œuvre concrète de ces normes, grâce aux organes de surveillance de ces conventions ; particulièrement pertinents sont les mécanismes de suivi concernant la prévention de la torture, la lutte contre la traite des êtres humains, ainsi que la lutte contre la violence fondée sur le genre et la violence domestique. Le Conseil de l’Europe fournit également des cadres de coopération aux autorités publiques compétentes, telles que les procureurs, les institutions nationales des droits humains et les ministères des Affaires étrangères, ainsi que des outils de formation à l’intention des organes judiciaires et administratifs. Du point de vue de la gestion des frontières ou pour éviter aux personnes migrantes de se lancer dans des voyages risqués, il est essentiel de garantir un accès effectif à des voies légales de mobilité.

L’APCE – l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe – offre un forum privilégié pour réfléchir à ces obligations, identifier les défis auxquels nos pays et leurs populations sont confrontés, et promouvoir de bonnes pratiques ainsi que des mesures politiques qui répondent à ces défis dans le respect du droit international relatif aux droits de l’homme. L’Assemblée rassemble 612 parlementaires issus des 46 délégations nationales, de tous les horizons politiques et travaillant au sein de cinq groupes politiques. Les membres de l’APCE élisent les juges de la Cour européenne des droits de l’homme. Ils adoptent des documents qui n’ont pas de valeur légale, mais revêtent une importance politique, avec l’autorité morale nécessaire pour encourager le changement et, parfois, ouvrir la voie à l’adoption de conventions internationales.

En 2024, l’Assemblée a adopté une résolution sur la manière de clarifier le sort des personnes migrantes disparues, parallèlement à une Recommandation[3] adressée au Comité des ministres (l’organe décisionnel du Conseil de l’Europe). Cette étape importante a marqué la reconnaissance par l’APCE de la tragédie des migrants disparus et du rôle que joue le Conseil de l’Europe en matière de prévention et de lutte dans ce domaine[4]. Cette résolution reconnaît l’importance de la coopération internationale, conformément à l’Objectif n° 8 du Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières, et s’aligne sur les engagements pris par la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples en 2021, ainsi que par la Commission interaméricaine des droits de l’homme en 2019.

La résolution aborde également la question importante des bases de données. De nombreuses parties prenantes disposent en effet d’informations susceptibles de faciliter la recherche et l’identification des personnes migrantes disparues, que celles-ci soient mortes ou vivantes. Toutefois, il reste encore beaucoup à faire pour que ces ensembles de données puissent « communiquer entre eux », depuis de l’inclusion de garanties de protection des données personnelles jusqu’à la normalisation de la collecte de données, afin que les informations puissent être comparées de manière sûre et efficace. Cela inclut le marquage individuel des tombes pour les associer par la suite aux données recueillies. Rassembler les données est une tâche colossale qui implique des enjeux en matière de droits de l’homme, techniques, juridiques et politiques, mais qui est essentielle pour permettre aux familles de recevoir des informations sur le sort de leurs proches disparus et d’avoir accès à leur sépulture. Les familles ont besoin d’un point de contact pour obtenir une aide et des informations sûres et fiables, y compris sur la façon de fournir un échantillon d’ADN, sans crainte de représailles. Ce qui se fait souvent de manière locale et déconnectée doit être regroupé par les autorités publiques dans un cadre politique cohérent. Les autorités officielles doivent être impliquées afin que les nombreuses initiatives locales puissent être reproduites ; il s’agit-là d’une question de politique publique.

En ce qui concerne les opérations de SAR et les stratégies visant à sauver la vie des personnes migrantes en mer, une deuxième résolution en cours de préparation explorera les voies politiques et les bonnes pratiques[5]. Cela implique une meilleure coopération tant au niveau des États qu’au niveau paneuropéen, un financement suffisant, ainsi que la reconnaissance et le respect du rôle important que joue la société civile dans la protection des droits des personnes migrantes, tant sur terre qu’en mer. D’un point de vue du droit international relatif aux droits de l’homme, des mesures plus efficaces sont nécessaires pour lutter contre le trafic de personnes migrantes (un crime qui ne doit pas être confondu avec le franchissement irrégulier des frontières) ; ni les personnes migrantes, ni ceux et celles qui défendent les droits de l’homme ne doivent être criminalisés. Dans l’ensemble, le respect du droit international et la garantie d’un débarquement sûr, d’un traitement respectueux, de l’accès aux soins de santé (y compris les soins de santé mentale) et d’un accès effectif aux procédures d’asile et aux conseils juridiques sont également des éléments clés pour sauver des vies en mer.

Les recommandations politiques examinées dans cet article s’appuient sur une série d’auditions et de missions d’information menées dans la région d’Évros[6], à Lampedusa[7] et à Calais[8].

Promouvoir l’engagement parlementaire

En tant que membres de l’APCE, notre travail va au-delà de la recherche d’un consensus politique au sein de l’Assemblée sur nos résolutions. En notre capacité de rapporteurs, nous accordons une importance particulière au suivi de ce travail. Alors que la situation ne cesse de se dégrader pour les hommes, les femmes et les enfants en Europe et au-delà, la promotion de ces recommandations politiques auprès des différents parlements nationaux est primordiale.

Au niveau national, nous sommes en mesure de promouvoir ces décisions au sein de nos parlements respectifs par le biais d’auditions ou de l’ouverture d’enquêtes. Les parlementaires votent le budget dans leur pays, et peuvent faciliter les discussions sur l’allocation de ressources supplémentaires afin de renforcer les capacités des entités chargées des questions migratoires, qu’il s’agisse de l’identification, des recherches ou des procédures de rapatriement, ou encore des structures d’accueil, de soutien, ou des mécanismes de surveillance des droits de l’homme aux frontières.

Les parlementaires peuvent également assurer un suivi en dialoguant avec le Comité des ministres du Conseil de l’Europe ; les recommandations politiques sur les personnes migrantes disparues ont été présentées fin 2024 aux représentations permanentes des États membres ainsi qu’au Réseau des points focaux sur la migration des États membres. L’organisation d’événements avec des parlementaires, y compris les observateurs et les partenaires pour la démocratie de l’APCE[9] en Europe et au-delà, peut renforcer la coopération parlementaire et accroître la dynamique.

Enfin, nous estimons que les parlementaires ont la responsabilité de faire connaître les recommandations politiques adoptées par l’APCE au-delà des institutions politiques, afin de sensibiliser plus largement. Les Européennes et les Européens ignorent souvent le lien qui existe entre les parlements nationaux et le Conseil de l’Europe, ainsi que leurs capacités, en tant que citoyennes et citoyens, à interpeller leurs représentant(e)s parlementaires pour qu’ils et elles s’engagent à respecter les décisions prises à Strasbourg.

La tragédie des morts de migrants en mer et des migrants disparus est un rappel insupportable que ces êtres humains vulnérables (celles et ceux qui cherchent une protection internationale et fuient les guerres, les persécutions, les crises et les catastrophes, la pauvreté extrême et le danger) demeurent marginalisés dans leur capacité à accéder aux droits les plus fondamentaux et à la dignité. Le Conseil de l’Europe a un rôle important à jouer pour rassembler les gouvernements, les parlementaires et les acteurs de la société civile de notre continent européen et au-delà, afin de répondre aux défis sociaux sous l’angle des droits de l’homme et de la dignité humaine.

 

Julian Pahlke
Membre du Bundestag allemand ; membre de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (Allemagne, SOC) ; rapporteur pour le suivi sur « Personnes migrantes, réfugiées et demandeuses d’asile disparues – Un appel à clarifier leur sort ».
asmig@coe.int
X: @J_Pahlke

Paulo Pisco
Membre du parlement portugais ; membre de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (Portugal, SOC) ; rapporteur sur le thème « Sauver la vie des migrants en mer et protéger leurs droits humains ».
asmig@coe.int

Les auteurs tiennent à remercier Marie Martin et Gaël Martin-Micallef, secrétaires de la Commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées de l’APCE, pour leur contribution à cet article.

 

[1] Voir https://pace.coe.int/fr/pages/powers

[2] Plan d’action du Conseil de l’Europe sur la protection des personnes vulnérables dans le contexte des migrations et de l’asile en Europe (2021-2025) bit.ly/protection-migrations-asile-plan

[3] Recommandation 2284 (2024) de l’APCE au Comité des ministres du Conseil de l’Europe sur « Personnes migrantes, réfugiées et demandeuses d’asile disparues – Un appel à clarifier leur sort » bit.ly/migrants-réfugiés-asile

[4] APCE, résolution 2568 (2024) sur « Personnes migrantes, réfugiées et demandeuses d’asile disparues – Un appel à clarifier leur sort » https://pace.coe.int/fr/files/33815/html et mémoire explicatif bit.ly/APCE-migrants-réfugiés-asile

[5] Voir le mémorandum explicatif adopté par la Commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées. Les recommandations politiques seront soumises à un vote en juin 2025 https ://rm.coe.int/committee-on-migration-refugees-and-displaced-persons-report-saving-mi/1680b5419f [document en anglais].

[6] Représentant spécial du Conseil de l’Europe pour la migration et les réfugiés (2024) « La Commission de l’APCE sur la migration discute des défis actuels et émergents ; le rapporteur de l’APCE visite la Grèce – Représentant spécial du Secrétaire général pour la migration et les réfugiés. » https://www.coe.int/en/web/migration-and-refugees/-/pace-committee-on-migration-discusses-ongoing-and-emerging-challenges-pace-rapporteur-visits-greece [Document en anglais]

[7] APCE (2024) « Les États membres doivent faire preuve de plus de solidarité à l’égard des migrants arrivant à Lampedusa, porte de l’Europe » bit.ly/Lampedusa-migrants-migration

[8] APCE (2023) « Améliorer la situation humanitaire des réfugiés, migrants et demandeurs d’asile dans les régions de Calais et de Dunkerque » bit.ly/Calais-Dunkerque-migrants-asile

[9] APCE, liste des parlements nationaux et des États non membres ayant le statut d’invités spéciaux, d’observateurs et de partenaires pour la démocratie bit.ly/invités-observateurs-démocratie

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