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Processus de retour en Bosnie, droits de propriété et reconstruction

L’annexe 7 de l’accord de paix de Dayton représentait une avancée révolutionnaire dans l’histoire du règlement des conflits. Pour la première fois, un texte affirmait que les personnes déplacées ne devaient pas seulement avoir la possibilité d’être rapatriées dans leur pays d’origine mais également de retourner chez elles, là où elles habitaient avant la guerre. Cette modalité s’appuyait sur ce qui était perçu alors comme un impératif moral : le renversement du « nettoyage ethnique » qui avait eu lieu au cours de la guerre (et que la communauté internationale avait été incapable de stopper). Tel qu’il était perçu, le succès de l’annexe 7 était donc directement lié aux « retours des minorités », c’est-à-dire au retour des personnes déplacées dont l’ethnicité était dorénavant numériquement minoritaire dans leur région d’origine. Néanmoins, cet objectif créait une tension évidente avec le langage des droits humains dans lequel il était ancré, qui souligne le droit des personnes à choisir leur destination (c’est-à-dire de retourner chez elles ou non) et leur droit à recouvrer leur propriété ou d’obtenir une indemnisation (articles I.1 et 4 de l’Annexe 7).

Un grand nombre de propriétés avaient été détruites au cours de la guerre. De plus, de nombreuses autres propriétés, principalement en milieu urbain, restaient inaccessibles car elles avaient été occupées par d’autres personnes déplacées d’origine ethnique différente, et leur restitution faisait l’objet d’une opposition féroce par toutes les parties. En réaction, la communauté internationale a conçu et mis en œuvre en 1999 le Plan d'application des lois sur la propriété (Property Law Implementation Plan, PLIP[1]) supervisé par la Commission chargée de régler les réclamations des réfugiés et personnes déplacées portant sur des biens fonciers (CRPC). Avec la restitution de 200 000 unités de logement occupées, et un taux de restitution passé de 21 % la première année à 92 % la quatrième,[2] le PLIP constitue l’un des plus grands succès de la mise en œuvre de l’annexe 7 et de la restitution des droits.

Toutefois, on oublie souvent que la reconstruction était une question encore plus cruciale que la restitution des propriétés. Selon les estimations de l’UNHCR, 459 000 unités de logement avaient été partiellement ou intégralement détruites (plus de la moitié du nombre de demandes de reprise de possession déposées par le CRPC). 60 % du parc immobilier avait été partiellement détruit et 18 % complètement détruit, non seulement au cours des combats mais aussi après la signature des accords de Dayton par les personnes essayant d’empêcher le retour des populations.

En 2008, seulement la moitié de ces unités environ (quelque 260 000 logements) avaient été reconstruites, principalement en raison du manque de fonds.[3] Le contraste frappant entre le rôle solide et décisif de la communauté internationale concernant la mise en application des droits de propriété et son rôle beaucoup plus défaillant concernant le processus de reconstruction était principalement dû au coût de ce dernier. Il est important de noter que, si le PLIP était de tout évidence ancré dans le langage des droits, l’assistance à la reconstruction était quant à elle principalement cataloguée comme une assistance humanitaire.

Milieu rural vs. milieu urbain

Le PLIP est considéré comme un succès non seulement en termes de restitution des droits mais aussi parce qu’il a facilité l’avancée du processus des retours minoritaires à partir de l’an 2000, lorsque les propriétés ont enfin été mises à disposition de leurs propriétaires. Toutefois, on précise moins souvent que cela impliquait d’expulser les personnes qui occupaient ces propriétés, dont une grande proportion était d’origine rurale et dont le principal problème au moment de leur retour était la reconstruction et non pas la reprise de possession.

La tension entre l’approche axée sur les droits impliquée par l’accord de paix de Dayton et l’impératif moral (et politique) pour annuler les effets du nettoyage ethnique apparaît de manière plus évidente lorsque l’on étudie la position dans laquelle ont été mis (principalement) les rapatriés ruraux. Dans de nombreux cas, suite à la mise en œuvre du PLIP, les familles ont été expulsées avant que leur maison ne soit reconstruite, en raison de la pénurie de fonds destinés à la reconstruction. Alors que ces fonds étaient loin de manquer à la fin de la guerre, la lassitude des donateurs était déjà évidente en 1999, de même qu’un vaste écart de financement de la reconstruction. En 2002, cet écart de financement entre les demandes de reconstruction et les fonds disponibles s’élevait à 600 millions d’euros.

Les personnes disposant du statut de PDI et vivant en dessous un certain seuil de revenu avaient le droit de bénéficier d’un logement alternatif temporaire. Mais avec le temps, elles risquaient de perdre leur statut de PDI (et donc leur accès à ce logement) si elles ne s’engageaient pas elles-mêmes en faveur de la reconstruction. Et une fois que l’assistance à la reconstruction leur était accordée, elles perdaient alors leur droit à un logement alternatif. En bref, dans les faits, le PLIP poussait les personnes au retour, notamment les personnes d’origine rurale.

Cela ne veut pas dire qu’il n’y ait pas eu de véritables cas de retours volontaires parmi les rapatriés ruraux ; au contraire, de nombreuses personnes avaient attendu ardemment de pouvoir retourner chez elles. Toutefois, certains des habitants locaux que j’avais interrogés décrivaient le processus de retour en trois étapes principales. En premier lieu venaient les « pionniers », ou « les fous », qui avaient pris le chemin du retour spontanément, sans soutien ni assistance externe. Ensuite, une vague de retour avait été déclenchée par la mise à disposition de l’assistance à la reconstruction. Enfin, les personnes qui avaient pris le chemin du retour ultérieurement étaient, selon leurs propres mots, principalement « des personnes qui n’avaient pas d’autre choix ».[4]

Les ménages mieux nantis qui ne souhaitaient pas (pour l’instant) retourner chez eux avaient les moyens de louer ou d’acheter une propriété là où ils étaient dorénavant établis. Mais ce n’était pas le cas pour les familles les plus démunies, pour lesquelles la seule assistance disponible, en dehors de l’appui qu’elles recevaient en tant que PDI enregistrées, était l’assistance à la reconstruction. Comme l’une des conditions pour bénéficier de cette assistance était d’être présentes dans la région de retour, un grand nombre de ces familles ont donc choisi de rentrer chez elles même si elles devaient y vivre dans des tentes, des maisons partiellement reconstruites ou des cabanes improvisées. Dans certains cas, cette situation a duré pendant des mois, voire des années.

Le droit de choisir écarté

Il ne fait aucun doute que la communauté internationale se trouvait face à un profond dilemme relativement au retour des minorités en Bosnie-Herzégovine mais, dans la poursuite de l’objectif visant à annuler les effets du nettoyage ethnique, le droit des personnes à choisir s’est retrouvé, dans une grande mesure, écarté. Il faut donc que la communauté internationale se plonge dans une profonde réflexion à ce sujet, et d’autant plus si l’on considère les résultats relativement médiocres obtenus pour enrayer les effets du nettoyage ethnique. Une politique prenant en compte les motivations et les contraintes individuelles, et ajustant son calendrier d’exécution en fonction de celles-ci, aurait peut-être été plus efficace pour faciliter les retours mais également mieux alignée sur le droit des personnes à choisir, reconnu et prévu par l’annexe 7.

En fait, le retour des minorités s’est principalement déroulé vers les zones rurales, tandis que le nombre de retours enregistrés en milieu urbain était beaucoup moins élevé. Cependant, les raisons de cette asymétrie sont également liées aux aspects sécuritaires, étant donné que la ségrégation ethnique était plus répandue en milieu rural, de même qu’aux aspects économiques, puisque l’agriculture et l’élevage apportent un moyen de subsistance dans un environnement caractérisé par la discrimination généralisée et l’absence de dynamisme économique. En outre, en milieu urbain, les maisons ressaisies étaient sollicitées par les membres du groupe ethnique majoritaire, qui avaient été principalement déplacés vers les villes de moyenne et de grande taille. Les résidents urbains avaient ainsi la possibilité de vendre ces propriétés ou de les échanger. En revanche, cette option n’était pas disponible en milieu rural, où le seul avantage que les personnes déplacées pouvaient tirer de leur propriété reconstruite était en fait de l’utiliser elles-mêmes.

La communauté internationale a déployé d’immenses efforts pour mettre en place les conditions de sécurité nécessaires, pour harmoniser les régimes de santé et les fonds de pension et pour reconstruire les infrastructures afin de créer des conditions de base propices au retour. Cependant, les principaux problèmes étaient, et demeurent, le manque de possibilités d’emploi ainsi que la discrimination généralisée pour accéder aux rares opportunités qui existent. À cet égard, la communauté internationale n’est également pas parvenue à tenir la promesse exprimée dans l’article 1 de l’annexe 7 concernant le droit à la restitution ou à l’indemnisation des propriétés dont les personnes ont été dessaisies au cours du conflit. En pratique, les propriétés autres que les logements (telles que les locaux commerciaux et les terres usurpées) n’ont pas bénéficié de la même attention au cours du processus de restitution ou d’indemnisation. Ces différents facteurs  ont indéniablement dissuadé les personnes de rentrer chez elles et contribué à la fragilité générale du processus de retour des minorités.

 

Inmaculada Serrano serrano.inma@gmail.com
Chercheuse associée à l’Institut Carlos III-Juan March de l’Université Carlos III.
www.march.es/ceacs



[2] Commission chargée de régler les réclamations des réfugiés et personnes déplacées portant sur des biens fonciers (CRPC) Rapport de fin de mandat (1996-2003) (inclut des recommandations pour les futures commissions foncières post-conflit)

[3] Voir Mooney E (2008) ‘Securing Durable Solutions for Displaced Persons in Georgia: The Experience in Bosnia and Herzegovina’ http://tinyurl.com/Mooney-BiH-2008; International Crisis Group (2000) ‘Bosnia’s Refugee Logjam Breaks: Is the International Community Ready?’ Europe ReportN°95 www.tinyurl.com/ICG-Bosnia-May2000, Projet «Global IDP» (2003) Protecting internally displaced people in the OSCE area. A neglected commitment www.internal-displacement.org/publications/2003/protecting-internally-displaced-persons-in-the-osce-area-a-neglected-commitment

http://tinyurl.com/NRC-IDPs-OSCE-2003

[4] Serrano I (2011) Return after violence: rationality and emotions in the aftermath of violent conflict. Instituto Juan March de Estudios e Investigaciones, Centro de Estudios Avanzados en Ciencias Sociales, Universidad Autónoma de Madrid.
http://migraciones.ugr.es/cddi/index.php/tesis-doctorales/article/540-serrano-sanguilinda-inmaculada

 

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