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Trouver un équilibre entre les droits des déplacés, de ceux qui reviennent et du reste de la population : ce nous qu’enseigne l’Irak

Les directives internationales relatives à des solutions durables au déplacement soulignent la nécessité de protéger les droits des personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays (PDI) quel que soit l’endroit où elles se trouvent. Cela inclut leur droit de retourner en toute sécurité et dignité dans leurs lieux d’origine sur la base d’un choix éclairé et librement consenti. Cette conception est certes importante, toutefois il arrive bien souvent qu’elle néglige les droits et les besoins de ceux qui sont déjà rentrés, et/ou de ceux qui sont restés, particulièrement si le retour est présenté comme étant la seule option de résolution du déplacement.

Tel est le cas en Irak où le gouvernement et les partenaires internationaux ont fait de ce résultat une priorité et la clé du succès au lendemain du conflit entre le gouvernement irakien et l’État islamique (ou ISIS). Cette conception néglige également le fait que le retour est un processus continu et, comme toute autre solution durable, qu’il peut prendre des années si ce n’est des décennies pour être mené à terme. Finalement, il omet également que le fait de revenir à un état des choses antérieur est impossible dans la pratique, étant donné le contexte post-conflictuel, et que ce ne saurait être une solution envisageable du point de vue des droits, dans la mesure où la situation était probablement injuste avant le conflit et qu’elle avait probablement contribué au déplacement forcé initial.

Aucun endroit n’illustre cette situation avec plus d’évidence que la zone habitée par plusieurs communautés dans la moitié nord du gouvernorat de Nineveh en Irak. Cette zone, tribale de par sa structure sociale, a déjà considérablement souffert à cause du déplacement forcé, de la précarité des infrastructures et des services publics et d’une négligence générale en matière de développement. Le nord de Nineveh, qui comprend le territoire rural et ethniquement divers que se disputent l’État fédéral irakien et les autorités kurdes, et qui entoure la ville de Mossoul, a subi le gros des attaques de l’État islamique en 2014, ce qui a eu pour conséquence d’opposer, dans certains cas, des voisins et des villages entiers les uns aux autres. L’arrivée de l’État islamique, puis son expulsion en 2015, a entrainé de nouvelles vagues de déplacements et de retours. Les tensions et les divisions subsistent entre les groupes qui sont restés et ceux qui ont été déplacés pendant une courte période et qui sont ensuite revenus, de même qu’entre ces deux populations et ceux qui sont encore déplacés. 

Alors que des retours commencent peut à peu, les disputes entre les autorités irakiennes et kurdes, et l’absence d’une politique officielle susceptible de permettre des solutions durables – dépassant l’importance de la question du retour – ont conduit ces communautés dans une impasse lorsqu’il s’agit de décider de qui peut et ne peut pas rentrer. Un travail de terrain réalisé début 2017 soulève les principales préoccupations dont les autorités irakiennes et les partenaires internationaux devront tenir compte s’ils entendent poursuivre une politique axée sur les retours.

Des retours en l’absence d’une stratégie

Même s’il existe des normes internationales pour protéger les droits des personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays (PDI), il est important de ne pas oublier que les PDI qui sont déjà rentrées peuvent elles aussi avoir des préoccupations particulières concernant leur protection – ainsi que de l’amertume – à l’égard de ceux qui ne sont pas encore rentrés. C’est exactement ce qui se passe dans le nord de Nineveh, et dans la majeure partie des autres zones d’Irak touchées par le conflit avec l’État islamique, où de nombreux groupes considèrent collectivement que ceux encore déplacés sont, d’une manière ou d’une autre, affiliés au groupe armé. Des actions de représailles et de vengeance contre ceux perçus comme étant affiliés à l’État islamique (et leurs biens) ont déjà été perpétrées par des personnes déplacées de retour et les forces de sécurité qui ont chassé le groupe armé. Une politique qui priorise les retours sans tenir compte des griefs en suspens – qu’ils soient légitimes ou non – à l’encontre de ceux encore déplacés et exprimés par ceux qui sont supposés les accueillir à leur retour, à laquelle est associé un processus général plein d’incertitude, risque d’ouvrir la porte à de nouveaux conflits. En outre, si aucune disposition n’a été prévue pour garantir un mécanisme approprié d’arbitrage et de restitution ou de compensation, le processus de retour risque d’exacerber les revendications concurrentes relatives aux droits fonciers.

« L’une des choses importantes pour rétablir la paix ici est que le gouvernement empêche les Arabes de revenir et de vivre dans nos contrées, parce qu’ils sont le motif de l’arrivée de l’État islamique ici ; ce sont eux qui nous ont trahis ». (PDI yézidi)

« Si les autres ne veulent pas que nous rentrions, alors c’est au gouvernement que reviendra la charge d’arbitrer et de décider. Nous, nous voulons rentrer ». (PDI arabe sunnite)

Finalement, il est crucial de signaler que, même dans des zones à prédominance tribale, où l’état de droit formel prend une place secondaire par rapport à l’arbitrage tribal, les divisions dans le tissu social sont maintenant trop importantes pour que le processus tribal seul puisse les apaiser. Il se peut que cette demande d’ intervention du gouvernement fédéral et du secteur judiciaire permette d’ouvrir la voie vers davantage de coopération avec les tribus, effaçant ainsi peu à peu des systèmes juridiques parallèles.

« Le gouvernement doit trouver des solutions à ces problèmes avec l’aide des chefs tribaux et des personnes éduquées. Pourquoi le gouvernement ? Parce que le gouvernement dispose de mécanismes de résolution des problèmes plus nombreux que les gens ordinaires… la confiance entre les personnes doit prévaloir ». (Yézidi de retour)

Le gouvernement fédéral de l’État irakien et ses partenaires doivent maintenant donner la priorité à l’élaboration d’un plan opérationnel pour le processus de retour qui aille au-delà des dispositions ponctuelles et variables actuellement en place. La manière dont les personnes rentrent compte tout autant que le fait qu’elles rentrent ou pas.

Recommandations

Une stratégie de retour doit se concentrer sur la compréhension du besoin commun à toutes les victimes de trouver une solution à leurs souffrances (passées et présentes), en tenant compte de tous les auteurs de violences. Les tribus et les communautés demandent des interventions officielles qui pourront contribuer à résoudre les problèmes liés aux retours ; il s’agit d’une opportunité pour faire le lien entre les processus tribaux et officiels. Alors même que la résolution récemment prise par l’Irak et le Royaume Uni en vue d’établir des mécanismes pour rendre compte des crimes de l’État islamique est un point de départ utile, il est essentiel, toutefois, de ne pas oublier que l’État islamique n’a pas été le seul auteur de violences ou d’abus dans ce contexte, et que les griefs sont de nature extrêmement diverse. Il est également nécessaire de reconnaître que des poursuites pénales isolées ne suffisent pas, et que d’autres approches – y compris des processus de réparations, de recherche de la vérité ou de réforme des institutions – doivent aussi être envisagées. 

Un processus clair et transparent afin de contrôler et filtrer les personnes qui rentrent doit également être mis en place pour que les communautés de tous bords comprennent les critères appliqués pour permettre aux PDI de rentrer chez eux.

En lien direct avec ce qui précède, des critères clairement établis concernant ce qui constitue une affiliation à l’État islamique – et sur la peine qui sera appliquée en fonction du degré de cette affiliation – doivent être clairement explicités et communiqués aux communautés. Cela dissuadera les communautés d’étiqueter les personnes de retour et de se faire justice elles-mêmes.

En conclusion, il est surtout indispensable que des programmes de cohésion sociale et de construction de la paix comme ceux qui ont lieu à l’heure actuelle dans les communautés qui sont déjà rentrées, soient étendus de manière à inclure ceux qui sont encore déplacés, avant que d’autres retours ne soient entrepris. Ceci en vue de préparer les deux groupes à vivre ensemble à nouveau et de contribuer à élaborer des processus capables d’atténuer les conflits et les tensions, et de permettre de trouver des solutions aux griefs présents et passés.  

 

Nadia Siddiqui nadia@social-inquiry.org
Chercheure, Social Inquiry (organisation de recherche basée à Erbil en Irak)
https://social-inquiry.org@inquiry.org

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