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Comment les ONG ont contribué à façonner la réinstallation

Bien qu’il soit facile de perdre patience face aux déficiences de la réinstallation, il est important de considérer le chemin réalisé par cette solution au cours des dernières décennies et le rôle joué par les organisations non-gouvernementales (ONG) dans son évolution.

La participation de la société civile à la réinstallation date d’avant la création du HCR, l’agence des Nations unies pour les réfugiés, et l’établissement de programmes de réinstallation formels par les pays récepteurs. Des groupes humanitaires confessionnels et séculaires identifiaient les réfugiés et les aidaient déjà activement à se réinstaller avant, pendant et après la deuxième guerre mondiale. En conséquence de la crise indochinoise des années 1970 et 1980, les États-Unis ont mis au point le Programme de départ organisé, avec l’aide de la Commission internationale catholique pour les migrations (CICM), afin de sélectionner les demandeurs admissibles. Quant au HCR, son rôle consistait principalement à négocier l’arrangement entre le Vietnam et les États-Unis plutôt qu’à identifier les personnes devant être réinstallées. De la même manière, dans le cas des Indochinois qui fuyaient en Thaïlande, ce sont des ONG telles que le Comité international de secours (International Rescue Committee – IRC) qui les identifiaient et organisaient leur réinstallation.

Les minorités soviétiques religieuses constituaient l’autre grande population de réfugiés des années 1980 et du début des années 1990. Quant aux Vietnamiens, les ONG étaient les agents de sélection de première ligne pour leur réinstallation, notamment la Hebrew Immigrant Aid Society (HIAS) à Vienne et à Rome. En fait, avant le milieu des années 1990, les ONG qui travaillaient étroitement avec les autorités étaient responsables de la grande majorité de l’identification des cas et de leur orientation. Jusqu’à cette époque, la réinstallation était largement considérée comme une question de politique étrangère ou d’immigration pour les États récepteurs, que ces derniers devaient traiter en passant par leurs propres canaux et avec l’implication minime du HCR.

C’est au milieu des années 1990, après la fin de la guerre froide, que le HCR a commencé à endosser le rôle plus important qu’il joue aujourd’hui en matière de réinstallation. En particulier, les États-Unis ont modifié leurs politiques en 1995 afin de donner priorité aux orientations soumises par le HCR et non plus aux listes de groupes dont la situation était préoccupante pour les États-Unis et qui pouvaient accéder à la réinstallation directement en passant par l’une des ONG partenaires du département d’État. Ce changement d’approche, destiné à créer un système mondial plus équitable centré sur les besoins humanitaires, a eu pour conséquence inattendue d’engendrer un déficit chronique des orientations au cours des douze années suivantes, le HCR ne disposant pas immédiatement des capacités suffisantes pour reprendre en main les cas soumis historiquement par les ONG dans le cadre des programmes « d’accès direct ».

Difficultés à remplir les quotas

En réponse aux critiques à propos de ce manque de capacités et aux avertissements suggérant qu’il risquait d’éroder sa crédibilité auprès des pays de réinstallation, de compromettre les futurs financements et d’aboutir à une réduction des quotas[1], le HCR a commencé à élaborer un programme de réinstallation « rationalisé », en appliquant de manière consistante les mêmes critères et en faisant appel à un personnel professionnel bien formé. C’est à ce moment-là que les critères de réinstallation que nous connaissons aujourd’hui ont été codifiés et que le premier Manuel de réinstallation a été publié, en 1996. Le premier forum de coordination a également été créé (les Consultations annuelles tripartites sur la réinstallation), dont le mandat original visait à définir une stratégie pour combler l’écart entre les orientations et les quotas. C’est également à ce moment-là que le HCR, dans le cadre de ses efforts pour accroître les demandes de la part des pays de réinstallation, s’est concentré intensément sur le renforcement de ses capacités internes plutôt que sur la construction de modèles de partenariat avec les ONG, comme les États de réinstallation l’avaient fait avec succès. Ces partenariats entre États et ONG avaient existé en parallèle au système d’orientation de le HCR, si bien que ce dernier ne pouvait pas s’appuyer lui-même sur une longue histoire de partenariats de réinstallation avec des ONG.

En 1998, l’élaboration d’un programme de déploiement administré par la CICM en vue de renforcer le personnel du HCR chargé de la réinstallation constitue une exception notable à cette tendance. Toutefois, en raison de son ampleur, ce programme ne s’est pas tout à fait déroulé comme prévu, l’idée initiale étant le déploiement temporaire de membres du personnel d’ONG. En raison de la forte demande de personnel, la majorité des personnes ont été embauchées spécifiquement pour être déployées auprès du HCR, parfois sans aucune expérience préalable du travail dans une ONG.

Au cours de cette période, d’autres formes de partenariat sur l’identification et l’orientation des cas ont également été mises à l’essai. Notamment, au début des années 2000, l’IRC au Pakistan a démarré un projet visant à identifier les Afghans à risque et les orienter vers le HCR pour considérer leur éventuelle réinstallation. Ce projet était justifié dans la mesure où l’ampleur de la crise des réfugiés au Pakistan permettait au HCR de traiter uniquement les cas qui s’identifiaient d’eux-mêmes comme candidats à la réinstallation, tandis qu’une ONG pouvait se concentrer sur des activités de proximité visant à identifier les cas les plus vulnérables. L’IRC travaillait étroitement avec des ONG locales pour faciliter ce processus d’identification et, comme il n’avait pas à assumer la crise dans toute son ampleur au même titre que le HCR, il pouvait consacrer des ressources à l’organisation de visites à domicile afin de mieux vérifier les mérites de chaque cas.

En 2002, suite à un scandale de corruption ayant interrompu les activités de réinstallation du HCR au Kenya, le HIAS a mis au point un programme d’identification et d’orientation des cas de réinstallation[2]. Le département d’État des États-Unis, frustré par le nombre continûment insuffisant d’orientations soumises par le HCR relativement à son quota annuel d’admission, a alors offert à un ensemble d’ONG de suivre des formations visant à les autoriser à orienter des cas aux États-Unis. Cette initiative a finalement été abandonnée, en partie parce que peu d’agences s’étaient inscrites à ces formations et que celles qui s’étaient inscrites avaient soumis peu d’orientations.

Pour la nouvelle génération de professionnels de la réinstallation, le HCR était la seule et unique agence d’orientation connue. Et pour de nombreux pays européens, la dépendance envers le HCR et le peu de participation des ONG était la norme, si bien que les souvenirs d’une implication importante de ces dernières se sont estompés. En 2003, le total des orientations du HCR devant être réparties parmi l’ensemble des pays de réinstallation s’élevait à 35 000 places, soit juste la moitié du quota des États-Unis seulement.

Résurgence de la participation des ONG

Constatant les disparités entre les places non utilisées et l’acuité des besoins observés sur le terrain, un nombre croissant d’ONG se sont senties dans l’obligation de trouver des moyens de renforcer les capacités opérationnelles. Reconnaissant que les carences les plus importantes se situaient toujours au niveau du personnel chargé d’identifier et d’orienter les cas, RefugePoint[3] a été fondé en 2005 dans l’objectif initial de veiller à ce que les quotas de réinstallation disponibles soient pleinement utilisés, en particulier pour les cas africains qui, historiquement, avaient reçu une moindre attention que les autres régions.

Il est dorénavant commun que des ONG prêtent au HCR des personnels chargés de la réinstallation, le CICM étant de loin le plus grand fournisseur. Collectivement, ces « forces auxiliaires » sont à l’origine d’environ 60 % de toutes les orientations annuelles à des fins de réinstallation. En plus de déployer leur personnel auprès du HCR, les ONG internationales continuent de travailler avec des ONG nationales et de les former afin d’étendre les possibilités de réinstallation à des cas qui, sinon, n’auraient pas accès à cette solution, en mettant à profit leur position unique au sein des communautés de réfugiés pour identifier les cas les plus à risque et les orienter vers le HCR afin qu’ils soient étudiés. De plus, le site Web du HCR met aujourd’hui à disposition une boîte à outils visant à encourager les ONG à identifier de nouveaux cas et, parallèlement, à encourager les bureaux locaux du HCR à recevoir et traiter les orientations des ONG.[4]

Bien qu’il soit difficile d’identifier clairement les différentes contributions ayant abouti à une expansion considérable des capacités et au respect des quotas, le programme a indubitablement bénéficié du fait que, ces dernières années, les ONG sont devenues des sources fiables et de confiance en ce qui concerne l’orientation des cas de réinstallation, d’autant plus que le HCR a adopté une approche plus ouverte vis-à-vis du partenariat avec les ONG. En plus de capacités supplémentaires, la participation des ONG a apporté d’autres avantages. Bien que le HCR doive, par nécessité, s’atteler à produire suffisamment d’orientations pour répondre aux demandes des bailleurs et des pays de réinstallation, les ONG sont plus libres de se concentrer sur la vulnérabilité et les mérites des cas individuels.

L’un des objectifs de RefugePoint est de garantir un accès équitable à la réinstallation, à la fois au sens de la répartition géographique des opportunités de réinstallation et de leur répartition démographique au sein de ces espaces géographiques. Le HCR s’est également fixé ce même objectif au fil des années, de même que les États de réinstallation. RefugePoint a par exemple suivi le pourcentage de cas orientés dans chaque pays d’Afrique, et il en émerge un tableau qui ne cesse de s’améliorer. En 2005, des réfugiés de 23 nationalités différentes provenant de 28 pays d’accueil différents en Afrique avaient été orientés. En 2015, ces chiffres avaient augmenté : les orientations concernaient 28 nationalités provenant de 34 pays d’accueil, tandis que le nombre d’orientations pour ces mêmes années était passé de 15 000 à près de 39 000.

Conclusion

La participation accrue des ONG aux processus d’identification et d’orientation au cours des dix dernières années a permis de mettre continuellement en lumière les questions d’équité et de responsabilité, ce qui s’est traduit par l’amélioration et le renforcement du programme de réinstallation dans sa globalité. Jusqu’au milieu des années 1990, la réinstallation était une activité impulsée par une poignée de pays récepteurs, dont les motivations étaient à la fois d’ordre humanitaire et de politique étrangère. Dans sa phase suivante, la réinstallation est devenue un processus formalisé et dirigé par le HCR. Dans sa phase actuelle, la réinstallation pourrait bénéficier d’une plus grande responsabilisation, alors que le moment semble propice pour définir des mesures communes sur l’impact de la réinstallation, au-delà du simple nombre de cas orientés. En tant que communauté, nous pouvons par exemple mettre au point des mesures pour répondre aux questions concernant l’efficacité de la réinstallation en tant que solution durable, le caractère équitable de sa mise en œuvre et si elle est proposée à ceux qui en ont le plus besoin.

 

Amy Slaughter slaughter@refugepoint.org
Directrice de la stratégie chez RefugePoint www.refugepoint.org



[1] Frederiksson J et Mougne C (1994) Resettlement in the 1990s: A Review of Policy and Practice (Rapport d’évaluation de l’UNHCR) www.unhcr.org/3ae6bcfd4.pdf

[2] Voir l’article de Melonee Douglas, Rachel Levitan et Lucy Kiama www.fmreview.org/fr/reinstallation/douglas-levitan-kiama

[3] Initialement sous le nom de Mapendo International

 

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