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Repenser le genre dans le cadre du régime international des réfugiés

Le régime international des réfugiés, tel que défini par la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés et son Protocole de 1967, traite les persécutions sexospécifiques de manière tout à fait inadéquate et, en particulier, les demandes d’asile des femmes réfugiées. La Convention s’appuie sur un descriptif libéral des droits qui repose sur une applicabilité universelle et « non sexiste » – mais parce que le sexe n’est jamais mentionné dans la Convention, celle-ci ne saurait tenir compte des persécutions sexospécifiques qui touchent principalement les femmes.

Alors que l’image de la femme réfugiée a surgi dans l’imaginaire populaire comme le portrait emblématique de la migration forcée des temps modernes, les femmes qui cherchent à obtenir l’asile, et plus largement le genre en tant que concept sont restés historiquement en marge du régime des réfugiés. Ce n’est qu’à partir des années 1990 que les persécutions sexuelles et sexistes ont commencé à influencer la Détermination du statut de réfugié (DSR).

Les tentatives des activistes féministes et des universitaires en vue d’intégrer les expériences vécues par les femmes à ce cadre juridique ont culminé dans le discours libéral « les droits des femmes sont des droits humains » et sa codification dans la Convention pour l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes.[1] Ce cadre juridique à travers la représentation des femmes requérantes d’asile comme des victimes, ou plus exactement des femmes et des mères pauvres venues du tiers monde, et particulièrement à travers l’amalgame auquel il procède en englobant femmes et enfants dans une même catégorie, finit toutefois par nuire à la protection des personnes qui fuient des persécutions liées au genre. De telles représentations des femmes requérantes d’asile posent problème.  

Les femmes requérantes d’asile fuient la persécution pour de nombreuses raisons similaires à celles de leurs homologues masculins. Mais bien plus nombreuses encore sont celles parmi elles qui subissent d’autres persécutions et souffrent de la privation de droits politiques et socioéconomiques supplémentaires. Différentes manifestations des préjudices sexospécifiques comme les mutilations génitales féminines, les mariages forcés, les soi-disant crimes d’honneur et la stérilisation forcée apparaissent couramment dans les demandes d’asile déposées par les femmes. La nature sexospécifique de ces formes de préjudice est substantielle parce que des difficultés persistent chaque fois qu’il s’agit de faire admettre ces revendications fondées sur le sexe du requérant comme relevant du champ d’application du droit sur les réfugiés.   

Plus spécifiquement, aux termes de la Convention de 1951 les femmes réfugiées sont classifiées comme un groupe social particulier. Un groupe social particulier est un groupe de personnes qui ont une caractéristique commune en même temps que leur risque d’être persécutées, ou qui sont perçues comme partageant un attribut commun, inné ou immuable et fondamental à leur identité. Les rôles sexospécifiques des femmes deviennent alors leur définition en tant que membre d’un groupe social particulier et cette définition devient le motif par défaut de la demande d’asile en ce qui concerne les femmes.

La « quintessence » de la femme

Créer un espace propre aux femmes dans le cadre juridique a été l’un des moyens que les féministes ont tenté de favoriser pour contrer l’invisibilité des femmes dans la Convention. Toutefois, faire entrer les femmes dans la Convention à travers les Lignes directrices de 2002 sur la persécution liée au genre[2] n’a été accompli qu’en peignant un tableau monolithique des femmes et en les représentant comme des victimes vulnérables, passives et dépendantes, c’est-à-dire, n’ayant qu’un rôle périphérique dans la politique internationale et sans pouvoir d’action.

Les mesures destinées à améliorer la Détermination du statut de réfugié et à étendre la définition de la Convention des persécutions liées au genre ont eu tendance à dépeindre des identités de « femme réfugiée quintessentielle » telles que construites par le HCR, les média et les gouvernements, mais pas par les femmes réfugiées elles-mêmes. Certaines images et catégories, comme l’assimilation au sein d’un même groupe « des femmes et des enfants » dans l’une des statistiques les plus fréquemment citées dans les stratégies et la littérature sur les réfugiés qui affirme que les femmes et les enfants constituent 80 % des réfugiés dans le monde, sont une composante essentielle de cette narration fondée sur la victimisation. Dans la mesure où les femmes et les enfants représentent généralement jusqu’à 80 % de toute population, qu’elle soit réfugiée ou non, une telle représentation choisit, et cela pose problème, de représenter la femme réfugiée sous la forme d’une figure maternelle enfermée dans un rôle de genre particulièrement étroit. Le fait de confondre les femmes et les enfants a pour effet d’identifier les hommes comme la norme par rapport à laquelle tous les autres individus se retrouvent dans une catégorie fourre-tout de dépendants plutôt que d’acteurs autonomes.    

 Deuxièmement, une caractérisation de cet ordre perpétue une narrative paternaliste de l’État, en tant que sauveur et protecteur des « femmes et des enfants ». Une étude sur la DSR au Royaume-Uni montre une corrélation directe entre l’octroi du statut de réfugié et la conformité du requérant d’asile à une narration de victimisation.[3] Afin d’obtenir la protection de l’État, une femme doit démontrer qu’elle se comporte de manière « correcte » pour une femme, c’est-à-dire comme une personne sans voix et apolitique, victime d’une culture oppressive. Passer sous silence sa capacité d’action augmente ses chances d’obtenir le statut de réfugié.  

Une approche plus efficace devrait incorporer des formes multiples d’identités et de relations – et pas uniquement celles fondées sur le genre. Dans l’optique d’assurer adéquatement la protection des femmes réfugiées, Le HCR – l’agence des Nations Unies pour les réfugiés, mandatée par la Convention sur les réfugiés comme responsable de leur protection – devrait faire en sorte de garantir une prise en compte et une compréhension correctes des persécutions fondées sur le genre. Le processus de réforme que cela implique nécessitera des changements plus fondamentaux que de simples nuances de lecture de la Convention à travers l’application des Lignes directrices. Pour avoir un impact sérieux sur la vie des femmes et des hommes déplacés, il sera nécessaire de se concentrer de manière durable sur l’ouverture d’espaces politiques et juridiques alternatifs. La nature des institutions chargées de gérer la réponse aux réfugiés ne changera pas simplement à cause d’un renforcement d’une sorte de priorité généralisée axée sur le genre à travers laquelle les femmes sont conçues comme un groupe ayant des besoins spéciaux.

Les Principes directeurs en matière de DSR n’ont été adoptés que par une minorité de juridictions dans le monde, et de nombreuses difficultés spécifiques auxquelles les femmes requérantes d’asile sont confrontées restent encore bien souvent ignorées. Le HCR est l’acteur clé par sa capacité à influencer les États à cet égard, particulièrement dans les pays du Nord. Même si le HCR en soi n’a aucun pouvoir de contrainte sur les États, il dispose d’une autorité extrêmement persuasive et les États ont l’obligation de coopérer avec lui. Le HCR reste donc l’organe directeur clé dans ce domaine en matière de bonne pratique sur le genre. Il est à même d’assumer un rôle de premier plan en fournissant un cadre de travail adéquat en vue de modifier la manière dont le genre est caractérisé en pratique dans les processus de DSR. 

Conclusion

Le droit et le processus de DSR ont tendu à marginaliser et, surtout, à infantiliser les femmes. C’est une vision bien plus critique qui doit représenter les femmes réfugiées en tant qu’actrices à part entière, au-delà des catégories de « femmes et enfants » ou de victimes à sauver. Inclure la voix des femmes est impératif afin de modifier les représentations dominantes que nous avons actuellement des femmes réfugiées et plus généralement de leur protection.

Du fait de leur nature le HCR et les Lignes directrices ne peuvent qu’informer et non dicter la politique juridique d’un État envers les femmes réfugiées. Dans tous les cas, les Lignes directrices telles qu’utilisées pour guider l’interprétation des demandes liées à des persécutions sexospécifiques sont fondées sur des jugements à priori relatifs à la catégorie ou au stéréotype attendu d’une femme réfugiée idéalisée, alors que le droit s’est contenté d’incorporer un concept de genre qui fonctionne au détriment des femmes requérantes d’asile. Il est donc nécessaire d’établir un moyen de contrecarrer les concepts essentialistes sur le genre qui informent aujourd’hui la prise de décision, la jurisprudence et la doctrine. La Convention sur les réfugiés est un instrument vivant qui doit peut-être changer et évoluer afin d’être à la hauteur des difficultés et des exigences des réfugiés.

 

Megan Denise Smith reporting.bekaa.lebanon@intersos.org
Déléguée à la protection, INTERSOS à Zahlé, Liban www.intersos.org/en/lebanon
Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’INTERSOS.



[2] HCR (2002) Principes directeurs sur la protection internationale : La persécution liée au genre dans le cadre de l’article 1A (2) de la Convention de 1951 et/ou son Protocole de 1967 relatif au Statut des réfugiés www.unhcr.org/3d58ddef4.pdf

[3] Crawley H (1999) ‘Women and Refugee Status: Beyond the Public/Private Dichotomy in UK Asylum Policy’ (Les femmes et le statut de réfugié: Au-delà de la dichotomie public / privé  dans la politique d'asile du Royaume-Uni) in Indra, D (Ed) Engendering Forced Migration. Berghahn Books.

 

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