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Élargir les opportunités économiques dans le cadre du déplacement prolongé

En 2017, les pays frontaliers de la Syrie (la Turquie, le Liban, la Jordanie et l’Irak), ainsi que l’Égypte, accueillaient entre eux environ 5 millions de réfugiés syriens, dont la majorité vivait en exil depuis quatre ans ou plus. Alors que les perspectives de retour en masse en Syrie demeurent limitées dans l’immédiat, l’avenir dans le contexte du déplacement s’annonce incertain pour la plupart de ces réfugiés. Parallèlement, les pays d’accueil, et plus particulièrement la Jordanie, le Liban et la Turquie, ont dû réagir à des impacts extrêmement variables sur la demande de logement, les services publics, l’infrastructure, les budgets publics, les marchés du travail, la sécurité locale et la stabilité générale.

Les efforts de ces pays d’accueil sont de plus en plus reconnus à l’échelle internationale. Le Plan régional pour les réfugiés et la résilience (connu sous son acronyme anglais « 3RP ») est la stratégie guidant les secours internationaux pour cette région. Lancé en décembre 2014, et considéré comme un exemple de bonne pratique[i], ce plan encourage les bailleurs et les organismes d’aide à accroître leur soutien aux plans d’intervention nationaux[ii], de même qu’aux programmes et aux projets pluriannuels qui renforcent la résilience et les capacités d’adaptation des pays d’accueil.

Lors de la Conférence en appui à la Syrie et à la région, organisée à Londres en 2016, les bailleurs internationaux ont promis plus de fonds que jamais et pris les premiers engagements pluriannuels pour répondre à la crise syrienne. Cette conférence a également fixé l’objectif de créer jusqu’à 1,1 million de nouveaux emplois pour les réfugiés et les communautés d’accueil d’ici 2018. Quant aux gouvernements des pays d’accueil voisins, ils se sont engagés à ouvrir leur marché du travail et à améliorer leur environnement réglementaire national. Enfin, la communauté internationale a promis de soutenir les programmes de création d’emplois et l’accès à des financements concessionnels.

Ces mesures audacieuses étaient les bienvenues et ont renforcé la volonté d’investir dans la résilience et le développement à plus long terme dans la région. Toutefois, les objectifs et les engagements posent également un défi et, si l’on souhaite les réaliser, certaines questions devront trouver une réponse. Comment est-il possible de créer jusqu’à 1,1 million d’emplois, et où et pour qui exactement pourra-t-on y parvenir au mieux ? Quelles politiques et quels cadres peuvent contribuer à atteindre cet objectif et à véritablement ouvrir les marchés du travail ? Quelles autres mesures ont été prises pour améliorer l’accueil des réfugiés et répondre aux besoins des communautés d’accueil ? Et quelles données concrètes sous-tendent ces nouvelles politiques ?

Pour aider à répondre à ces questions, l’Organisation internationale du travail (OIT), le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) et le Programme alimentaire mondial (PAM) ont organisé en 2016 une évaluation conjointe des opportunités économiques en Égypte, en Irak, en Jordanie, au Liban, en Turquie et en Syrie[iii]. Basé sur des informations glanées au cours de 120 entretiens avec des représentants des gouvernements, des bailleurs, d’organisations non-gouvernementales (ONG), d’organisations internationales et du secteur privé, et sur une analyse des données et des études existantes, leur rapport permet de comparer les aspects relatifs aux opportunités économiques de l’intervention déployée dans la région en réponse à la crise. Partant de ce rapport et de ses recommandations, le PNUD a conduit des recherches supplémentaires et abordé la question des politiques avec les parties prenantes, en partenariat avec le Programme pour le développement et la protection régionale (Regional Development and Protection Plan – RDPP), en vue de définir des options politiques et des cadres spécifiques, basés sur des données concrètes, pour l’accueil des réfugiés en Irak, en Jordanie et au Liban[iv].

Recommandations

Ce rapport émet des recommandations quant aux approches positives visant à créer des opportunités économiques. Chacune de ces approches a déjà fait ses preuves dans au moins un pays et présente des caractéristiques peuvant être reproduites, dans une certaine mesure, dans les autres pays de la région.

Élargir l’accès aux marchés de l’Union européenne (UE) : La décision de l’UE d’élargir l’accès de certaines exportations jordaniennes aux marchés européens a été perçue comme la mesure la plus importante pour promouvoir les investissements en soutien à l’emploi des Syriens et des Jordaniens dans le pays (quoique le respect des normes européennes en matière d’assurance qualité a posé quelques difficultés)[v].

Faciliter l’investissement privé syrien et permettre aux Syriens de démarrer une entreprise et d’accéder à l’infrastructure industrielle : En Égypte et en Turquie, le processus encourageant les Syriens à investir et les autorisant à démarrer leur entreprise, a généré dans certains secteurs économiques une forte croissance, les entreprises concernées recrutant tant les travailleurs locaux que syriens.

Élargir l’accès des réfugiés à l’information : En Turquie, des administrations locales et des ONG nationales et internationales ont coopéré pour établir des centres communautaires dans les communautés accueillant des réfugiés, qui fournissent des informations à propos des possibilités d’emploi (entre autres services).

Encourager les organisations à s’approvisionner directement sur le marché local : Les agences de l’ONU, dont l’Unicef et l’Office de secours et de travaux des Nations Unies, s’approvisionnent auprès d’entreprises et de fournisseurs locaux. Le cas échéant, les petits producteurs peuvent recevoir une formationde façon à être en conformité avec les normes requises et à s’organiser en coopératives afin de réaliser des économies d’échelle.

Fournir des financements concessionnels pour l’infrastructure : En Jordanie, les bailleurs internationaux ont fourni des financements concessionnels destinés à des projets de modernisation des infrastructures routières, énergétiques, sanitaires et d’approvisionnement en eau, ce qui a aidé les autorités à répondre aux besoins d’amélioration dans les domaines concernés.

Permettre aux Syriens de fournir des services aux autres Syriens : En Turquie, le gouvernement adopte depuis longtemps une approche proactive selon laquelle des professionnels qualifiés parmi la population syrienne réfugiée sont employés pour fournir des services sociaux à leur propre communauté. Au premier semestre 2017, plus de 13 000 enseignants et 400 professionnels de la santé syriens avaient reçu un permis spécial leur permettant de fournir des services à leurs concitoyens réfugiés.

Faire en sorte que tous les projets incluent les réfugiés comme les communautés d’accueil parmi leurs bénéficiaires : Dans la région du Kurdistan irakien, les programmes mis en œuvre par le ministère du Travail et des Affaires sociales, et les ONG ont généralement été conçus de manière à inclure les populations d’accueil, réfugiées et déplacées.

Défis

Ce rapport d’évaluation conjoint met également en lumière cinq grands défis relatifs à la coordination, aux permis de travail, à la formation professionnelle, à l’information et à la conception de l’assistance humanitaire de manière à encourager l’emploi. Ceux-ci ont une incidence directe sur l’élaboration de politiques et de cadres efficaces. Dans une crise d’une telle complexité, il est peut-être inévitable de mentionner la coordination parmi les défis, mais il n’en est pas moins important de le faire. Les autres défis sont plus spécifiques et sont en partie dus au fait que les pays concernés sont des pays à revenu intermédiaire. Étant donné le niveau de revenu intermédiaire de ces pays, on peut douter, par exemple, de la volonté des partenaires bilatéraux et multilatéraux de poursuivre leurs investissements dans les économies de la région une fois que le conflit prolongé aura pris fin. Comme on a pu l’observer avec les différentes approches adoptées en Égypte, en Jordanie, en Irak et au Liban, le seul accès à des permis de travail n’est pas suffisant pour multiplier les possibilités économiques décentes pour les réfugiés syriens ; il faut également mettre à profit le capital politique et économique dans d’autres domaines permettant d’améliorer les perspectives d’emploi. Par exemple, il pourrait s’avérer nécessaire d’élargir l’accès aux permis de séjour en parallèle à l’élargissement de l’accès aux permis de travail. Il faut également redoubler d’efforts pour renforcer les ressources humaines de certains employeurs potentiels afin que les mesures visant à développer les compétences des employés potentiels ne demeurent pas sans résultats. Enfin, une meilleure utilisation des données peut également contribuer à une meilleure adéquation des programmes de moyens de subsistance, des besoins du marché local et des compétences des réfugiés.

Sur la base de ce rapport, le PNUD a travaillé avec les autorités nationales et d’autres parties prenantes en vue d’élaborer des politiques et des cadres spécifiques, fondés sur des données concrètes, pour l’amélioration de l’accueil des réfugiés en Jordanie, au Liban et dans la région du Kurdistan irakien[vi]. Ces travaux ont le potentiel d’influencer positivement les politiques, à condition qu’ils remportent l’adhésion des parties prenantes nationales et que les facteurs politiques, par exemple, ne viennent pas entraver la mise en pratique des politiques recommandées. Toutefois, il est évident qu’il reste encore énormément à faire pour que les réfugiés soient accueillis durablement et pour que les engagements et les objectifs annoncés lors de la Conférence de Londres se concrétisent véritablement. Deux défis particuliers me viennent à l’esprit :

Premièrement, c’est une chose de réaliser des évaluations et de formuler des recommandations à propos des politiques et de leur mise en œuvre, mais c’en est une autre d’obtenir des décisions fermes en matière de politique et de faire appliquer pleinement lesdites politiques. Il est possible (mais sans garantie de succès) d’accroître les chances que celles-ci soient appliquées lorsqu’il existe une collaboration étroite entre les organismes nationaux concernés et les organismes d’aide internationaux, de même qu’un appui continu de la part des bailleurs internationaux. La formulation des lois, des réglementations et des réformes, de même que leur mise en pratique, supposent généralement un processus lent peu importe le pays, lequel subit l’influence des dynamiques politiques nationales ; des efforts concertés sont donc nécessaires pour accélérer le processus et garantir la qualité des politiques élaborées.

Deuxièmement, il pourrait être utile d’approfondir la réflexion sur les types d’emploi que les acteurs nationaux et internationaux tentent de créer. Si l’on se fie aux taux de création d’emplois dans le reste du monde, il semble peu réaliste d’envisager de créer 1,1 million d’emplois durables dans les pays accueillant les réfugiés en l’espace de deux à trois ans seulement. Des initiatives créant des emplois de courte durée pourraient, toutefois, permettre de réaliser cet objectif. Cependant, si cette solution est adoptée, il faudra agir pour accompagner la création d’emplois à court terme par des approches à plus long terme, par exemple, pour stimuler l’investissement et l’accès aux financements.

Perspectives futures

D’importants progrès ont été réalisés en ce qui concerne l’aide internationale apportée en soutien aux Syriens, tant à l’intérieur de la Syrie que dans les pays voisins[vii]. Alors qu’ils sont progressivement réorientés en faveur de la résilience, du capital humain, de l’emploi et des programmes de longue durée, ces progrès pourraient également éclairer les efforts actuels visant à élaborer un cadre mondial exhaustif pour répondre aux besoins des réfugiés. Cependant, nous devons rester attentifs aux futurs risques d’échec, de détérioration et de nouvelles crises qui pourraient modifier l’accueil et le traitement des réfugiés par les pays de la région. Il existe également un risque que le volume total des financements concessionnels apporté par les institutions multilatérales et les pays donateurs ne suffise pas à répondre aux attentes ou aux besoins des gouvernements jordanien, libanais et turc. Il est toutefois encourageant de constater que, pour l’heure, ce scénario semble peu probable. Mais il existe aussi un plus grand risque que, sous l’effet des pressions économiques, des évolutions politiques ou d’une combinaison des deux, les réfugiés soient traités comme des boucs-émissaires et que les pays cessent de les accueillir.

Toutefois, suite aux engagements pris dans le cadre du 3RP et de la Conférence de Londres, la vision commune de l’assistance humanitaire, de la résilience et du développement dans la région est aujourd’hui plus solide, et les financements pluriannuels, les financements concessionnels, les débouchés commerciaux, les opportunités économiques et l’emploi en sont des éléments clés.

 

Miki Takahashi miki.takahashi@undp.org
Spécialiste de la gestion des informations sur le suivi et l’évaluation

Michael Moroz michael.moroz@undp.org
Spécialiste de la coordination des politiques et des crises

Jonathan Peters jonathan.peters@undp.org
Conseiller en appui aux programmes

Mécanisme sous-régional d’intervention du PNUD pour la crise syrienne www.arabstates.undp.org/content/rbas/en/home
http://bit.ly/UNDP-ArabStates

Jason Pronyk jason.pronyk@undp.org
Directeur régional, États arabes et Europe/CIS

Volontaires des Nations Unies www.unv.org

Richard Barltrop richard.barltrop@gmail.com
Consultant pour le PNUD

 


[i] Groupe de haut niveau sur le financement de l’action humanitaire (2016) Too important to fail – addressing the humanitarian financing gap, Rapport du Secrétaire général de l’ONU p. 8
https://reliefweb.int/sites/reliefweb.int/files/resources/%5BHLP%20Report%5D%20Too%20important%20to%20fail%E2%80%94addressing%20the%20humanitarian%20financing%20gap.pdf

[ii] Deux de ces plans sont entre-temps devenus pluriannuels : le Plan de gestion des répercussions de la crise syrienne en Jordanie 2017-2019 (Jordan Response Plan for the Syria Crisis)
https://static1.squarespace.com/static/522c2552e4b0d3c39ccd1e00/t/5956897e78d1714f5b61f5c2/1498843547605/JRP+2017-2019+-+Full+-+(June+30).pdf http://bit.ly/JordanResponse-2017-19 et le Plan de gestion des répercussions de la crise syrienne au Liban 2017-2020 (Lebanon Crisis Response Plan) www.un.org.lb/lcrp2017-2020

[iii] PNUD, OIT et PAM (2017) Jobs Make the Difference: Expanding Economic Opportunities for Syrian Refugees and Host Communities, Egypt – Iraq – Jordan – Lebanon – Syria – Turkey www.jobsmakethedifference.org/full-report

[iv]Le Programme pour le Développement et la protection régionale (Regional Development and Protection Plan – RDPP) est financé par un consortium de huit bailleurs européens en appui au Liban, à la Jordanie et la région du Kurdistan irakien afin de mieux comprendre, planifier et atténuer l’impact du déplacement forcé des réfugiés syriens. http://rdpp-me.org/RDPP/index.php    

[v] Voir l’article de Lenner et Turner dans le présent numéro.

[vi] PNUD et RDPP (à paraître en 2018) Development of evidence-based policy options and frameworks for the accommodation of refugees in countries affected by the Syria Crisis.

[vii] PNUD (à paraître en 2018) The Resilience Agenda: a progress report.

 

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