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Orientation sexuelle et identité de genre: le droit européen en évolution

L’UE est en train de mettre en place un Système européen commun d’asile (SECA), dont le développement se déroule en deux phases. Au cours de la première phase, l’UE a adopté la Directive de qualification (Directive 2004/83/EC du 29 avril 2004) qui établissait deux catégories distinctes de personnes protégées: les réfugiés et les bénéficiaires d’une protection subsidiaire. Elle énonçait les règles de définition de ces catégories ainsi que les droits que chaque catégorie confère.

A l’article 10, la Directive retenait l’approche de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés, selon laquelle une personne doit être persécutée pour au moins l’une des raisons suivantes afin d’être reconnue comme réfugiée: race, religion, nationalité, appartenance à un groupe social particulier ou opinion politique. L’orientation sexuelle n’était donc pas explicitement incluse comme un motif de persécution en soi. Toutefois, la Directive donnait également des orientations supplémentaires en étayant les définitions de ces cinq motifs.

Ainsi, l’article 10 (1)(d) de la Directive affirme: «En fonction des conditions qui prévalent dans le pays d’origine, un groupe social spécifique peut être un groupe dont les membres ont pour caractéristique commune une orientation sexuelle. Les aspects liés à l’égalité entre les hommes et les femmes pourraient être pris en considération, sans pour autant constituer en soi une présomption d’applicabilité du présent article.» Bien que cette formulation ne soit pas particulièrement poussée, la référence explicite à l’orientation sexuelle en tant que caractéristique commune définissant un groupe social particulier constituait en soi un pas en avant relativement à la promotion des droits des demandeurs LGBTI. Les responsables au niveau national des États membres de l’UE ont été exhortés à prendre en compte l’orientation sexuelle des demandeurs, ainsi que les aspects liés au genre, au cours de l’évaluation des demandes.

Malgré cette évolution positive, la disposition contenait également certaines limitations. Le concept d’identité de genre n’était pas expressément mentionné. De surcroît, l’article 10(1)(d) stipulait que, pour que les demandeurs soient considérés comme membres d’un groupe social particulier, ils devaient non seulement posséder une «caractéristique immuable» mais que la société devait également les percevoir comme possédant cette caractéristique. Cette clause est en porte-à-faux avec une grande partie de la jurisprudence nationale ainsi qu’avec la position de l’UNHCR, qui considère qu’un «groupe social particulier est un groupe de personnes qui partagent une caractéristique commune autre que le risque d’être persécuté ou qui sont perçues comme un groupe par la société».[1]

Dans les faits, si le persécuteur estime qu’un individu possède une caractéristique particulière et décide de le persécuter sur cette base, il importe finalement peu que cet individu possède ou non cette caractéristique; par conséquent, la perception sociale devrait suffire. Cependant, d’un autre côté, comme le souligne l’UNHCR, la définition de réfugié n’implique nullement que les membres du groupe social doivent s’associer les uns avec les autres ou être socialement visibles; par conséquent, présenter une caractéristique immuable devrait suffire.[2] Une étude de l’intégration de la Directive à la législation nationale a révélé que certains États membres exigeaient que les deux conditions soient remplies, tandis que d’autres une seule.[3]

Directive de qualification 2011: Le pour et le contre

La deuxième phase de développement du SECA est plus ambitieuse, dans la mesure où elle vise à créer une procédure d’asile commune et un statut uniforme valide à travers l’UE. Malgré l’extension du champ définitionnel apportée par la Directive de qualification de 2004, une étude de 2011 sur le traitement des demandes d’asile liées à l’orientation sexuelle et l’identité de genre a révélé qu’il existait toujours des différences considérables dans le traitement des demandes de personnes LGBTI parmi les États membres de l’UE.[4]

Les États membres de l’UE ont adopté une version amendée de la Directive de qualification de 2011 qui marquait un progrès en mentionnant explicitement l’identité de genre. La deuxième partie du texte de l’article 10(1)(d) de la Directive est dorénavant formulé ainsi: «Il convient de prendre dûment en considération les aspects liés au genre, y compris l’identité de genre, aux fins de la reconnaissance de l’appartenance à un certain groupe social ou de l’identification d’une caractéristique d’un tel groupe».

Ainsi, non seulement la directive aborde explicitement l’identité de genre mais elle oblige également les personnes décisionnaires à tenir compte des aspects liés au genre, dont l’identité de genre, comme l’indique l’expression «il convient». Toutefois, en dépit de cette formulation plus poussée et de l’inclusion de l’identité de genre, la directive ne statut pas de manière précise sur les personnes intersexe même si elle reconnaît à l’Article 9(2) que les actes spécifiques à un genre et les actes spécifiques aux enfants sont couverts par le concept de persécution, et qu’il est possible de se référer à l’un ou à l’autre dans le cas de la persécution des personnes intersexes.[5]

En revanche, on peut déplorer que la Directive de 2011 ait retenu le mot «et» entre les segments se rapportant aux caractéristiques immuables et à la perception sociale. Cela pourrait inciter les responsables nationaux à exiger la présence de ces deux éléments pour considérer les demandeurs comme des membres d’un groupe particulier; cette pratique laisserait certains demandeurs sans protection. Enfin, les deux versions de la Directive intègrent la prise en compte de l’orientation sexuelle et de l’identité de genre au motif du groupe social particulier. Cependant, comme l’a souligné l’UNHCR dans ces récentes Directives sur les demandes de reconnaissance relatives à l’orientation sexuelle et à l’identité de genre, d’autres motifs pourraient également être applicables selon le contexte politique, religieux et culturel de la demande; par exemple les revendications des militants LGBTI pourraient être considérées comme contraires aux perspectives ou aux pratiques politiques ou religieuses.[6]

 

Evangelia (Lilian) Tsourdi liliantsourdi@gmail.com est doctorante à l’Université Libre de Bruxelles et assistante de recherche à l’Université Catholique de Louvain.



[1] UNHCR, Directives relatives à la protection internationale: «Appartenance à un groupe social particulier» dans le contexte de l’article 1A(2) de la Convention de 1951 et/ou son Protocole relatif au statut des réfugiés, 2002, para 11, www.unhcr.org/3d58de2da.html

[2] UNHCR, Directives sur la protection internationale: Demandes de reconnaissance du statut de réfugié relatives à l’orientation sexuelle et/ou à l’identité de genre dans le cadre de l’article 1A(2) de la Convention de 1951 et/ou de son Protocole de 1967 relatif au statut des réfugiés, 2012, para 48, www.unhcr.org/509136ca9.html

[3] Réseau universitaire Odysseus, Directive 2004/83: Rapport de synthèse de la Directive de qualification, commandité par la DG JLS de la Commission européenne, 2007, p. 52-53.

[4] Voir Spijkerboer, T & Jansen, S, Fleeing Homophobia: Asylum Claims Related to Sexual Orientation and Gender Identity in Europe, 2011,

http://tinyurl.com/Fleeing-Homophobia-report Consultez également l’article de Śledzińska-Simon & Śmiszek, p.16-18.

[5] ILGA-Europe, Directives sur la transposition de la Directive de qualification à l’asile:

protection des demandeurs d’asile LGBTI, 2012 , p9 http://tinyurl.com/ILGA-Tsourdi-2012

[6] www.unhcr.org/509136ca9.html Consultez également l’article de Turk p.5-8.

 

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