Les Afghans représentent encore aujourd’hui le groupe de réfugiés prolongés le plus important dans le monde, quelques 2,5 millions de réfugiés afghans enregistrés vivent au Pakistan et en Iran, et on estime qu’un nombre à peu près équivalent de réfugiés non enregistrés s’y trouvent également. Environ 75% d’entre eux ont vécu en exil pendant plus de trente ans, et pour beaucoup d’entre eux la nature prolongée de cet exil n’a pas augmenté leur capacité d’intégration dans leurs communautés d’accueil. De fait, ils sont nombreux à constater une détérioration de leurs conditions humanitaires à mesure que leur période de déplacement se prolonge même si à l’heure actuelle bien peu de facteurs positifs sont susceptibles d’inciter les réfugiés afghans à rentrer chez eux[1]. Dans leur grande majorité ils considèrent la perspective d’une solution durable à leur déplacement comme peu réaliste et très distante[2].
Répondre aux besoins des réfugiés afghans se trouvant dans une situation de déplacement prolongé semble devoir nécessiter un type d’interventions clairement orientées vers le développement ce qui peut sembler contradictoire avec les activités humanitaires. Trouver le moyen d’établir une passerelle entre les interventions humanitaires nécessaires pour répondre aux besoins immédiats des réfugiés afghans et satisfaire les exigences de développement de ces communautés à plus long termes reste un défi important tant pour les décideurs politiques que pour les professionnels de l’aide.
Le défi que posent les solutions durables
La réponse apportée à la situation des réfugiés afghans est presque toujours formulée dans le cadre d’une recherche de « solutions ». Toutefois, des approches traditionnelles en matière d’assistance fondées uniquement sur l’aide humanitaire ne constituent pas nécessairement une réponse appropriée face à la situation de réfugiés dont l’exil se prolonge. Il est donc capital, tant pour les professionnels de l’humanitaires que pour les bailleurs et les décideurs politiques, de comprendre ce qui caractérise de manière aussi particulière la situation des réfugiés afghans et d’appliquer ce savoir non seulement dans les deux pays d’accueil, en Iran et au Pakistan, mais aussi en Afghanistan lorsqu’il s’agit d’apporter un soutien aux réfugiés qui rentrent chez eux.
Les efforts déployés récemment par le HCR dans le but de favoriser l’élaboration d’une stratégie globale pour répondre à la situation des réfugiés afghans ont illustré les nombreuses difficultés liées à la mise en place d’approches globales et intégrées dans un environnement régional extrêmement complexe du point de vue de la sécurité et politisé à outrance. À travers la Stratégie pour des solutions régionales à l’intention des réfugiés afghans (Solutions Strategy for Afghan Refugees – SSAR[3]) le HCR et les gouvernements de l’Afghanistan, du Pakistan et de l’Iran, ont déployé des efforts conséquents pour tenter de mettre sur pied un cadre d’intervention visant à traiter toutes les dimensions du déplacement prolongé dans la région. Cette stratégie reconnaît que les problèmes humanitaires et de développement restent en grande partie compartimentés, et que de part et d’autre les acteurs concernés éprouvent une certaine appréhension à l’idée de s’impliquer dans une action commune.
Rendre opérationnelles de telles approches reste cependant compliqué. Dans la réalité on observe que le cadre de travail traditionnel visant des solutions durables – rapatriement ou retour, réinstallation, et intégration locale – est appliqué en insistant résolument sur le retour comme la seule solution possible à long terme. Ce « préjugé pro-retour » entraîne des réactions sensibles lorsque les agences cherchent à mettre en œuvre des interventions d’assistance à long terme par le bien d’une interaction avec des gouvernements d’accueil qui, et c’est compréhensible, perçoivent ce type d’efforts comme une tentative d’intégration locale par défaut.
En Afghanistan cependant, on considère que ce préjugé pro-retour a eu globalement un impact très préjudiciable sur tous les efforts de développement. Le retour de plus de cinq millions de réfugiés depuis 2002 s’est traduit par une pression énorme sur les communautés locales. Et encore aujourd’hui des obstacles sérieux entravent le retour de segments importants de cette population de rapatriés: faible capacité d’absorption de l’État afghan, persistance de l’insécurité, bénéfices du développement qui n’atteignent que de manière très limitée de larges portions du pays. Dans une situation où le plein impact de la transition et du transfert de responsabilité en matière de sécurité reste incertain, de nombreux Afghans déplacés considèrent toujours le retour comme une option impraticable. Dans un tel contexte, les agences humanitaires continuent de mener des interventions destinées aux réfugiés afghans ce qui fréquemment risquent d’envoyer des messages en contradiction avec le débat sur les solutions durables, compromettant ainsi les relations avec les gouvernements hôtes, au Pakistan comme en Iran.
Contexte régional en matière de réfugiés et environnement politique
Une approche régionale en matière d’interventions ouvre des perspectives d’amélioration du niveau de coopération entre l’ensemble des acteurs qui cherchent des solutions à la situation de déplacement prolongé dans laquelle se trouvent les réfugiés afghans. La SSAR vient de mettre en place un cadre politique à l’intérieur duquel les trois pays peuvent maintenant travailler. Au niveau politique, ce cadre confirme que le retour est l’objectif primordial en matière de solutions durables; dans la pratique, il encourage une amélioration des programmes d’intervention dans les trois pays de manière à créer des conditions propices à un retour durable cherche à améliorer les perspectives de réinsertion pour ceux qui sont déjà rentrés en Afghanistan.
L’engagement renouvelé des bailleurs internationaux de continuer à considérer les réfugiés afghans parmi leurs priorités maximales fait partie des autres changements positifs, de même qu’un regain d’intérêt pour constituer des bases documentaires plus solides afin de mieux comprendre les vulnérabilités des réfugiés afghans et d’y répondre en concevant des stratégies de programme et des interventions adaptées. Tout cela crée un espace favorable pour combiner les interventions humanitaires et les approches développementales et pour reformuler les interventions d’assistance des agences humanitaires en vue de favoriser des résultats potentiels en matière de développement.
Les impacts négatifs incluent la persistance du préjugé pro-retour et l’absence de la part de l’Iran et du Pakistan de tout engagement réel en vue : a) de prévoir d’autres dispositions de séjour pour les réfugiés enregistrés dans le cadre du train de mesures en vue d’une solution durable, b) de trouver une solution adéquate à la question de la population réfugiée non enregistrée/sans papiers, et c) d’apporter aide et protection aux réfugiés afghans vulnérables qui ne sont pas enregistrés.
Les agences humanitaires qui participent aux efforts d’intervention en faveur des réfugiés afghans doivent maintenant autant que possible reformuler les objectifs et les stratégies de leurs programmes en fonction de la SSAR, c’est ainsi qu’elles doivent insister sur les besoins persistants des réfugiés afghans qui subissent une situation de déplacement prolongé et également encourager les bailleurs à soutenir de nouvelles approches visant à renforcer l’autosuffisance et à réduire la dépendance.
Il existe un certain nombre de mesures clés que les ONG humanitaires peuvent prendre pour contribuer à résoudre les problèmes des réfugiés afghans se trouvant en situation de déplacement prolongé et leur apporter un soutien:
Faire en sorte que les communautés soient aux commandes des programmes: Les agences humanitaires ne devraient pas chercher à « résoudre », ou prétendre résoudre, le déplacement prolongé, et ne devraient pas non plus promouvoir des solutions durables spécifiques, au contraire, elles devraient proposer des moyens pragmatiques et novateurs d’envisager les problèmes centrés sur les bénéficiaires et pilotés par les communautés[4]. Promouvoir l’autosuffisance devrait être un principe fondamental de la programmation, et les enseignements tirés ainsi que le plaidoyer devraient servir à vaincre la réticence des gouvernements d’accueil qui tendent à associer l’autosuffisance à l’intégration et à la naturalisation.
Il est également important de développer une communication efficace sur les programmes d’intervention en faveur des réfugiés à l’intention des communautés hôtes, des autorités locales et des gouvernements nationaux afin de les sensibiliser et de leur faire prendre conscience de l’importance qu’il y a à soutenir les réfugiés afghans de longue date par des interventions qui favorisent un niveau plus élevé d’engagement de leur part et une participation plus active, comme par exemple un soutien aux moyens de subsistance au niveau communautaire. Afin de dissiper la perception, de plus en plus courante auprès des communautés hôtes et des gouvernements nationaux, selon laquelle que les populations de réfugiés afghans sont un fardeau, il faut mettre en place des modèles novateurs de programmation pour autonomiser les réfugiés afghans et leur permettre d’apporter une contribution productive à la communauté dans son ensemble ; des approches de ce type, pilotées par la communauté peuvent stimuler la croissance économique locale et si les informations qui s’y rapportent sont correctement formulées, il n’y a aucune raison pour qu’elles compromettent des objectifs à plus long terme de retour et de rapatriement
Signaler aux bailleurs ce qui fonctionne: Promouvoir des formes alternatives de soutien aux réfugiés afghans dans le cadre de flux de financement humanitaire plus restrictifs pourraient inclure de se concentrer en priorité sur des activités susceptibles de générer des revenu et des moyens de subsistance ainsi que sur des programmes de distribution d’espèces ou de bons, tout en apportant davantage de soutien aux communautés hôtes. Les programmes éducatifs et de formation professionnelle qui mettent l’accent sur certaines dimensions internationales (comme la certification des compétences et des programmes) peuvent avoir un double effet de soutenir les réfugiés et de leur permettre d’améliorer leurs perspectives d’emploi sur le marché du travail pendant leur déplacement, tout en contribuant à remplir les objectifs des gouvernements hôtes en termes de retour et de rapatriement.
Protéger l’accès aux droits: Tout en se focalisant sur une amélioration de l’autosuffisance grâce à certaines approches programmatiques, il ne reste pas moins fondamental de s’occuper de la question des droits formels des réfugiés afghans et des rapatriés, et d’y répondre. Les réfugiés afghans ne réussiront à atteindre un degré plus élevé d’autonomie que s’ils peuvent exercer la totalité des droits inscrits dans la Convention de 1951, y compris l’accès au travail et à la liberté de mouvement. Il est possible de communiquer un raisonnement de ce type et de promouvoir une meilleure acceptation de ce principe auprès des gouvernements hôtes en utilisant des moyens positifs et sensibles au contexte capables de démontrer la valeur d’une amélioration des conditions de vie et d’une réduction des vulnérabilités.
Effectuer un travail de défense plus efficace: Il est également important pour les acteurs humanitaires de s’assurer qu’une importance plus grande soit accordée aux discussions relatives aux situations de déplacement prolongé dans le cadre des priorités des acteurs du développement et des bailleurs internationaux. Favoriser une meilleure interaction entre les acteurs humanitaires et ceux du développement a pour potentiel d’encourager la mise en place de services destinés aux réfugiés et aux communautés hôtes en évitant la création de systèmes parallèles tout en permettant de promouvoir une volonté politique plus propice au « déblocage » des situations de refuge prolongé. Des lignes directrices sur les paramètres humanitaires en matière d’intervention dans les situations de refuge prolongé qui définiraient et articuleraient clairement dans quelles circonstances la collaboration entre les acteurs humanitaires et ceux du développement devrait débuter, se chevaucher et se terminer – constitueraient une contribution utile et importante dans le cadre des discussions en cours actuellement avec les bailleurs.
Réfléchir régionalement: La stratégie régionale, la SSAR, peut contribuer à soutenir des efforts visant à mieux appréhender les bénéfices qu’il pourrait y avoir à comprendre, identifier et utiliser les liens transfrontaliers entre l’Afghanistan, l’Iran et le Pakistan pour examiner comment des interventions et des programmes futurs sont susceptibles d’interagir et de favoriser des impacts positifs sur la vie des réfugiés et des rapatriés afghans. De nouveaux efforts pourraient être axés, plus particulièrement sur le développement d’un programme novateur d’interventions en réponse aux situations urbaines de déplacement prolongé à travers l’ensemble de la région.
Conclusion
À ce jour, c’est une dépendance excessive face aux interventions humanitaires qui a caractérisé la situation des réfugiés afghans et qui a entravé les tentatives pour trouver des solutions durables et viables. Susciter davantage d’intérêt international à l’égard de la situation de refuge prolongé que vivent les afghans et des difficultés qui entourent leur retour est primordial et nécessite un degré renouvelé d’attention. De telles approches devraient être fondées sur des principes de programmation de la base vers le sommet et devraient tenter de se distancer de toute tentative visant à promouvoir ouvertement des solutions durables spécifiques. Au contraire, au niveau régional la programmation et le plaidoyer concernant les réfugiés afghans devraient s’articuler autour d’un soutien et d’une réponse au déplacement prolongé plutôt que de tentatives de « résolution ».
Développer et promouvoir des approches nouvelles de programmation de ce type est essentiel pour réussir à passer d’une assistance dans laquelle les réfugiés sont des bénéficiaires passifs vers une assistance qui leur donne davantage de pouvoir et les rend plus actifs. Les discussions stratégiques menées par la communauté humanitaire à travers la région pour tirer des enseignements des initiatives visant à l’autosuffisance ne devraient pas seulement permettre de garantir un soutien financier à plus long terme mais aussi contribuer à rassurer les gouvernements hôtes en Iran et au Pakistan et les convaincre qu’une augmentation de l’autosuffisance n’équivaut pas à une intégration locale, mais qu’elle remplit au contraire un rôle primordial en améliorant les perspectives d’un retour volontaire durable une fois que les conditions le permettront.
Dan Tyler dan.tyler@nrc.no est Conseiller régional pour la protection et le plaidoyer au Conseil norvégien pour les réfugiés. www.nrc.no
[1] Susanne Schmeidl (2012) ‘Protracted Displacement in Afghanistan: Will History be Repeated?’ dans Calabrese J et Marret J-L (Eds) Transatlantic Cooperation on Protracted Displacement: Urgent Need and Unique Opportunity.
[2] Ewen Macleod (2008) ‘Afghan refugees in Iran and Pakistan’ dans Loescher G, Milner J, Newman E et Troeller G (Eds) Protracted Refugee Situations: Political, human rights and security implications. United Nations University Press.
[3] www.unhcr.org/afghanistan/solutions-strategy.pdf Voir également l’article de Natta PFM pp12-14
[4] Long K (2011) ‘Permanent crises? Unlocking the protracted displacement of refugees and internally displaced persons’, Refugee Studies Centre Policy Briefing Series, RSC/NRC/IDMC/NUPI