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Des réfugiées chefs d’entreprises en Australie

En Australie, on parle souvent du démarrage d’une petite entreprise en lien avec la capacité de « prendre des risques » propre aux entrepreneurs. Une telle description donne à l’entreprenariat  une résonnance positive et aventureuse associée à une promesse de récompense. Néanmoins, certains groupes en Australie n’ont pas d’autre choix que de travailler à leur compte du fait des restrictions auxquels ils font face au sein du marché du travail. En termes d’accès à l’emploi, les réfugiées, en particulier, sont confrontées à des obstacles liés à la langue, la culture, le sexe et la famille ainsi qu’aux attitudes et pratiques des employeurs. Pour beaucoup de femmes de ces milieux, l’entreprenariat comporte des risques conséquents et n’est ni motivé par l’opportunité ou l’ambition mais bien par la nécessité.  

 « Stepping Stones to Small Business » est un programme qui propose une formation à l’entreprenariat, fournit des possibilités de mise en réseau et de mentorat à des femmes réfugiées à Melbourne. Une évaluation du programme en 2015 a suggéré que les participantes même si elles étaient positives par rapport aux connaissances qu’elles ont acquises et aux réseaux qu’elles ont pu développer, en règle générale n’avaient pas réussi à convertir ces ressources nouvelles en un revenu généré par une petite entreprise. De nombreuses réfugiées ont fait preuve des caractéristiques souvent associées à l’entreprenariat –désir d’indépendance et d’autonomie par exemple, mais restaient confrontées à des obstacles qui les empêchaient de développer une entreprise, comme l’absence d’économies personnelles et la nécessité de retarder leur activité pour des raisons familiales. Nos constatations sont le reflet une distinction importante entre des notions entrepreneuriales de prise de risques et de récompense, les réalités du développement d’une petite entreprise, et le chevauchement entre opportunités et contraintes associées au genre, à l’ethnicité et au statut lié à la migration forcée. 

Facteurs incitatifs et dissuasifs

La nécessité économique et les difficultés à obtenir un emploi salarié poussent souvent les personnes qui bénéficient de la protection accordée aux réfugiés vers l’autoentreprise. En Australie, les réfugiés ont un taux plus faible de participation au marché du travail, un taux de chômage plus élevé et des revenus moyens inférieurs à ceux des autres migrants. Ils sont également plus susceptibles de rester au chômage à long terme, ils ont moins de probabilité d’obtenir de « bons » emplois (tels que définis par l’Organisation internationale du Travail), et tendent à être concentrés dans des activités peu qualifiées de statut inférieur. Comme dans de nombreux autres pays d’accueil, lorsqu’ils cherchent un emploi les réfugiés en Australie sont confrontés à des obstacles de langue, d’expérience et de qualifications non reconnues et dévalorisées ainsi qu’à « une distance culturelle » sur le lieux de travail et à la discrimination des employeurs.  

D’autres facteurs incitent également les réfugiés à la création d’entreprise comme l’attrait de la sécurité financière et de l’indépendance ou une expérience antérieure d’entreprenariat dans leur pays d’origine. L’auto-entreprenariat peut offrir une possibilité d’amélioration du statut professionnel ainsi que des revenus plus élevés qu’un emploi salarié, parce qu’en règle générale les emplois salariés des migrants sont moins bien rémunérés et plus précaires.

Les réfugiés en Australie démontrent de nombreuses qualités qu’une vision stéréotypée associe habituellement à l’entreprenariat. Une étude de 2011 sur des réfugiés de première et de deuxième génération en Australie, a découvert que de nombreux réfugiés tendent à prendre des risques et à tirer parti des opportunités lorsqu’elles se présentent.[1] Des données publiées récemment par le Bureau australien de la statistique indiquent également que les réfugiés tirent une proportion plus élevée de leurs revenus de l’auto-emploi que les autres migrants, et que ce revenu augmente nettement après cinq années de résidence.  

Toutefois, les femmes migrantes entrepreneurs rencontrent des difficultés particulières lors du développement d’une petite entreprise, obtention du capital initial, manque de compétences financières, accès restreint à des services de garde d’enfants abordables, systèmes de soutien et réseaux adaptés au marché plus restreints que ceux des hommes. Les attentes liées aux responsabilités familiales renforcées par les restrictions religieuses et les normes culturelles viennent encore s’ajouter à ces limitations. Même dans les cas où les femmes réussissent à surmonter les obstacles relatifs à l’attitude sein de leur famille et de leur communauté à l’égard des femmes entrepreneures, il est probable qu’elles soient tout de même considérées comme entièrement responsables des soins aux enfants et des tâches domestiques ce qui peut engendrer un conflit entre obligations familiales et professionnelles. Il arrive néanmoins pour beaucoup de femmes migrantes que l’incitation à démarrer une petite entreprise surgisse également d’un désir de se libérer de l’insécurité et de surmonter les obstacles traditionnels liés aux difficultés de langue et aux restrictions financières et institutionnelles comme la solidarité ethnique et communautaire.

« Stepping Stones to Small Business »

La Brotherhood of St Laurence (BSL) est une organisation non gouvernementale qui s’occupe de recherche, de prestation de service et de plaidoyer, et s’efforce d’atténuer et prévenir la pauvreté. Des consultations avec des communautés de réfugiés ont identifié un intérêt dans un service qui permettrait d’aider des femmes issues de milieux réfugiés à acquérir des connaissances relatives à l’auto-entreprenariat en Australie. En réponse à cet intérêt, BSL a développé le programme Stepping Stones to Small Business grâce à un financement philanthropique et gouvernemental. Depuis 2011, 128 femmes migrantes d’âge et de milieux culturels et linguistiques différents ont participé à des ateliers et des séminaires.

Le programme Stepping Stones fournit une formation et un accompagnement, et enseigne à l’éventuelle entrepreneure les connaissances, les compétences et les attitudes nécessaires en vue d’améliorer la performance d’une microentreprise. Les formations sont imparties de manière flexible, de manière à tenir compte des exigences linguistiques de la femme migrante et de ses obligations familiales et parentales. Les formateurs et les coordinateurs s’efforcent de créer un environnement d’apprentissage propice en termes de soutien et de genre, adapté à des personnes pour lesquelles l’anglais est une langue additionnelle, et attentif aux spécificités des participantes. Les coordinateurs du programme, les formateurs et les mentors cherchent à identifier et à développer les points forts et les compétences des participantes afin de les aider à élaborer leurs idées commerciales.

Les candidates au programme doivent articuler leurs idées commerciales et les motivations qui les poussent à démarrer une d’activité d’autoentreprise. Les femmes qui ont une idée sont acceptées par le programme qui leur fournit alors sur huit jours une formation gratuite et intensive à la création d’une microentreprise. La formation couvre les principaux concepts comme la commercialisation, la clientèle, les obligations juridiques, le capital initial et les opérations de gestion. Les participantes autoévaluent leurs propres progrès par rapport à un cadre d’activités commerciales en 12 étapes qui inclut par exemple comment estimer des budgets annuels ou effectuer des opérations comptables élémentaires.

Des ateliers additionnels donnent des informations sur les formes de soutien disponibles auprès des conseils locaux, les options bancaires à base communautaire, les services gouvernementaux, et l’accès aux conseils de spécialistes indépendants en marketing ou communication. En fin de formation, chaque diplômée est mise en relation avec un mentor sélectionné parmi un groupe de bénévoles appartenant au milieu local des affaires.

Une évaluation menée en 2015 a montré que les participantes, dans leur immense majorité, s’accordaient à reconnaître la valeur des sessions de formation intensive lors de la création de leur entreprise. L’acquisition de nouvelles connaissances et informations a permis aux participantes de renforcer leur confiance en elles-mêmes et leur autonomie.

« Avant de participer au programme j’avais connu la perte d’emploi et j’étais en proie aux doutes et aux sentiments négatifs. Le programme m’a permis de penser à autre chose qu’à mes problèmes personnels et m’a aidé à reconstruire ma propre estime…[Les femmes] sont confrontées à des obstacles, des difficultés et des tabous. Elles ont besoin de soutien et leur confiance en soi doit être restaurée. » (Femme de 59 ans originaire d’Inde)

Depuis leur participation au programme Stepping Stones, 96 % des participantes ayant pris part à l’évaluation ont indiqué avoir constaté une « amélioration » ou une « nette amélioration » de leurs réseaux sociaux. 76 % d’entre elles ont également dit que leurs contacts commerciaux s’étaient « améliorés » ou « beaucoup améliorés » depuis leur participation.

Les participantes ont également expliqué comment elles avaient transmis certaines connaissances et informations à d’autres femmes au sein de leurs communautés, en Australie ou dans leurs pays d’origine. Par exemple :

« Maintenant je vais continuer à développer mon entreprise…Par la suite je vais économiser davantage d’argent afin d’aider d’autres femmes dans mon pays. En Irak, les femmes handicapées n’ont aucun pouvoir, ne disposent d’aucun soutien de la part du gouvernement et n’ont souvent pas de quoi se nourrir… Je peux aider des femmes en Irak. » (Femme de 60 ans originaire d’Irak)

Ces témoignages soulignent les motifs complexes qui fondent le développement d’une entreprise, et certaines femmes souhaitent utiliser l’augmentation de leurs capacités financières pour aider non seulement leur famille mais aussi d’autres personnes – et particulièrement des femmes – dans leurs pays d’origine.

Des résultats encore insaisissables en termes d’entreprenariat

Même si les participantes ont reconnu la valeur de cette formation, la plupart d’entre elles n’avaient pas encore créé leur entreprise suite à l’obtention de leur « diplôme ». Au terme du programme de 2015, 71 % des participantes qui ont répondu à l’évaluation dépendaient encore de leur principale source de revenu antérieure. Moins de 20 % d’entre elles tiraient un revenu de leur entreprise ou employaient du personnel. Des données sur la période 2011 à 2014 du programme suggèrent que 57 % des participantes n’avaient pas encore démarré d’entreprise ou avaient déjà cessé l’activité initiée suite à l’obtention de leur diplôme. Parmi celles qui avaient créé une entreprise, le chiffre d’affaires annuel moyen atteignait à peine 14 160 $AU. À titre de comparaison, le salaire minimum annuel pour un emploi à temps complet en Australie est légèrement supérieur à 34 000 $AU.

Parmi les raisons principales qui expliquent pourquoi les femmes n’ont pas démarré d’entreprise il faut citer l’absence de capital initial, la nécessité d’avoir une expérience de travail et les raisons familiales. Les résultats de l’évaluation de la cohorte de 2015 montrent que 72 % des répondantes préféraient cumuler des économies personnelles plutôt que recourir à un crédit ou un emprunt pour obtenir leur capital de démarrage, ce qui implique la nécessite pour les femmes d’avoir déjà un emploi et un revenu stable.  

Comment est-il possible de concilier le feedback extraordinairement positif que les femmes ont donné à propos du programme avec leurs résultats médiocres en termes de création d’entreprises ? Une explication réside peut-être dans les risques inhérents à l’environnement entrepreneurial : les chiffres du gouvernement indiquent qu’en Australie moins d’un tiers de toutes les microentreprises atteignent un stade opérationnel dans les trois ans. Il n’est donc pas surprenant au vue des obstacles supplémentaires auxquels elles doivent faire face que le taux de succès des microentreprises débutantes opérées par des femmes migrantes soit encore plus faible.  

Une autre explication est que les paramètres conventionnels pour mesurer le succès d’une entreprise – comme le chiffre d’affaires annuel et les ventes, la croissance, la rentabilité et l’inscription au registre de l’entreprise et l’innovation – demandent peut-être à être redéfinis afin de mieux traduire les besoins et les aspirations des femmes issues de milieux réfugiés. Les femmes qui rencontrent des difficultés à obtenir un emploi traditionnel peuvent bénéficier du chiffre d’affaires d’une microentreprise modeste qui vient compléter une autre source de revenu familial. Les autres, celles qui préfèrent trouver un emploi rémunéré et économiser de l’argent sont peut-être également considérées comme des entrepreneures « ratées » – alors qu’un emploi stable est un moyen d’éviter les risques financiers liés à la microentreprise.

Les politiques et les programmes doivent reconsidérer l’entreprenariat et ce qu’un comportement d’entreprise signifie pour des femmes à la lumière des influences exercées par le genre, l’ethnicité et le statut migratoire. Il est nécessaire de prendre en compte des formes plus diverses de soutien habilitant qui permettent de répondre à leurs contraintes d’emploi, tout en émancipant les femmes et en les aidant à faire des choix qui renforcent leur sécurité économique.  

 

John van Kooy jvankooy@bsl.org.au
Chercheur associé, Brotherhood of St Laurence www.bsl.org.au/knowledge



[1] Hugo, G (2011), Economic, social and civic contributions of first and second generation humanitarian entrants (contributions économiques, sociales et civiques des entrants humanitaires de première et deuxième génération), National Centre for Social Applications of GIS: Université d’Adelaïde www.border.gov.au/ReportsandPublications/Documents/research/economic-social-civic-contributions-about-the-research2011.pdf

 

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