Dès le début des années 2000, le secteur de la protection a accompli des avancées conséquentes dans sa manière d’identifier et de répondre aux risques susceptibles de toucher les populations locales pendant les situations d’urgence, qu’il s’agisse d’interventions en cas de conflit ou de catastrophe. Alors qu’une somme importante de connaissances, d’expériences et de documentation a été générée au cours des dernières années autour de la protection dans ce type de contextes, la réflexion sur la protection dans le cadre de la préparation aux catastrophes a suscité bien moins d’attention. C’est-à-dire, dans les situations de catastrophe, des mesures et des activités de protection sont habituellement mises en œuvre au cours de la phase d’intervention mais bien souvent sans être pleinement considérées comme une part intégrante de la réduction des risques de catastrophe et des efforts de prévention.
Dans de nombreux pays, pendant ou immédiatement après une catastrophe, il est fréquent que les acteurs d’intervention de l’État se trouvent dans l’impossibilité d’atteindre les populations touchées pendant un laps important, ou qu’ils n’aient pas la capacité ou les ressources d’aider la population pendant toute la période nécessaire. En conséquence, en cas de catastrophe ce sont les communautés elles-mêmes et non pas les organes de l’État responsable, qui le plus souvent se trouvent en position de premiers intervenants. À ce titre, les communautés jouent un rôle crucial en relation à leur propre protection ; et à condition de disposer des outils adaptés, elles peuvent s’impliquer efficacement dans la mise en œuvre des mesures de protection en vue de prévenir et/ou de répondre aux dommages ou aux abus qui ont souvent lieu au cours des situations d’urgence. C’est dans ce contexte qu’un consortium[1] regroupant plusieurs organisations parmi lesquelles Oxfam, Plan International et Habitat for Humanity, s’est efforcé de travailler au niveau communautaire en République dominicaine avec des collectivités riveraines pauvres – barrios – en milieu urbain confrontées à des risques particulièrement élevés de déplacement induit par une catastrophe.
La République dominicaine subit périodiquement des événements climatiques majeurs qui lorsque combinés aux conditions sous-jacentes d’inégalités extrêmes et de paupérisation généralisée finissent bien trop souvent par produire des catastrophes. Parmi les exemples récents les plus significatifs on se souvient de l’ouragan Gorges de 1998, qui a laissé plus de 85 000 personnes déplacées et causé 350 décès ; des inondations soudaines de Jimani en 2004, qui ont anhilé plusieurs communautés et ont laissé plus de 600 morts et environ 1000 déplacés ; et, en 2007, des tempêtes tropicales Noël et Olga pendant lesquelles160 personnes sont mortes et 14 000 familles ont été déplacées à l’intérieur du pays.
Des milliers de familles déplacées par ces événements, rendues presque complètement invisibles par manque d’enregistrement ou de recensement national et n’ayant fait l’objet que d’un suivi très limité ou inexistant du gouvernement, continuent de vivre encore aujourd’hui dans les « refuges temporaires » dans lesquels elles avaient été initialement relogées par le gouvernement et elles attendent toujours après des années si ce n’est des décennies, d’être réinstallées ou renvoyées vers leurs lieux d’origine. En réalité, ces « refuges » ne sont guère plus que des cahutes improvisées construites avec de la tôle, du carton, de la terre battue ou de la toile de tente, souvent situées dans des zones à forts risques de catastrophe, sans accès aux services de base, complètement surpeuplées et dans des conditions déplorables.
Toutefois, pendant et après les situations d’urgence, les communautés touchées sont exposées à des risques supplémentaires de protection particulièrement graves. De nombreux Dominicains qui vivent dans des zones à forts risques refusent, par exemple, d’être évacués et envoyés dans des abris collectifs organisés par l’État parce qu’ils sont considérés comme dangereux du fait de la prévalence des abus et de l’exploitation sexuels aux mains des acteurs étatiques (particulièrement des militaires) et des responsables d’abris qui tirent avantage de la vulnérabilité de la population dont ils ont la charge. [2] Plus spécifiquement, l’accès à la nourriture et aux soins médicaux est souvent refusé de manière délibérée par les acteurs de l’intervention qui imposent des relations sexuelles de nature transactionnelle ou des ‘faveurs’ sexuelles en échange de l’aide humanitaire. Un tel abus de pouvoir se manifeste également par des cas de corruption, de coercition et de privation intentionnelle de services fondés sur l’affiliation politique, le statut socioéconomique ou l’appartenance ethnique, dans ce dernier cas la discrimination cible de manière prédominante les immigrants haïtiens et les Dominicains d’origine haïtienne auxquels l’accès à l’assistance et aux services de base est refusé et qui, dans certains cas n’ont même pas le droit d’utiliser les abris.[3] Des cas de traite à des fins sexuelles et des réseaux de prostitution forcée, ainsi que de travail et d’exploitation d’enfants ont également été signalés dans ces endroits, particulièrement dans des zones urbaines marginalisées.
Le programme pilote du consortium d’une durée d’un an qui doit s’achever en septembre 2016, avait pour objectif d’établir des brigades communautaires de protection en vue de répondre à ces menaces en ciblant les barrios riverains de la ville de San Cristobal ou des milliers de personnes ont été forcées de s’installer sur la plaine inondable de la rivière Nigua en réponse aux assauts de la pauvreté combinée à l’absence d’une planification foncière adéquate. Comme cela s’est déjà produit dans le cas des tempêtes tropicales Noël et Olga, ces communautés courent toutes des risques énormes de se voir emportées lors du prochain ouragan, de la prochaine tempête tropicale ou de la prochaine crue soudaine.
Dans le cadre de ce travail, les efforts ont été concentrés sur la formation et l’organisation des communautés riveraines de San Cristobal en vue de réduire et de gérer les risques de catastrophe à travers l’établissement dans chaque quartier de réseaux de prévention, d’atténuation et d’intervention en cas de catastrophe. Chaque réseau regroupe entre 25 et 30 membres de la communauté, spécifiquement recrutés de manière à assurer un équilibre adéquat en termes de sexe et d’âge – avec la participation de femmes et d’hommes allant des jeunes adultes aux personnes âgées – et à favoriser l’inclusion de personnes habituellement exclues des espaces de prise de décisions collectives au sein de la communauté, comme les personnes handicapées et les immigrants haïtiens.
Ces réseaux communautaires de RRC sont structurés en unités de 6 à 10 membres, et chaque unité reçoit plusieurs mois de formation spécialisée dans un des aspects de l’intervention en cas de catastrophe : évacuation et sauvetage, WASH (eau, assainissement et hygiène), communication ou gestion d’abris. Mêmes si ces différents aspects font bien partie des rôles que jouent traditionnellement les réseaux de RRC partout dans le monde, le projet a cherché à former spécifiquement les membres chargés de la gestion des abris à la création d’une brigade de protection spécialisée, un initiative pilote qui si elle s’avère efficace pourrait être reproduite ailleurs en République dominicaine et même au-delà.
Brigades de protection
Dans le cadre de cet objectif qui vise une intégration efficace de la protection à la préparation en cas de catastrophe au niveau communautaire, tous les membres du réseau ont reçu une formation relative aux mesures et principes de protection, et notamment à la manière de fournir une assistance adaptée aux besoins spécifiques des femmes, des enfants, des personnes âgées, des personnes handicapées, des personnes qui vivent avec le VIH/Sida ou une autre maladie chronique et aux populations immigrées (principalement haïtiennes). Les brigades de protection ont pour tâche cruciale de transformer ces principes en action concrète. Suite à une formation additionnelle sur la prévention de l’exploitation et des abus sexuels et sur la protection de l’enfant, ces brigades communautaires de protection servent également de mécanisme de suivi, de contrôle, de prévention et d’intervention à l’intérieur des abris collectifs face à la récurrence des cas de violence sexuelle et d’autres types d’abus de pouvoir. Cela inclut la garantie d’un accès à des mécanismes de transferts et de plaintes en cas de violation des droits, afin de veiller à ce que les victimes obtiennent une réponse, des soins adaptés par le biais de filières appropriées et un accompagnement tout au long du processus.
Alors que les réseaux communautaires de RRC sont intégrés au système national de gestion des situations de risque sous la supervision et la coordination de la Défense civile, les brigades de protection bénéficient de travailler en collaboration directe avec les agences gouvernementales de protection sociale, un aspect crucial en vue de garantir à la fois leur efficacité et leur pérennité. Pour cette raison, une ou deux personnes de référence ont été sélectionnées au sein de chaque équipe dans le but d’assurer la liaison entre les populations touchées et le département de la justice du gouvernement local et les services de protection sociale, et plus particulièrement avec les représentants provinciaux du Ministère de la femme, de l’Agence pour la protection et le bien-être des enfants, de l’Agence nationale pour la protection des personnes handicapées, des Services de santé publique et du Bureau du procureur général.
Dans le but d’institutionnaliser cette coordination, des protocoles spécifiques de protection en cas d’urgence ont été mis en place conjointement avec ces acteurs gouvernementaux qui jusqu’à présent n’avaient qu’un accès limité ou étaient très peu au courant des violations et abus qui se produisaient en cas d’urgence dans leur juridiction. Grâce à l’établissement d’un mécanisme de coordination entre les agences gouvernementales de protection sociale au niveau provincial et les brigades communautaires de protection sur le terrain, nous espérons qu’un plus grand nombre de cas se produisant en situation d’urgence obtiendront une réponse et seront traités adéquatement à travers les systèmes gouvernementaux de protection et de justice.
Tous les pays dans cette région, et particulièrement les petits États insulaires en développement des Caraïbes savent qu’ils vont se trouver confrontés à une situation de catastrophe à plus ou moins longue échéance. Faire en sorte que des mesures et des mécanismes de protection sont intégrés aux efforts de réduction et de préparation des risques de catastrophe, particulièrement au niveau des communautés, peut contribuer grandement à la protection des droits humains au moment et à l’endroit où surviennent des catastrophes.
Andrea Verdeja averdeja@oxfamintermon.org
Responsable de la protection humanitaire, Oxfam en République dominicaine www.oxfam.org/en/countries/dominican-republic
[1] Fondé dans le cadre du programme d’ECHO de préparation aux catastrophes (DIPECHO) dans les Caraïbes
[2] Casares García R (2013) Mujeres y Niñas en Contextos de Desastre: Tres Estudios de Caso sobre Vulnerabilidades y Capacidades en la República Dominicana, Oxfam/Plan International. http://dipecholac.net/docs/files/caribe/mujeres-y-ninas-contexto-desastres-16.pdf