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Une politique relative aux PDI en Afghanistan: de l’ébauche à la réalité

Le 25 novembre 2013, les autorités afghanes ont approuvé une politique nationale relative aux PDI[1], près de deux années après qu’avait commencé son ébauche. Dans le contexte du déplacement interne de quelque 500 000 Afghans en raison des conflits, et peut-être d’un autre million de personnes déplacées en conséquence de catastrophes naturelles et de projets de développement, un article du New York Times daté de février 2012 rapportait que les enfants PDI mouraient de froid dans les taudis de Kaboul où vivaient environ 50 000 PDI avec pour seul abri une tente ou une hutte de boue[2] En réaction, le Président H. Karzaï a établi une équipe spéciale, composée du ministère des Réfugiées et du rapatriement (MRR) et de l’Autorité afghane de gestion des catastrophes naturelles (AAGCN), pour tenter de remédier à la situation des PDI.

Cette équipe spéciale a créé un Groupe de travail politique en appui au MRR, organisé la visite du Rapporteur spécial de l’ONU pour les droits de l’homme des PDI, engage un spécialiste externe des PDI pour l’aider dans ses travaux et organisé un atelier consultatif de deux jours en juillet 2012, suivi par une première série de consultations provinciales en septembre de la même année. En octobre 2012, ProCap[3] a détaché un assistante supérieure chargée de la protection (l’auteure) auprès de l’UNHCR pour jouer le rôle de conseiller du MRR sur la question des PDI, faciliter le processus de consultation et participer à l’ébauche de la politique. Plusieurs des difficultés rencontrées lors de l’ébauche de cette politique reflètent les défis plus généraux en termes d’élaboration des lois et des politiques en Afghanistan.

Capacités et engagement des autorités: Bien que le MRR disposait de centaines d’effectifs à Kaboul et dans les provinces, ses capacités réelles étaient faibles car il manquait des compétences et des connaissances juridiques nécessaires pour ébaucher une politique. Il était extrêmement difficile de susciter l’engagement d’autres ministères pour qu’ils contribuent à la politique, même si certaines contributions ont finalement pu être recueillies au cours de réunions bilatérales en tête à tête. La corruption endémique dans les départements gouvernementaux posait, et continue de poser, un sérieux obstacle entravant l’efficacité des progrès.

Inciter à une plus large participation: Le Groupe de travail sur la politique relative aux PDI, créé pour aire le MRR lors du processus de consultation et de rédaction, était un petit groupe composé principalement d’organismes humanitaires internationaux. Les tentatives d’engager la participation de la Commission afghane des droits de l’homme, de l’Organe de coordination des agences de secours en Afghanistan (OCASA) ou des ONG nationales afghanes se sont surtout soldées par des échecs. Les contributions sont venues d’un nombre limité de groupes qui avaient été spécialement approchés, notamment les groupes menant des recherches, tels que TLO (The Liaison Office) et Samuel Hall, mais cette participation restait exceptionnelle. De plus, la situation sécuritaire et l’accès limité à de nombreuses régions entravaient les démarches auprès des gouverneurs et des autres représentants locaux à l’échelon provincial, qui sont pourtant essentiels pour la mise en œuvre.

Représentation des PDI: Il était particulièrement difficile d’organiser des consultations intéressantes avec les PDI car ils ne disposent généralement d’aucune structure de représentation pour synthétiser et exprimer leurs perspectives. Ainsi, même si des réunions ont été organisées avec de nombreux groupes de PDI, les discussions allaient rarement au-delà des besoins spécifiques concrets d’un groupe particulier, tels que l’eau, l’alimentation, les soins de santé, l’éducation et l’emploi.

Répondre aux principaux problèmes

Il s’est avéré extrêmement difficile de produire un document qui abordait les principaux problèmes dans toute leur complexité en Afghanistan. Aspect particulièrement révélateur, les gouverneurs, maires et autres responsables souhaitaient effectivement que la question des PDI soit résolue mais la seule solution qu’ils pouvaient envisager était le « retour ». La notion d’intégration locale ou de réinstallation n’était tout simplement pas sur leur radar tandis que l’idée de donner à un PDI des terres dans une autre province s’est révélée difficile à transmettre. La politique relative aux PDI expliquait clairement que les trois solutions durables devaient être acceptées et que l’intégration locale était particulièrement importante pour les déplacements prolongés et pour les réfugiés de retour qui ne pouvaient pas retourner sur leur lieu d’origine.

La question même de l’identification des PDI était, et est encore, profondément controversée. Les Afghans comprennent et acceptent facilement que les PDI soient déplacées par un conflit ou une catastrophe naturelle à déclenchement soudain, mais beaucoup plus difficilement lorsque le déplacement résulte d’un catastrophe naturelle à déclenchement lent, notamment la sécheresse, car la distinction avec les migrants économiques devient ambiguë. Toutefois, les personnes de retour incapables de revenir sur leur lieu d’origine et les personnes déplacées par un projet de développement étaient comptées parmi les personnes relevant de cette politique.

Les villes et les centres urbains ont été de véritables aimants pour les personnes déplacées car ils sont considérés comme des lieux offrant la sécurité, des possibilités de subsistance et des services essentiels. Toutefois, les autorités afghanes et la communauté du développement n’ont pas consacré suffisamment de réflexion ou de ressources pour réagie à l’urbanisation rapide du pays et, surtout, pour répondre aux besoins des personnes déplacées qui se sont établies dans des installations informelles, généralement des taudis à la périphérie des villes. La politique attire l’attention sur ce problème, notamment sur des solutions locales qui ciblent non seulement les PDI mais aussi, plus généralement, la population pauvre.

Quelles que furent les limitations et les difficultés du processus de rédaction, le fait est qu’il existe aujourd’hui une politique – un instrument – qu’il est possible d’utiliser pour défendre les droits des PDI, orienter les actions futures et améliorer la qualité de vie des Afghans déplacés. C’est sans aucun doute la mise en application qui représente le plus grand défi que les rédacteurs ont dû relever: veiller à ce que la politique éclaire réellement l’action, les programmes et la législation, plutôt que de tomber dans l’oubli au fond du tiroir d’un bureaucrate. Qui serait responsable de quoi? Une grande quantité d’énergie a été investie dans l’attribution des responsabilités aux différents ministères, organes de coordination et autorités provinciales et locales, ainsi qu’à la société civile, les communautés internationales de l’humanitaire et du développement et les autres acteurs. Reconnaissant que le déplacement se manifeste différemment dans différentes régions du pays, la responsabilité première de l’élaboration de plans et de stratégies de mise en œuvre a été confiée aux gouverneurs de province, laissant au MRR la tâche de consolider ces plans provinciaux en un plan national. Il reste à voir comment cela fonctionnera dans la réalité.

 

Laurie S Wiseberg lauriewiseberg@gmail.com est administratrice principale chargée de la protection chez ProCap. www.humanitarianresponse.info/themes/procap



[1] Officiellement, la Politique nationale de la République islamique d’Afghanistan relative au déplacement interne. www.refworld.org/docid/52f0b5964.html

[2] Rod Nordland «Driven Away by a War, Now Stalked by Winter’s Cold», New York Times, 3 fév 2012. www.nytimes.com/2012/02/04/world/asia/cold-weather-kills-children-in-afghan-refugee-camps.html?_r=0

[3] Protection Standby Capacity Project, une initiative inter-institutions visant à renforcer les capacités des acteurs concernés afin de renforcer la protection humanitaire apportée.

 

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