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La Gambie : un havre pour les réfugiés ?

Au cours des années 1990, plusieurs milliers de réfugiés fuyant les guerres civiles au Libéria et en Sierra Leone ont cherché à obtenir une protection dans ce minuscule pays qu’est la Gambie. Toutefois, la plupart des réfugiés établis en Gambie proviennent de la région voisine de la Casamance au Sénégal, où un conflit indépendantiste de faible intensité sévit depuis les années 1980. Pendant de nombreuses années, ces réfugiés ont fait des allers-retours entre le Sénégal et la Gambie selon l’intensité du conflit. Néanmoins, en 2006, un grand nombre d’entre eux se sont installés en Gambie et ont reçu pour la première fois une carte d’identité de réfugié.

La Gambie offre un solide cadre législatif aux personnes en quête de protection. En 2008, sa Loi sur les réfugiés[i] a établi la Commission gambienne pour les réfugiés, chargée de coordonner l’ensemble des affaires relatives aux réfugiés dans le pays. Un représentant du HCR, l’agence de l’ONU pour les réfugiés, siège à son conseil à titre consultatif.

Lorsqu’il convient de donner la définition d’un réfugié, la Loi sur les réfugiés reflète les dispositions de la Convention de l’Organisation de l’unité africaine régissant les aspects propres aux problèmes des réfugiés en Afrique, laquelle date de 1969. De plus, elle inclut aussi bien la reconnaissance prima facie des personnes appartenant à une catégorie ou nationalité particulière que la possibilité d’obtenir le statut de réfugié par le biais d’une relation familiale dont le statut de réfugié a déjà été reconnu. Elle confère aux réfugiés le droit d’ « exercer un emploi rémunéré ou un emploi indépendant », la liberté de mouvement et l’ « accès aux prestations sociales ».

Auto-installation et intégration
Au début des années 2000, on dénombrait cinq camps de réfugiés en Gambie. Le statut de réfugié prima facie accordé aux Sierra-Léonais et aux Libériens a pris fin avec les accords de cessation tripartites entre le HCR, la Gambie et les pays d’origine, en 2008 et 2012 respectivement. Ces accords ont également mis fin au droit de ces réfugiés à bénéficier d’une protection et d’une assistance. Quoi qu’il en soit, en 2005, tous les camps avaient été fermés. Car en fait, même avant ces accords, de nombreux réfugiés avaient déjà choisi le rapatriement volontaire ou décidé de vivre en dehors des camps, en milieu urbain. De plus, le HCR avait mis en place une initiative d’intégration locale dans l’ensemble de l’Afrique de l’Ouest pour les réfugiés sierra-léonais et libériens[ii].

La nouvelle vague de réfugiés venus de Casamance en 2006 n’a pas été placée dans des camps de réfugiés. On estimait alors que la proximité des anciens camps avec la frontière pourrait encourager les incursions de rebelles et qu’il serait difficile de fournir une protection adéquate aux réfugiés, tandis que la proposition de bâtir de nouveaux camps sur la rive nord du fleuve Gambie était impopulaire parmi la communauté des réfugiés car ils se seraient alors retrouvés trop loin de leurs propres communautés. En conséquence, les réfugiés se sont immédiatement auto-installés et la plupart des réfugiés de Casamance résident toujours aujourd’hui dans un groupe de 86 villages frontaliers. En raison de leur similarité culturelle et de leurs stratégies de subsistance communes, ces réfugiés sont généralement bien intégrés au sein des communautés d’accueil.

Toutefois, la pauvreté des communautés d’accueil et leur dépendance vis à vis de l’agriculture de subsistance a incité à l’époque les organisations non gouvernementales, (ONG) en conjonction avec le HCR, à se diviser la responsabilité de fournir l’aide aux réfugiés et aux communautés d’accueil, quoique certaines dispositions soient destinées aux deux communautés, par exemple les puits et les jardins communaux. Ces efforts visant à porter assistance aux deux communautés ont largement contribué à éviter les conflits. Depuis 2010, l’assistance alimentaire et matérielle apportée aux deux communautés a été réduite. Aujourd’hui, quelques opportunités sont toujours disponibles, tant pour la population d’accueil que pour les réfugiés, par exemple des formations professionnelles, qui sont principalement gérées par une seule ONG, la Gambia Food and Nutrition Association (GAFNA, l’association gambienne pour l’alimentation et la nutrition).

Les chefs de village, appelés Alkalos, enregistrent les réfugiés et assurent la liaison entre ces derniers et les institutions de soutien. Les réfugiés reçoivent également une parcelle de terre pour y vivre et la cultiver, et la GAFNA travaille aujourd’hui sur la question du transfert de propriété. Les réfugiés peuvent participer aux structures politiques de leur village en tant qu’aînés mais ne peuvent pas devenir des Alkalos (une prérogative qui est, de toute façon, principalement réservée aux hommes).

Les efforts continuent de se concentrer sur l’intégration des réfugiés, en particulier originaires du Sénégal, tandis que les négociations relatives aux droits des réfugiés continuent de se centrer sur la relaxation des critères stricts de naturalisation, qui exigent 15 années de résidence. Le HCR a réussi à négocier avec le gouvernement la possibilité d’utiliser les cartes d’identité de réfugié en tant que preuve de résidence. Cependant, les réfugiés casamançais montrent peu d’intérêt à abandonner leur nationalité sénégalaise. Leur comportement rappelle celui des Libériens et des Sierra-Léonais, qui ont, pour la plupart, décliné les offres de naturalisation et préféré conserver leur propre nationalité[iii].

Des droits négociés

Bien que la Loi sur les réfugiés accorde à ces derniers le droit de travailler et d’accéder aux prestations sociales, ces droits sont relativement vagues et donc ouverts à des interprétations divergentes. Par exemple, les réfugiés peuvent officiellement travailler, et un grand nombre d’entre eux exercent une activité indépendante, en tant que tailleurs, petits commerçants ou carreleurs, ou mêmes enseignants, mais tant les réfugiés que les employeurs se heurtent à un certain nombre d’obstacles sur le plan technique ou de la communication. Afin de pouvoir travailler dans le secteur formel, les réfugiés doivent faire une demande de permis de travail supplémentaire « pour étranger ». Alors que les employeurs des réfugiés sont exonérés de la taxe sur les expatriés, imposée lorsque des non-Gambiens sont employés (et qui peut être particulièrement élevée), les rapports suggèrent que les employés ne sont pas conscients de cette mesure ou prétendent ignorer son existence afin d’avoir une excuse pour ne pas employer de réfugiés[iv].

Les politiques relatives à l’accès des réfugiés aux soins de santé et à l’éducation sont continuellement en cours de renégociation. Sous le précédent gouvernement de Yahya Jammeh (qui a quitté ses fonctions en janvier 2017 après avoir perdu les élections le mois précédent), ce besoin de renégociation provenait des changements fréquents de personnel, et ces questions doivent désormais être abordées avec le nouveau gouvernement. Sous le gouvernement précédent, par exemple, le HCR avait signé un accord avec le Ministère de la santé qui permettait aux réfugiés de payer le tarif local pour accéder aux soins de santé. Le Commissaire aux réfugiés actuel a affirmé que les négociations avaient dû reprendre avec le nouveau ministère afin de garantir le maintien de cette disposition.

Les réfugiés en tant que pions sur l’échiquier politique
L’ancien président Jammeh était généreux envers les réfugiés, même si c’était pour de mauvaises raisons. Jammeh a été accusé par beaucoup d’avoir soutenu (indirectement) les combattants indépendantistes casamançais au Sénégal afin d’élargir son soutien politique ; les Casamançais sont issus du même groupe ethnique que lui, les Diolas, tandis que son village natal se situe à proximité de la frontière. Il a même été accusé d’avoir distribuer des certificats de naturalisation et des cartes d’électeurs à ce groupe de réfugiés afin d’accroître sa popularité.

Maintenant que Jammeh est parti, la protection de la communauté casamançaise a également disparu. À ce jour, aucune réaction négative de grande ampleur à l’encontre des Diolas ou des réfugiés casamançais n’a été observée, mais il est possible que cela se produise. Si le conflit reprend, les réfugiés casamançais résidant en Gambie pourraient devenir une fois encore des pions sur l’échiquier politique, alors que l’on s’attend à ce que le nouveau gouvernement agisse d’une manière beaucoup plus semblable à celle du gouvernement sénégalais.

Même si le soutien de Jammeh aux réfugiés était probablement motivé par des raisons politiques, il le légitimait également en tant que protecteur des populations vulnérables. Il reste à voir dans quelle mesure le nouveau gouvernement suivra cette voie. La Gambie est peut-être un pays doté de mécanismes de protection juridique des réfugiés relativement avancés et de formes bien développées d’auto-installation, mais il ne faut pas pour autant sous-estimer le contexte politique de la protection accordée aux réfugiés.

 

Franzisca Zanker franzisca.zanker@abi.uni-freiburg.de
Directrice du groupe de recherche sur la migration (forcée), Arnold Bergstraesser Institute www.arnold-bergstraesser.de/en

 


[ii] Cette initiative (déployée en Côte d’Ivoire, en Gambie, au Ghana, en Guinée, au Libéria, au Nigéria et en Sierra Leone) a promu les avantages de l’intégration locale pour les communautés d’accueil et de réfugiés, et encouragé les réfugiés à vivre et travailler dans les pays voisins, conformément aux dispositions de la CEDEAO, notamment à un mémorandum de 2007 relatif aux réfugiés. Ces dispositions donnent aux réfugiés des pays membres les droits de résider, s’établir et travailler dans toute la région de la CEDEAO.

[iii] Voir Boulton A (2009) « Intégration locale en Afrique de l’Ouest », Revue des Migrations Forcées no 33 www.fmreview.org/fr/node/3162

[iv] Voir Hopkins G (2015) « Casamance Refugees in Urban Locations in The Gambia », in Koizumi K et Hoffstaedter G (Eds.) Urban Refugees: Challenges in Protection, Services and Policy, p. 42–75.

 

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