Résoudre le déplacement prolongé grâce aux logements sociaux

Une méthodologie basée sur le logement social récemment introduite en Bosnie-Herzégovine met en évidence certaines des composantes-clés nécessaires à toute stratégie visant à répondre aux besoins de logement et de subsistance des citoyens vulnérables.

En 2011 (16 ans après la signature de l’accord de Dayton), le processus de retour en Bosnie-Herzégovine était considéré comme une réussite sur de nombreux plans. Sur les 2,2 millions de citoyens déplacés pendant la guerre, plus de 91 % étaient retournés dans leur communauté d’origine ou s’étaient intégrés à une nouvelle communauté. Plus de 320 000 unités de logement avaient été reconstruites et réparées. Et pourtant, 193 000 personnes déplacées et réfugiés avaient toujours besoin d’une solution durable en matière de logement. En particulier, 8 734 personnes déplacées vivaient toujours dans l’indigence et dans de mauvaises conditions sanitaires dans l’un 160 centres collectifs du pays qui, pour la plupart, n’avaient jamais été conçus pour un usage résidentiel.[1]

Ces 193 000 personnes n’étaient pas en mesure où avait choisi de ne pas tirer avantage des programmes antérieurs de reconstruction de logements, et ce pour diverses raisons, dont les suivantes :

  • absence de confirmation officielle du déminage de leur propriété ou des alentours 
  • manque de services publics et d’infrastructures communautaires de base 
  • possibilités d’emploi insuffisantes 
  • inéligibilité aux programmes en tant que locataires n’ayant jamais détenu de propriété 
  •  incapacité à prouver la légalité de leur titre de propriété 
  • réticence à retourner sur le lieu de leur traumatisme

 

Au vu de cette situation, Catholic Relief Services (CRS) a décidé en 2007 de réaligner sa stratégie en donnant priorité au déploiement d’une nouvelle méthodologie de logement social plutôt qu’à la reconstruction de logements individuels. Cette nouvelle orientation devrait contribuer  au renforcement des capacités des pouvoirs publics locaux à offrir des solutions de logement durables aux résidents des centres collectifs et aux autres groupes déplacés vulnérables, dont les Roms, les demandeurs d’asile réadmis,[2] les personnes handicapées et les personnes âgées.[3]

Principes du logement social

Avec le logement social, une communauté peut contribuer à fournir des logements abordables à ses citoyens qui ne sont pas capables de subvenir indépendamment à leurs besoins en matière de logement. Cette solution peut revêtir la forme de nouvelles structures à plusieurs étages et plusieurs unités ou d’unités individuelles construites au-dessus de logements existants ou réhabilitées au sein de logements existants. Quel que soit le type de logement social, trois principes sont essentiels. Premièrement, les titres de propriété doivent être clairement définis et enregistrés auprès des autorités locales. Deuxièmement, les responsabilités en matière de gestion et d’entretien doivent être clairement articulées et organisées. Enfin, les critères d’admissibilité et les procédures d’attribution des appartements doivent être clairement définies et communiquées dès le départ.

La stratégie de logement social de CRS s’articule autour des composantes suivantes :

Groupe de travail formel : ce groupe doit être établi dès le début pour faciliter la mise en place[LA1]  de partenariats collaboratifs avec les fonctionnaires locaux, tout en renforçant les capacités municipales à assumer les responsabilités de gestion et d’entretien une fois que les locataires ont emménagé.

« Livre de règlement » : celui-ci formule les grands principes du logement social et définit les rôles et les responsabilités de chaque partie prenante. Le dépôt officiel de ce document auprès des tribunaux locaux permet de garantir que les futurs politiciens ne seront pas en mesure d’utiliser de manière abusive ni de vendre les unités au cours des 25 prochaines années au minimum.

Loyers abordables : les loyers doivent être inférieurs au taux du marché. Bien que cette mesure puisse poser un défi à certaines personnes déplacées de manière chronique et habituées à bénéficier d’un logement gratuit, elle peut également promouvoir la dignité et réduire la dépendance, en plus de générer les ressources nécessaires à la gestion et à l’entretien des bâtiments.

« Carte socio-économique » de la famille : cette carte documente les critères d’admissibilité de chaque famille et sert de référence pour comparer les améliorations futures du revenu et du niveau de vie des ménages. Si le revenu d’une famille augmente ultérieurement et dépasse le seuil de pauvreté officiel, son loyer sera réajusté à un taux plus proche de celui du marché.

Composante de moyens de subsistance durables : chaque famille bénéficie d’une forme d’assistance pour l’aider à couvrir le loyer et les factures mensuelles et à reconstituer les actifs que le ménage a perdus cours de la guerre. Les options de subsistance sont définies sur mesure pour chaque famille et peuvent inclure les équipements agricoles, une formation ou une assistance à la vente de leur production ou encore des subventions aux entreprises locales pour les encourager à embaucher les personnes issues des minorités de retour.

Liens et réseaux sociaux : la participation des pouvoirs publics locaux, des ONG et les autres parties prenantes dans les communautés de retour est un élément important pour apporter un appui adapté aux familles de retour.

Développement mixte : la promotion d’un usage mixte des bâtiments permet aux minorités de retour, aux Roms, aux personnes handicapées et aux autres groupes marginalisés de s’intégrer physiquement, économiquement et socialement parmi les membres de la communauté majoritaire. Dans certains cas, il est possible de définir des dispositions spéciales visant à attirer des cadres professionnels et techniques dont les compétences sont en demande au sein de la communauté ; dans d’autres situations, il est possible de réserver tout ou partie du rez-de-chaussée d’un immeuble d’habitation à des établissements commerciaux afin de fournir des possibilités d’emploi et de vente.

Un système de gestion : CRS fournit un logiciel informatique spécialement conçu pour la gestion des informations (et la formation à ce logiciel) aux services municipaux concernés pour leur permettre de : compiler les informations et les données essentielles sur l’ensemble des bâtiments de logement social ; assurer le suivi du paiement des loyers et des arriérés ; organiser les programmes d’entretien ; et produire des rapports pour différentes entités, y compris au niveau municipal et national.

Alignement sur les normes internationales : ce principe aide la Bosnie-Herzégovine à respecter toute nouvelle exigence liée à une éventuelle adhésion future à l’Union européenne.

Les autorités de Bosnie-Herzégovine ont appris par leurs propres projets de logement social les risques liés à l’omission d’une ou de plusieurs de ces composantes fondamentales et à l’adoption d’une approche axée uniquement sur la construction des bâtiments. Une évaluation des logements sociaux construits par les autorités entre 2009 et 2012 a conclu que, comme les questions relatives à la propriété, à la gestion, à l’entretien et aux baux n’avait pas été correctement éclaircies dès le début, personne n’avait endossé ces responsabilités. De plus, l’absence de législation et de cadre politique gouvernant le logement social a empêché aussi bien les autorités que les locataires d’en tirer pleinement les avantages.

Principaux résultats à ce jour

À la fin de l’année 2014, 762 personnes déplacées et rapatriées avaient acquis des conditions de vie sûres et dignes dans 273 unités de logement social construites par CRS dans neuf municipalités du pays. 93 % des familles qui avaient signé des contrats de location vivaient toujours au même endroit six années plus tard.[4] Sur les 7 % qui étaient parties[LA2] , plus de la moitié avait une bonne raison de s’en aller (par ex : mariage, émigration volontaire, obtention d’un emploi dans une autre ville). Seules 3 % des unités de logement social étaient vacantes. Cette stabilité est un important facteur contribuant à la croissance économique et sociale des communautés concernées. De plus, 22 % des membres des familles vivant dans ces unités de logement social avaient moins de 18 ans, ce qui démontre l’efficacité de la méthodologie à attirer le type de famille jeune et en âge de travailler qui permet de revitaliser les communautés touchées par la guerre.

En 2010, des premiers résultats prometteurs ont incité les autorités de Bosnie-Herzégovine à faire du logement social un élément prioritaire de sa Stratégie révisée de mise en œuvre de l’annexe 7. Au cours des années suivantes, le ministère des Droits Humains et des Réfugiés a intégré, en tant que stratégie fondamentale, le logement social à deux programmes nationaux grâce auquel plus de 2 900 unités de logement social seront construites.[5] En 2015, ce ministère a adopté le Manuel du logement social[6] de CRS en tant que directives officielles pour toutes les municipalités participant à ces deux programmes.

Après que ses premiers efforts pour établir une législation au niveau national sont restés au point mort en raison d’une impasse politique plus générale, CRS a décidé de solliciter l’engagement d’agents publics au niveau des municipalités, des cantons et des entités, où la volonté politique est présente pour élaborer et appliquer des stratégies et des lois relatives au logement social. En 2013, CRS a réussi à aider deux cantons (BPK Goražde et Zeničko-dobojski) à élaborer puis à voter la toute première loi du pays relative au logement social. Cinq autres municipalités (Srebrenica, Prijedor, Goražde, Mostar et Banja Luka) ont élaboré des stratégies de logement social qui fournissent un cadre commun à toutes les initiatives actuelles et nouvelles. Et en 2013, le ministère des Droits Humains et des Réfugiés a intégré le logement social à la seconde phase de son initiative visant à favoriser le retour et l’intégration des demandeurs d’asile dans dix municipalités ciblées et dans le district de Brčko, démontrant ainsi que le les autorités de Bosnie-Herzégovine comprennent dorénavant la valeur du logement social, qui peut aider les municipalités à répondre aux besoins de logement et de subsistance de leurs citoyens les plus vulnérables.

 

Marc D’Silva marc.dsilva@crs.org
Sanela Imamovic sanela.imamovic@crs.org
Catholic Relief Services (Services catholiques de secours en Bosnie-Herzégovine)
www.crs.org/countries/bosnia-herzegovina



[1] Données obtenues auprès du ministère des Droits Humains et des Réfugiés (2011) Programme conjoint régional pour des solutions durables pour les réfugiés et les personnes déplacées, Programme-cadre. http://tinyurl.com/MHRR-framework-prog-2011

[2] Les personnes originaires de Bosnie-Herzégovine ayant sollicité l’asile dans d’autres pays d’Europe (principalement de l’UE) puis ayant été rapatriées dans le cadre des différents accords signés entre les autorités nationales concernées. Environ 70 % de ces demandeurs d’asile réadmis sont des Roms, qui peinent à prouver qu’ils vivaient précédemment en Bosnie-Herzégovine car ils ne possèdent pas de certificat de naissance.

[3] L’initiative de logement social de CRS a été nommée comme l’une des deux meilleures pratiques d’intégration des Roms dans les Balkans occidentaux. Consultez le rapport de l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (2014) Best Practices for Roma Integration: Regional Report on Housing Legalization, Settlement Upgrading and Social Housing for Roma in the Western Balkans. www.osce.org/odihr/115737

[4] Données de suivi du personnel de CRS en Bosnie Herzégovine, mai 2015.

[5] Voir article de Andrew Mayne, La Bosnie-Herzégovine 20 ans après Dayton www.fmreview.org/fr/dayton20/mayne

 

 

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