Abriter des personnes déplacées victimes de violence sexuelle et sexiste

Mettre à disposition différents types de refuges, chacun avec leurs avantages et leurs limitations propres, à l’intérieur d’une zone unique pourrait contribuer à couvrir la diversité des besoins des victimes de violence sexuelle et sexiste à travers leur évolution.

Des hommes, des femmes et des enfants courent le risque de subir des violences sexuelles et sexistes en situation de conflit et d’urgence et pendant leur fuite. Même lorsqu’ils sont installés, dans des camps pour personnes déplacées ou dans des zones urbaines, à titre individuel leur insécurité risque souvent de se poursuivre voire d’augmenter à cause, par exemple, de la dispersion des familles et des communautés, d’un changement des rôles assumés par les hommes et les femmes ou d’un accès limité aux ressources, à la protection de la police ou à des logements adaptés.

Les besoins psychologiques et de santé des réfugiés et des personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays (PDI) qui fuient des violences sexuelles et sexistes peuvent aussi être urgents et complexes en fonction des préjudices individuels ou collectifs qu’ils ont pu subir. Il est cependant surprenant de constater à quel point les orientations concernant la mise à dispositions de refuges pour des personnes qui fuient des violences sexuelles et sexistes sont limitées. Les Directives en vue d’intervention contre la violence basée sur le sexe dans les situations de crise humanitaire publiée par le Comité permanent interorganisations (IASC) sont la source la plus complète d’orientations dans ce domaine.[1] Néanmoins la brève discussion des abris sécurisés qui y figure ne porte que sur les situations de camps, et aucun exemple concret n’est donné qui puisse servir de modèle ou indiquer la manière d’étendre la protection à des groupes marginalisés.

En vue de combler cette lacune, le Programme sur la violence sexuelle du Centre d’études sur les droits de l’homme de l’Université de Californie de Berkeley, a entrepris une étude intitulée « Safe Haven » qui examine les différents types de refuge proposés à des réfugiés, des personnes déplacées et à d’autres catégories de migrants dans quatre pays différents: Colombie, Haïti, Kenya et Thaïlande. Chaque programme individuel de refuge faisant partie de cette étude était prévu soit à l’intention uniquement de survivants adultes de violence sexuelle et sexiste, soit combinait au sein du même programme des adultes et des enfants. Des agences gouvernementales, des ONG internationales ou des organisations issues de la société civiles étaient en charge de ces programmes très variables par leur taille, leur capacité et leurs caractéristiques concrètes. Certains étaient conçus spécifiquement à l’intention de réfugiés ou de personnes déplacées, alors que d’autres accueillaient principalement la population générale tout en étant ouverts aux personnes déplacées.

Au cours de cette étude, les chercheurs ont élaboré une typologie de modèles de refuges à l’intention des réfugiés et des autres catégories de personnes déplacées :

  • Refuges traditionnels : les victimes vivent ensemble dans une structure commune et des employés supervisent le fonctionnement des lieux.
  • Logements indépendants : les employés organisent l’hébergement des victimes dans des logements séparés (p. ex. dans des appartements indépendants ou des chambres d’hôtel) qui n’ont pas été construits pour servir de refuges.
  • Systèmes d’hôtes communautaires : les victimes vivent à titre provisoire chez certains membres sélectionnés de la communauté.
  • Zones protégées : les victimes vivent dans leurs propres maison ou abris dans une sous-section réservée, protégée et close d’un camp de réfugiés ou de personnes déplacées.
  • Entités à but alternatif : les victimes sont logées dans un cadre destiné à fournir des services sans rapport avec les refuges (p. ex. commissariat de police, hôpital, centre de santé ou église).

 

On peut également trouver des situations hybrides combinant certains éléments empruntés aux différents modèles décrits ci-dessus.[2]

Refuges traditionnels

Le refuge traditionnel est de loin le modèle le plus commun dans cette catégorie. En général, les refuges sécurisés traditionnels sont particulièrement bien adaptés aux résidents qui ont les besoins de sécurité les plus élevés car ils peuvent offrir une variété de mesures de protection comme des gardes, des barrières, un emplacement confidentiel ainsi que des règles déterminant les mouvements des résidents et des visiteurs. Toutefois ce type de situation limite l’interaction avec la communauté, la mobilité et l’indépendance. On trouve en Colombie des exemples extrêmes de ce type de refuges prévus pour des personnes déplacées à haut risque qui fuient des violences liées au conflit. Les résidents de ce type de refuges ont indiqué qu’ils se sentaient enfermés ou emprisonnés du fait de la rigidité des protocoles de sécurité, des patrouilles de la police et des escortes armées qui accompagnent les victimes lorsqu’elles se rendent à l’extérieur pour y recevoir des services. Les refuges traditionnels organisés par les organisations de femmes et de défense des droits des migrants en Thaïlande constituent une exception à ce modèle dans la mesure où ils sont souvent rattachés à un centre communautaire qui offre des ressources, des informations et des activités sociales. Ce modèle particulier de refuge traditionnel semble réaliser un compromis effectif entre sécurité et autonomisation des résidents. 

Les refuges traditionnels imposent également à des étrangers de vivre dans des conditions de proximité étroite ce qui peut entraîner des conflits relatifs à la propreté ou au partage des ressources, ils peuvent aussi engendrer des dynamiques de pouvoir inégales ou renforcer des animosités préalables entre membres de groupes culturels ou ethniques différents.

Logements indépendants

Ce type de solution est utile parce qu’il permet une liberté et une indépendance plus importantes que d’autres modèles et qu’il semble offrir davantage de confidentialité et de confort aux membres de certains groupes marginalisés qui ont des besoins spécifiques ou ne se sentent pas à l’aise pour partager un hébergement avec la population générale. Au Kenya, un programme héberge des réfugiés appartenant à la minorité LGBT[3] présentant des risques de sécurité dans des appartements privés et discrets autour de Nairobi où ils peuvent vivre au sein de la communauté générale sans attirer l’attention. Toutefois, ils n’étaient en sécurité qu’aussi longtemps qu’ils ne s’identifiaient pas comme LGBT face à l’extérieur. En Thaïlande des informateurs ont expliqué que du fait de la norme sexuelle en vigueur selon laquelle « les hommes doivent être capables de se protéger eux-mêmes » et à cause de la stigmatisation que subissent les hommes qui recourent à des refuges sécurisés, des modèles d’hébergement indépendant pourraient être plus accessibles et culturellement mieux adaptés dans le cas d’hommes et d’adolescents.  

L’absence de réelles dispositions de sécurité sur place est la principale limitation de ces hébergements indépendants. Des hébergements dispersés peuvent aussi contribuer à l’isolement et priver les personnes concernées du soutien social qu’elles sont nombreuses à trouver essentiel à leur rétablissement.

Systèmes d’hôtes communautaires

Le système des hôtes communautaires dans lequel les victimes sont hébergées à titre provisoire chez des bénévoles est une stratégie émergente. Ces programmes offrent le confort d’une maison et la capacité de rester au sein de sa propre communauté ce qui peut contribuer à maintenir des relations de soutien entre les victimes et leurs amis et leur famille, et facilite un processus de réinsertion. Cela encourage également l’établissement d’un réseau de défenseurs des victimes au sein de la communauté.

Dans le camp de réfugiés de D’adab au Kenya, deux systèmes d’hôtes communautaires organisés par des ONG internationales ont placé des victimes chez des chefs de communauté et des bénévoles. Dans une situation de camp, ce modèle permet une option communautaire qui a le double avantage de ne pas couper les personnes de leurs réseaux habituels de soutien et de ne pas créer d’attentes irréalistes concernant un hébergement ou une réinstallation à plus long terme.

Les systèmes d’hôtes communautaires impliquent des ressources moins importantes et sont un bon choix pour des personnes qui ne sont pas certaines de vouloir prendre une décision plus extrême qui consisterait à abandonner leur communauté, même à titre provisoire. Toutefois, des systèmes de ce type peuvent ne pas être adaptés pour des victimes qui courent des risques particulièrement élevés dans une situation de camp clos où il n’est pas possible de changer secrètement d’endroit. Les familles hôtes en Colombie ont exprimé leur inquiétude par rapport à leur propre sécurité lorsqu’elles hébergeaient des personnes dans une situation particulièrement volatile où la sécurité était minimale, et certaines d’entre elles ont remarqué que cela avait des impacts négatifs sur les dynamiques de leur propre famille. Au Kenya, il est arrivé occasionnellement que les victimes et leurs hôtes bénévoles soient attaqués et dans d’autres cas des hôtes potentiels ont simplement refusé d’accepter des victimes parce qu’ils craignaient pour leur propre sécurité. Ces programmes dépendent également du niveau de conscientisation d’une communauté à l’égard du droit des femmes et de son acceptation de la nécessité de protéger les victimes.

Zones protégées

Les zones protégées sont des sections closes d’un camp de réfugiés ou de personnes déplacées disposant d’une sécurité accrue dans laquelle vivent les personnes à risque et leur famille dans leur propre maison ou abri parmi d’autres familles qui ont également besoin de protection. Par exemple, dans le camp de Kakuma au Kenya, la zone protégée est entourée d’un grillage recouvert de branches épineuses qui empêche les résidents d’être vus de l’extérieur. Deux gardes surveillent le portail d’entrée et la proximité d’un poste de police renforce encore la sécurité du lieu.

Ce type de modèles pose toutefois des problèmes similaires à ceux associés aux refuges traditionnels, notamment parce qu’ils sont centrés sur la sécurité au dépens de l’interaction avec la communauté et que des tensions se créent lorsque des étrangers provenant de milieux différents vivent ensemble dans un espace surpeuplé.

Entités à but alternatif

Les entités à but alternatif peuvent être une possibilité de protection importante à court termes, en cas d’urgence, comme peuvent l’être des lits dans des centres de santé au Kenya et en Thaïlande ou des chambres d’internats pour des réfugiés dans des camps au Kenya et en Thaïlande. Au Kenya, un centre de détention pour délinquants qui dépend de la communauté – connu sous le nom de Sudanese Cell – a un double usage et offre un espace sécurisé pour des victimes de violence.

La principale limitation des entités à but alternatif est qu’elles ne sont simplement pas prévues pour répondre aux besoins complexes des victimes. Dans certains cas, elles ont pu offrir une sécurité temporaire mais sans couvrir les besoins médicaux ou psychologiques. Dans d’autres cas c’est l’inverse qui s’est produit. Nos constatations tendent à suggérer que ces modèles ne devraient être utilisés qu’à court terme et en dernier recours pour héberger des victimes dans des situations d’urgence.

Un éventail d’options diverses

Cette typologie des différents modèles de refuge peut être utile afin d’établir une base de référence des refuges les plus efficaces et pour servir de cadre en vue d’analyser les tendances et comprendre les avantages et les limitations des différents types de programmes. La présente étude a permis d’identifier une série de facteurs déterminants pour le succès des programmes de refuge, quel qu’en soit le type :

  • Manière dont la communauté perçoit le refuge.
  • Capacité d’offrir des conditions de sécurité et un soutien psychologique adéquats aux résidents comme au personnel.
  • Approche centrée sur la victime dans laquelle les victimes sont impliquées à tous les niveaux de la prise de décisions.
  • Développement de stratégies transitoires permettant aux résidents de passer à autre chose dès que possible.
  • Degré de coordination au niveau du refuge avec d’autres refuges et d’autres prestataires de services dans la même zone.

Pouvoir disposer d’une variété de possibilités de refuges sécurisés est idéal afin de couvrir l’ensemble des besoins et des souhaits des individus en matière d’indépendance et de connexion avec la communauté. Une bonne compréhension de la diversité des modèles de programmes possibles – et de leurs conditions de mise à disposition dans le cadre d’un camp ou d’une communauté, peut permettre le transfert des victimes vers des refuges mieux adaptés à mesure que leurs besoins et leurs préférences évoluent. Une évaluation plus approfondie et plus rigoureuse des programmes de refuge est capitale et urgente afin de confirmer quels types de modèle fonctionne le mieux dans différentes circonstances.

 

Julie Freccero juliefreccero@berkeley.edu
Directrice associée du Programmes sur la violence sexuelle du Centre des droits de l’homme de l’Université de Californie, Berkeley, Faculté de droit.
www.law.berkeley.edu/centers/human-rights-center/

Cet article s’appuie sur les constatations de l’étude Safe Haven du Centre d’études sur les droits de l’homme. Julie Freccero a été Directrice de recherche pour cette étude et elle est l’auteure de l’étude de cas sur la Thaïlande et co-auteure des quatre rapports comparatifs de pays. La série de rapports Safe Haven est disponible sur : www.law.berkeley.edu/centers/human-rights-center/programs/sexual-violence-program/protection-research/



[2] Dans le rapport intégral de la série Safe Haven les mérites d’une sixième catégorie de « modèles hybrides » sont également discutés.

[3] Lesbienne, gay, bisexuel ou transgenre.

 

 

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