En quête d’équité dans le partage des responsabilités

Le cycle de méfiance mutuelle entre les différents États membres de l’UE qui empêche la solidarité ne pourra être rompu que grâce à une évaluation équitable des responsabilités sur la base d’indicateurs objectifs.

Le système d’asile de l’Union européenne (UE) comporte maints facteurs qui entravent son développement. Tout d’abord, le mécanisme de détermination de la responsabilité (Système de Dublin) est un échec dans la mesure où il ne réussit pas à partager équitablement les responsabilités entre les États membres, et qu’en outre il néglige largement les réalités auxquelles sont confrontés ceux qui demandent protection ainsi que leurs préférences ou les liens qu’ils peuvent déjà avoir avec certains États membres.

Il n’y a jamais eu de discussion objective sur ce que pourrait être un partage « équitable » des responsabilités, ce qui contribue à démotiver les États membres et les dissuadent d’appliquer les obligations qu’ils ont contractées sur le plan législatif. Les différents stades de développement économique des États membres et leurs niveaux variés d’investissement dans leurs systèmes de réception et de traitement de l’asile entrainent des conditions d’accueil profondément divergentes, sans ignorer en outre qu’il existe encore des différences en matière de taux reconnaissance du statut de réfugié entre les différents États membres. Il n’existe pas non plus de mécanisme permettant par exemple de reconnaitre l’investissement réalisé par certains États membres qui se trouvent en première ligne du contrôle des frontières extérieures de l’Union et sauvent des vies en mer.

Le principe de la solidarité et le partage équitable des responsabilités sont clairement établis dans les traités de l’UE. Jusque très récemment cependant, les institutions de l’UE ont évité dans différentes déclarations politiques de s’engager sur cette question et ont adopté une approche « boîte à outils » en se bornant à édicter une série de mesures ad hoc servant à opérationnaliser la solidarité. La majorité de ces mesures sont de nature opérationnelle, technique ou financière, et ne constituent qu’un degré restreint de solidarité entre États membres.

Ceci étant dit le Bureau européen d’appui en matière d’asile, une agence dédiée de l’UE chargée de renforcer la coopération entre les États membres, devrait jouer un rôle déterminant afin d’instaurer davantage de solidarité entre les États. Pour que cela se convertisse en réalité, son financement et ses ressources devraient être proportionnels aux ambitions et aux attentes qui pèsent sur lui. Parallèlement, son mandat devrait être renforcé en vue de lui garantir une capacité opérationnelle plus importante.

Solidarité entre États membres de l’Union

Dans la mesure où il n’y a jamais eu d’évaluation objective du partage des responsabilités, un État membre qui se trouve « débordé » ne dispose d’aucun moyen pour justifier de manière objective un appel à la solidarité des autres États, et une telle demande risque de soulever la suspicion des autres membres qui s’imaginent qu’il cherche simplement à échapper à ses responsabilités. Une évaluation objective de la capacité d’asile de chaque État membre permettrait d’établir clairement une distinction entre une « incapacité » d’assumer ses responsabilités et un « refus » de s’y conformer, ce qui permettrait de répondre aux tensions qui existent actuellement entre États membres sur la répartition des responsabilités dans ce domaine.

Dans une quête de solidarité, les États membres devraient se mettre d’accord sur un système d’évaluation de leur part individuelle de responsabilité en se fondant sur des indicateurs objectifs. Un cadre d’évaluation commun et accepté par tous rendrait possible l’évaluation objective des appels à la solidarité ; il permettrait également de révéler dans quelle mesure la performance de certains États membres laisse à désirer et de signaler leur besoin de renforcer leurs systèmes en ressources tant humaines que financières.

Finalement, le transfert à l’intérieur de l’Union de demandeurs d’asile ou de personnes protégées (appelé « réinstallation » dans le jargon de l’UE) devrait être plus opérationnel. Des initiatives récentes de réinstallation temporaire de réfugiés en provenance de Grèce et d’Italie considérées comme des mesures exceptionnelles dans le cadre du système de Dublin sont des avancées qui ont permis pour la première fois de placer la question du partage des responsabilités au premier plan du débat politique. Ces initiatives sont toutefois loin d’être parfaites.

Premièrement, le nombre de demandeurs d’asile réinstallés est le résultat arbitraire d’un choix politique plutôt que le résultat d’une évaluation objective du nombre de personnes qui devraient être réinstallées dans le cadre d’une prise en compte équitable du partage des responsabilités. Le caractère statique plutôt que dynamique de ces mécanismes, assortis d’une limite supérieure du nombre de personnes à réinstaller, signifie qu’ils ne peuvent pas répondre aux modifications ou aux variations des flux humains. 

Deuxièmement, la décision de la réinstallation est imposée aux demandeurs d’asile sans tenir compte de leurs préférences. Finalement, la nature exceptionnelle plutôt que permanente de ces mesures, a le même effet dissuasif que celui observé dans le cadre du fonctionnement habituel du système de Dublin qui n’incite pas les États à agir avec efficacité. De tels facteurs compromettent considérablement l’efficacité des mécanismes que l’Union européenne et ses États membres tentent avec difficulté de mettre en place depuis fin septembre 2015.

 

Philippe De Bruycker debruyck@ulb.ac.be

Professeur au Centre des politiques migratoires de l’Institut universitaire européen www.migrationpolicycentre.eu et à l’Institut d’études européennes de l’Université Libre de Bruxelles http://odysseus-network.eu

 

Evangelia (Lilian) Tsourdi liliantsourdi@gmail.com

Chercheuse associée au Centre des politiques migratoires de l’Institut universitaire européen www.migrationpolicycentre.eu et à l’Université catholique de Louvain. www.uclouvain.be/cedie.html

 

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