Détermination du statut de réfugié en Albanie

Une étude sur les décisions de détermination du statut de réfugié en Albanie – un pays européen de destination relativement nouveau – révèle certaines failles malgré les efforts du pays pour développer ses procédures conformément aux normes internationales.

En octobre 2012, la Commission européenne a recommandé que le statut de candidat à l’Union européenne (UE) soit accordé à l’Albanie, sous réserve de l’adoption de mesures clés dans certains domaines et notamment l’asile. L’un des objectifs du gouvernement était d’aligner les procédures de Détermination du statut de réfugié (DSR) de l’Albanie sur les Directives de l’UE dans ce domaine.

L’Albanie a adopté la Convention de 1951 et son Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés (ci-après, Convention sur les réfugiés) en août 1992 et consécutivement les droits des réfugiés et des autres requérants d’asile en Albanie ont été inscrits dans la Constitution de 1998[1] ainsi que dans la loi d’asile et la loi sur l’intégration[2].

Nous avons étudié les décisions de DSR rendues en Albanie entre 2006 et 2011 afin d’évaluer dans quelle mesure à ce stade ce qui se pratiquait en Albanie était conforme au cadre juridique de l’UE. Nous avons analysé 11 décisions de DSR : trois rejets et huit décisions accordant le statut de réfugié. Parmi les 11 requérants, il y avait six Chinois, trois Kosovars, un Serbe et un Iranien. L’analyse des décisions a été effectuée conformément aux critères énumérés dans la Directive de l’UE relative à l’asile[3] en vigueur de 2006 à 2011 et à la lumière de la loi d’asile de l’Albanie de 1998.

Droit à l’information, à l’assistance juridique et aux services d’interprétation

Nous avons constaté que les requérants étaient informés de leurs droits et de leurs obligations mais pas des différentes étapes de la procédure. Tous les requérants doivent bénéficier des services d’un interprète, chaque fois que nécessaire, afin de soumettre leur cas auprès des autorités compétentes et doivent également avoir la possibilité de communiquer avec le Haut-commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR). Dans tous les cas étudiés, des informations sur l’assistance juridique et les services d’interprétation avaient été données, et l’interprète ainsi que le représentant légal étaient présents au cours des audiences. Toutefois, les noms des interprètes et des représentants légaux n’ont pas été mentionnés dans huit des comptes-rendus de décisions. Cette omission empêche la vérification de leur statut professionnel et de ce fait empêche qu’il y ait véritablement vérification de la représentation. Dans la pratique, au cours de cette période, un seul conseiller juridique, une personne mise à disposition par l’UNHCR a représenté les requérants. Aucun requérant n’a été représenté par un avocat engagé sur le marché libre; il semblerait que différents facteurs puisse l’expliquer, ignorance des requérants qui ne savent pas qu’ils ont la possibilité d’engager eux-mêmes un avocat, manque de ressources des intéressés pour couvrir les honoraires d’un avocat, et pénurie de professionnels en Albanie.  

Composition et compétences de l’autorité responsable

Selon la Directive de l’UE, les membres de l’autorité responsable de la DSR sont tenus d’avoir des compétences spéciales en matière d’asile mais c’est un aspect que ne prévoit pas la loi d’asile albanaise. De plus, la loi d’asile albanaise, mentionne uniquement le nombre de membres de la Direction de la nationalité et des réfugiés requis dans le cadre d’une décision de DSR, sans se prononcer sur le quorum qui doit être atteint pour valider la décision rendue. Dans les cas que nous avons examinés, le quorum changeait constamment; certaines décisions ont été examinées par cinq membres et d’autres par seulement trois, potentiellement au détriment de l’équité de la procédure. Plus récemment, il avait été décidé que tous les membres devaient être présents; toutefois entre mi-2011 et septembre 2012, la Direction de la nationalité et des réfugiés n’a examiné aucune demande de DSR parce qu’un membre du personnel se trouvait en congé de longue durée et qu’aucun substitut n’avait été prévu, ce qui avait eu pour effet de paralyser entièrement la capacité de prise de décision de la Direction de la nationalité et des réfugiés.

Type d’éléments rassemblés

La Directive concernant la procédure d’octroi et de retrait du statut de réfugié (Directive sur l’asile) et la Directive qualification, toutes deux contraignantes à cette date, prévoyaient que l’autorité responsable de la détermination du statut de réfugié tienne compte de la situation individuelle et des circonstances personnelles du requérant. Dans le cadre des décisions étudiées, même s’il est vrai que l’autorité responsable a tenu compte d’informations individuelles détaillées dans certains cas, dans d’autres la détermination du statut de réfugié a été établie uniquement sur la base de faits généraux et sans mention de persécutions spécifiques à l’individu concerné, ou même uniquement sur la base de rapports sur le pays. Fait particulièrement choquant, nous avons constaté qu’une décision avait été fondée sur des informations datant d’avant que l’Albanie n’adopte la Convention sur les réfugiés de 1951, c’est-à-dire des informations d’avant 1992 !

Justification et examen des décisions par les autorités

La Directive sur l’asile indique que les décisions doivent être prises après examen approprié et suffisant, et la loi d’asile albanaise affirme que les autorités ont l’obligation de vérifier les faits présentés avant d’atteindre une décision. Huit des décisions rendues se fondaient sur un examen rigoureux des faits rassemblés au cours de la procédure et incluaient des références à des sources extérieures d’information (même si aucune référence n’était faite aux sources d’information de l’UNHCR malgré la recommandation spécifique à cet effet qui figure à l’Article 8.2 de la Directive sur l’asile).

Toutefois, seules trois autorités responsables ont analysé séparément les éléments requis pour la DSR afin de démontrer la persécution subie par l’individu et le défaut de protection de la part de l’État. Constatation troublante, trois des décisions reconnaissaient comme véridiques des déclarations qui ne provenaient pas du requérant. Dans l’un de ces cas, par exemple, là où le requérant ne fait que des déclarations générales sur la situation des Uighurs en Chine, l’autorité responsable de la décision affirme que selon « les déclarations du demandeur d’asile il apparaît clairement qu’il a quitté le Turkestan parce qu’il était victime d’insultes et d’offenses et qu’il faisait l’objet d’atteintes personnelles et à ses convictions religieuses ». Si des faits n’ont pas été présentés par le requérant, ceux-ci ne peuvent pas être admis comme véridiques et être utilisés pour justifier d’une décision. De manière générale, seules trois sur 11 décisions contenaient l’examen de tous les éléments requis tels que stipulés à l’Article 1A de la Convention sur les réfugiés.

Conclusions

Nous considérons que le critère le plus pertinent en vue d’atteindre une décision de DSR consiste en un recueil exhaustif de preuves et leur évaluation compétente, car ce sont ces preuves qui influencent directement la décision d’octroi ou de retrait du statut de réfugié.

En vue de garantir un niveau de protection optimal aux réfugiés en Albanie, l’autorité responsable de la décision devrait user d’un série de questions conformes à la Directive qualification et préparées d’avance dans le but d’obtenir des preuves suffisantes auprès du requérant. Une série de questions établies et accordées à l’avance permettrait un traitement équitable de tous les requérants et contribuerait à orienter l’entretien de manière à ce que seules des informations pertinentes soient rassemblées, améliorant ainsi l’efficacité de la procédure.

Tous les éléments de la définition du réfugié tels qu’inscrits à l’article 1/1 de la loi d’asile albanaise qui se réfèrent à l’Article 1 A(2) de la Convention sur les réfugiés devraient être examinés:

 « …le terme « réfugié » s’appliquera à toute personne craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques , [qui] se trouvant hors du pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; » Article 1A(2)

 

L’évaluation des éléments doit être effectuée conformément aux normes prescrites par l’UNHCR[4] et la Directive qualification.

L’évaluation des éléments doit se fonder sur des faits prouvés et réputés véridiques, elle doit indiquer pourquoi un fait spécifique a été jugé véridique et doit indiquer pourquoi un fait spécifique n’a pas mérité d’être considéré comme crédible. Une analyse de ce type doit faire référence à tous les faits présentés par le requérant et ne doit jamais considérer comme présenté un fait qui n’a pas été mentionné par le requérant.

Des informations sur les différentes étapes de la procédure doivent être données aux requérants de manière claire, de préférence par écrit et dans la langue du requérant ou dans l’une des langues officielles de l’ONU, tel que spécifié à l’article 23 de la loi d’asile albanaise. Les compétences des membres de la Direction de la nationalité et des réfugiés doivent être clairement spécifiées ainsi que la composition de l’organe responsable de la prise des décisions.  

Après 2011, et plus spécialement depuis 2014, le nombre de demandes de DSR a augmenté suite à la réception en Albanie d’Iraniens qui avaient résidés dans un camp de transit temporaire en Irak. Au cours de la première moitié de 2015, 50 personnes (principalement des Iraniens et des Syriens) ont obtenu le droit d’asile en Albanie. Depuis que le statut de candidat à l’adhésion à l’UE a été accordé à l’Albanie en juin 2014, une nouvelle loi d’asile – approuvée en septembre 2014[5] – a remplacé les dispositions de la loi de 1998. Cette nouvelle loi étend les normes en matière de DSR conformément à la directive de l’UE relative aux normes minimales concernant la procédure d’octroi et de retrait du statut de réfugié. Toutefois, selon l’UNHCR et selon un rapport de la Commission européenne[6] daté de novembre 2015, malgré ce cadre juridique nouveau, les procédures de détermination du statut de la protection internationale telles qu’appliquées en Albanie sont encore à améliorer. L’une des préoccupations mentionnées concerne ce qui semble être perçu comme l’affaiblissement de la règlementation régissant la composition de l’organe responsable de la prise des décisions en matière d’octroi de l’asile; ce problème, s’il n’est pas résolu pourrait continuer d’empêcher l’accession de l’Albanie à l’Union européenne. 

Xymena Dyduch xdyduch@yahoo.com

Avocate à l’étude Jose Aguilar de Pamplona, Espagne; ex-stagiaire au bureau de l’UNHCR en Albanie 2011-13[7].

 



[2] Loi d’asile de la République d’Albanie - N°8432, 14.12.1998 www.refworld.org/docid/3ae6b5c07.html.

[4] UNHCR (2011) Guide et principes directeurs sur les procédures et les critères à appliquer pour déterminer le statut des réfugiés au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés, HCR/1P/4/ENG/REV. 3. www.refworld.org/cgi-bin/texis/vtx/rwmain/opendocpdf.pdf?reldoc=y&docid=4fc5ce2c2

[5] Loi d’asile de la République d’Albanie n° 121/2014. www.parlament.al/web/pub/ligj_nr_121_dt_18_9_2014_19228_1.pdf (Albanais)

 

[7]  L’auteure tient à remercier Hortenc Balla, Andi Pipero et Mariana Hereni du bureau de l’UNHCR à Tirana pour leur aide au cours de cette recherche.

 

 

 

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