Enfants non accompagnés et séparés dans l’Union européenne

Un corpus de plus en plus important de lois, de politiques et de mesures pratiques de l’UE traite de la situation des enfants non accompagnés et séparés qui arrivent dans l’UE. Il existe toutefois un risque dans le climat politique actuel tendu de voir l’attention et les ressources détournées au détriment d’un renforcement des progrès réalisés jusqu’ici.

De plus en plus d’enfants émigrent seuls vers l’Europe afin d’échapper à la persécution, au conflit, à la violence et à la pauvreté, certains peuvent également tenter de rejoindre leur famille ou être à la recherche de possibilités économiques ou éducatives. Ils sont nombreux à entreprendre des voyages très dangereux par terre et par mer, et une fois en Europe il arrive qu’ils se déplacent ou soient déplacés d’un pays à un autre par des trafiquants humains ou des passeurs clandestins. Ils sont nombreux à avoir des motifs pour demander la protection internationale,[1] et beaucoup d’entre eux courent aussi le risque de subir des discriminations ou d’être exploités.

Selon Eurostat, le nombre des enfants non accompagnés ou séparés[2] qui cherchent à obtenir l’asile dans l’Union européenne est en constante augmentation depuis 2010. Entre janvier et octobre 2015, uniquement en Suède, le nombre d’enfants demandeurs d’asile (23 349) dépasse le chiffre total de 2014 pour l’ensemble de l’UE. Il n’existe pas de statistiques globales concernant les enfants non accompagnés qui ne demandent pas l’asile, mais il est probable que les chiffres soient également très élevés pour cette catégorie.  

Au cours des dernières années l’UE a prescrit aux États membres certaines obligations spécifiques relatives aux enfants non accompagnés, notamment dans la version révisée du régime d’asile européen commun, la Directive de l’UE concernant la prévention de la traite des êtres humains,[3] et la Directive de l’UE relative au retour des migrants en situation irrégulière.[4] Même si l’on constate toujours des différences en matière de traitement des enfants non accompagnés en fonction des instruments qui leur sont applicables, l’UE a entrepris des efforts considérables afin de privilégier les droits qui leur sont communs en tant qu’enfants à travers la mise en application d’un Plan d’action de l’UE pour les mineurs non accompagnés ( 2010-2014)[5] avec pour objectif de résoudre certaines des questions les plus épineuses relatives aux enfants non accompagnés, comme la représentation légale, l’évaluation de l’âge, la localisation de la famille et la recherche de solutions durables.

À l’heure actuelle, les États membres en sont à une phase précoce d’application et d’intégration des obligations communes de l’UE à leur législation et à leurs pratiques nationales, et l’on constate autant de cas de bonnes pratiques que de difficultés persistantes dans la manière dont les États membres identifient, reçoivent et prennent en charge les enfants non accompagnés et séparés qui arrivent en Europe.[6] Dans la situation actuelle, il est essentiel que les nouvelles garanties de l’UE soient respectées et que les acteurs de la protection de l’enfant soient impliqués aux côtés des acteurs du contrôle de l’immigration et de la loi afin d’identifier les risques encourus par les enfants en transit et leur procurer un environnement sécure. La situation des enfants qui ne demandent pas l’asile et celle des enfants qui approchent l’âge de dix-huit ans soulèvent des difficultés particulières lorsque dans certains pays membres des préoccupations relatives au contrôle de la migration et de la criminalité semblent encore prendre le pas sur l’impératif humanitaire et la protection de l’enfant.

La recherche d’une « solution durable », définie comme un ensemble de circonstances viables susceptibles de garantir que l’enfant non accompagné ou séparé puisse se développer et devenir adulte dans un environnement qui satisfait ses besoins et réalise ses droits tels qu’inscrits dans la Convention relative aux droits de l’enfant et dans lequel il est préservé de tout risque de persécution ou de préjudices graves[7], est un défi fondamental commun à tous les enfants non accompagnés et séparés. Une telle approche exigera peut-être des États membres qu’ils envisagent et mettent en pratique des solutions qui ne semblent pas nécessairement évidentes dans un contexte de contrôle de l’immigration mais dont l’objectif est de garantir l’application du principe de l’intérêt supérieur de l’enfant ou du mineur.

Une solution durable peut par exemple impliquer l’intégration locale pour des motifs humanitaires même en l’absence de droit à la protection internationale. En dernier ressort, la recherche de solutions durables peut exiger des États membres qu’ils coopèrent plus étroitement en vue d’identifier la localisation et les conditions de prise en charge les mieux adaptées au développement de l’enfant, par exemple en permettant des transferts d’enfants vers un autre État membre dans le cadre de programmes de réinstallation ainsi que des dispositions plus généreuses en matière de réunification familiale. En outre, la mise en place de mesures adaptées visant à trouver des solutions durables est l’unique voie appropriée afin d’atteindre un objectif que de nombreux États membres privilégient, à savoir le retour des enfants non accompagnés dans leur pays d’origine, lorsqu’il est avéré que cette solution correspond à leur intérêt supérieur.

L’intérêt supérieur de l’enfant

Plusieurs États membres affirment avoir mis en place des procédures de détermination de l’intérêt supérieur de l’enfant destinées à soutenir leurs autorités compétentes lorsqu’elles prennent des décisions concernant des solutions durables à l’intention des enfants séparés. Plusieurs projets en cours financés par l’UE se préoccupent de mieux définir, identifier et mettre en place des solutions durables conformes à l’intérêt supérieur de l’enfant. Veiller à ce que toutes les décisions soient prises en pleine connaissance des circonstances qui affectent la vie des enfants dans leur pays d’origine est également un élément crucial. Finalement, des projets financés par l’UE se sont également penchés sur le processus de retour, et notamment sur le contrôle et l’évaluation des circonstances de vie des enfants et de leurs familles après ce retour.

À l’heure actuelle, le nombre élevé de personnes concernées et la difficulté du climat politique peuvent faire craindre un détournement de l’attention et des ressources initialement consacrées à renforcer les progrès accomplis au profit de mesures d’urgence en première ligne et d’activités dans des pays tiers destinées à dissuader la migration et à combattre les trafiquants humains. La situation exige toutefois, et de manière urgente, de l’UE et de ses États membres un renforcement systématique des progrès réalisés récemment, non seulement dans le domaine du régime de l’asile et des mesures spéciales destinées aux enfants victimes de la traite mais également dans celui des procédures émergentes qui s’intéressent à l’intérêt supérieur des autres enfants migrants. L’élaboration d’une stratégie globale de l’UE relative aux enfants non accompagnés ou qui migrent seuls est peut-être le meilleur moyen d’avancer dans ce domaine. Même si les décideurs politiques sont actuellement plutôt circonspects dans l’adoption de nouveaux cadres politiques, les États membres finiront par y trouver leur compte si l’UE joue un rôle prudent et proactif et qu’elle les aide à protéger les enfants de la négligence, de la violence et de l’exploitation dans la région.     

 

Rebecca O’Donnell rebecca@childcircle.eu

Co-fondatrice de Child Circle www.childcircle.eu

Jyothi Kanics jyothi.kanics@unilu.ch

Chercheuse, Pôle de recherche national – entre migration et mobilité

http://nccr-onthemove.ch



[1] Voir: UNHCR (2009) Principes directeurs sur la protection internationale No 8: les demandes d’asile d’enfants dans le cadre de l’article 1A(2) et 1F de la Convention de 1951 et/ou son Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés. www.refworld.org/docid/4b2f4f6d2.html

[2] Définitions et recommandations officielles, voir: Comité des droits de l’enfant (2005) Observation générale N°6 sur le Traitement des enfants non accompagnés et des enfants séparés en dehors de leur pays d’origine www.refworld.org/docid/42dd174b4.html

[3] Directive 2011/36/EU concernant la prévention de la traite des êtres humains et la lutte contre ce phénomène ainsi que la protection des victimes

http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:L:2011:101:0001:0011:EN:PDF

[6] Voir par exemple, European Migration Network (2015) http://tinyurl.com/EMN-UnaccompaniedMinors et Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne (2012) http://fra.europa.eu/en/publication/2012/separated-asylum-seeking-children-european-union-member-states

[7] UNHCR et UNICEF (2014) Safe and Sound: what States can do to ensure respect for the best interests of unaccompanied and separated children in Europe (Sain et sauf: ce que les États peuvent faire afin de garantir le respect de l’intérêt supérieur des enfants au sein de l’Europe) www.refworld.org/docid/5423da264.html

 

 

 

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