Les accords de réadmission de l’Union européenne

Le recours aux accords de réadmission a suscité un débat sur leur conformité au droit international, en particulier les dispositions relatives à la protection des réfugiés et des demandeurs d’asile.

Les accords de réadmission de l’Union européenne permettent aux États de réadmettre sur leur territoire leurs propres ressortissants et les ressortissants d’autres pays – « des étrangers » en transit qui ont été trouvés en situation irrégulière sur le territoire d’un autre État.[1] Ces accords sont rapidement devenus un problème majeur pour l’UE dans sa relation avec certains pays voisins.

Les dirigeants européens considèrent les accords de réadmission comme légitimes parce qu’ils sont spécifiquement conçus en vue de faciliter le retour d’étrangers indésirables dans leur pays d’origine en vertu du principe de la souveraineté de l’État. Toutefois, certaines instances juridiques et certains juristes avancent que les accords communautaires de réadmission, qu’ils soient bilatéraux ou commun à l’ensemble de l’UE, portent atteinte aux règles du droit international sur l’asile, et en particulier au principe de non-refoulement, inscrit dans la Convention de 1951 sur les réfugiés et repris par la Convention européenne des droits de l’homme.  

Identification du statut

La première critique concerne la définition du concept de « migrant en situation irrégulière » que l’on retrouve dans tous les accords de réadmission ; selon ces accords, l’État requis est dans l’obligation de réadmettre toute personne qui ne remplit pas, ou plus, les conditions d’entrée ou de séjour en vigueur sur le territoire de l’État requérant.

Cette notion de « toute personne » pose problème dans la mesure elle n’établit aucune distinction entre les différents migrants se trouvant en situation irrégulière dans le pays d’accueil, ce qui a potentiellement la capacité de remettre en cause le principe de non-refoulement censé protéger les réfugiés et les demandeurs d’asile. La politique de réadmission de l’Union européenne n’établit donc pas de distinction entre les étrangers en situation irrégulière mais dont le statut juridique devrait être protégé et ceux pour qui cela n’est pas le cas.

En outre, l’ambiguïté qui caractérise la législation relative à la réadmission est illégale vis-à-vis du droit international de l’asile dans la mesure où elle ne laisse, en l’absence d’un examen individuel ou au cas par cas de sa situation, aucune possibilité à l’individu « suspecté » d’expliquer convenablement ses circonstances

La structure de l’accord de réadmission de l’UE exige de l’État requérant d’envoyer une demande de réadmission à l’État requis de manière à ce que la personne concernée puisse être renvoyée. Il n’existe cependant aucune information dans cette demande identifiant clairement les raisons justifiant qu’une personne soit refoulée. Par conséquent, il est impossible de savoir si un demandeur d’asile a eu la possibilité de se soumettre à une procédure équitable d’identification, c’est-à-dire d’avoir obtenu le traitement individuel de son dossier. Dans la pratique, plusieurs États membres de l’UE ont éloigné des demandeurs d’asile en recourant à une procédure de réadmission ce qui impliquait de refuser à ces personnes l’accès à un examen individualisé de leur dossier et ce, en violation du droit international. Cette situation est dangereuse car elle permet de légaliser l’éloignement de demandeurs d’asile en dépit du principe de non-refoulement

Risque de l’effet domino

Réciproquement, la négligence du traitement du dossier de chaque demandeur d’asile sur une base individuelle ouvre la voie au refoulement en chaîne vers un autre pays. Cela signifie que les accords de réadmission de l’UE créent les conditions qui permettent de réadmettre des personnes dans un pays qui ensuite les renvoie vers des endroits où la protection des droits de l’homme n’est pas garantie. C’est ce qui est appelé « effet domino ».

L’interdiction de l’effet domino est considérée comme une norme classique du droit international coutumier qui doit également être imposée dans le cadre de l’application des accords communautaire de réadmission. À cet égard, le Comité des ministres du Conseil de l’Europe affirme que « si l’État de retour n’est pas l’État d’origine, la décision d’éloignement ne devrait être prise que si les autorités de l’État d’accueil sont convaincues, dans la mesure du raisonnable, que l’État de retour n’expulsera pas la personne vers un État tiers où elle se verrait exposée à un risque réel ».[2] Or le texte de l’accord de réadmission de l’UE, ne prend nullement en considération l’interdiction de l’effet domino. Au contraire, il ouvre la voie – par le biais de la clause du « pays tiers sûr » à la réadmission de toute personne vers son pays d’origine ou vers des États de transit avec le risque qu’elle soit exposée à des traitements inhumains ou dégradants.

Prenons l’exemple de l’accord de réadmission UE-Turquie, signé en décembre 2013. Celui-ci prévoit la « réadmission [en Turquie] des migrants en situations irrégulière qui ont pénétré sur son territoire pour rejoindre l’Europe ». Cet accord engage les autorités turques à reprendre, non seulement leurs ressortissants, mais aussi des étrangers en situation irrégulière qui ont transité à travers son territoire et qui seront ensuite renvoyés vers leur pays d’origine.

Cette disposition demeure très dangereuse quand on sait que la majorité des étrangers qui transitent par la Turquie sont des demandeurs d’asile afghans, syriens ou irakiens qui fuient la persécution dans leur pays d’origine. Selon Oktay Durukan, directeur de l’ONG  Refugee Rights Turkey :  « de nombreuses parmi les personnes renvoyées en Turquie [en vertu de l’accord de réadmission UE-Turquie] seront des réfugiés qui ont besoin d’une protection internationale, que les pays de l’UE ne leur accordent pas. …la Turquie risque de déporter à son tour ces migrants ».[3]

Réadmission

L’accord de réadmission UE-Turquie n’est pas un cas isolé. L’exemple de la Turquie s’applique à tous les pays qui sont en cours de négociation d’un accord de réadmission avec l’UE ou viennent d’en conclure un.

Bien plus, l’UE encourage l’effet domino lorsqu’elle invite ses partenaires engagés dans des accords de réadmission avec l’UE a conclure des accords similaires avec d’autres pays d’origine, créant ainsi un réseau de réadmission qui permettrait d’élargir le champ relatif aux renvois forcés des « sans papiers » y compris les demandeurs d’asile qui risquent d’être refoulés vers la persécution.

La Turquie constitue, à ce titre, un exemple révélateur puisqu’à l’instar de l’accord de réadmission avec l’UE, le pays a conclu des accords bilatéraux en la matière avec plusieurs autres États comme la Syrie, la Russie, l’Ouzbéquistan, l’Égypte et le Nigéria, et que d’autres sont en cours de négociation avec la Chine, l’Inde, l’Iran, l’Irak, le Maroc et le Pakistan. Certains États de cette liste sont connus pour leur indifférence vis-à-vis des droits fondamentaux des migrants en situation irrégulière.

Confronté à cette situation, le commissaire des droits de l’homme du Conseil de l’Europe n’a pas hésité à exprimer ses préoccupations. Il a indiqué que ce type d’accord « présenté comme l’un des volets de la gestion des migrations » constitue une méthode qui « porte atteinte aux principes établis du droit international.[4] Le Parlement européen rejoint aussi cette approche en affirmant que « les accords de réadmission risquent de constituer une menace, directe ou indirecte, pour les droits de l’homme des demandeurs d’asile ou des migrants en situation irrégulière ».[5]

Ce vide juridique, qui caractérise l’architecture des accords de réadmission, témoigne du renforcement de la démarche sécuritaire dans la gestion du flux migratoire irrégulier au détriment d’une approche globale fondée sur le principe de la responsabilité partagée et caractérisée par le renforcement de l’aspect humanitaire dans la régulation de ce phénomène très complexe.

 

Mehdi Rais raismehdi@hotmail.fr

Expert en relations internationales, droit international et politique d’immigration.



[2] Comité des Ministres du Conseil de l’Europe (2005), « Vingt principes directeurs sur le retour forcé » www.refworld.org/docid/42ef32984.html

 

[4] Conseil de l’Europe (2010) Criminalisation des migrations en Europe: quelles incidences pour les droits de l’homme ? https://wcd.coe.int/ViewDoc.jsp?id=1579823#

[5] Cassarino, J-P (2010) La politique de réadmission dans l’Union européenne, Direction générale des politiques internes de l’Union européenne www.europarl.europa.eu/RegData/etudes/etudes/join/2010/425632/IPOL-LIBE_ET%282010%29425632_FR.pdf

 

 

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