Arrivées sur l’île de Lesbos, été 2015

Lesbos, dont la population s’élève à 85 000 habitants, a reçu plus de 85 000 réfugiés et migrants entre janvier et fin août 2015.

Fin août 2015, des camps improvisés avaient été établis dans toute la capitale de Lesbos, Mytiline, et hors des deux zones désignées pour leur établissement. Cette situation a exercé d’intenses pressions sur la population et les autorités locales, dont les ressources sont déjà peu élevées en raison de la crise économique. Toutefois, une multitude de bénévoles venus des villages, mais aussi des touristes étrangers, sont allés porter assistance aux personnes qui débarquaient, désorientées par leur voyage et traumatisées par leur expérience.

Les personnes arrivent sur cette île depuis la ville côtière turque d’Ayvalik et des plages environnantes. La grande majorité sont des Syriens, dont la plupart sont des réfugiés récents. On trouve également parmi elles de nombreux Kurdes et Palestiniens, mais aussi des Irakiens qui ont traversé la Jordanie et dont certains, une fois arrivée à Lesbos, se font enregistrer en tant que Syriens dans l’espoir de bénéficier d’un traitement « prioritaire ». D’autres viennent également d’Afghanistan, via l’Iran, après avoir voyagé à pied et par bus. On dénombre également quelques Africains, venus d’Érythrée et de Somalie, qui ont emprunté des itinéraires complexes avec l’assistance de passeurs. Enfin, on trouve également des Pakistanais, et quelques Syriens, qui avaient initialement atteint la Grèce grâce à des passeurs, qui y avaient travaillé plusieurs années puis qui en étaient repartis, et qui y reviennent aujourd’hui, avec une maîtrise de la langue locale.

Vous entendrez rarement parler d’Al Qaïda ou de Daech, pourtant si populaires dans les analyses européennes et américaines de la situation, lorsque les Syriens et les Irakiens expliquent ce qui les a poussés à entreprendre ce voyage périlleux. Il y a parmi eux des personnes qui ont tenté d’atteindre les pays plus riches d’Europe et d’Amérique du Nord par des moyens légaux mais qui ont échoué. Il y a aussi des Palestiniens de Cisjordanie, qui ne peuvent obtenir de visa pour aucune destination. On trouve également des personnes qui ont les moyens de réserver des hôtels par Internet où ils peuvent séjourner après avoir obtenu leurs papiers et pendant qu’ils attendent le départ de leur ferry, et enfin il y a ceux qui ont à peine assez d’argent pour se rendre jusqu’à Athènes.

Ils débarquent sur les côtes nord et est de Lesbos, les points les plus proches de la Turquie. Ils doivent ensuite marcher entre 45 et 60 kilomètres jusqu’à la ville où ils peuvent se faire enregistrer. Initialement, les véhicules privés n’avaient pas le droit de transporter ces personnes avant qu’elles ne reçoivent leurs papiers d’enregistrement mais, en dépit de cette interdiction, de nombreux résidents locaux transportaient les personnes âgées, les blessés, les familles avec des bébés et les femmes enceintes, courant le risque d’être arrêtés pour avoir enfreint la législation contre le trafic des êtres humains. Enfin, certains chauffeurs de taxi facturent des centaines d’euros aux réfugiés et aux migrants pour les emmener jusqu’à la ville.

Une file de personnes longe la route : familles, personnes âgées, malades ou handicapées, personnes jeunes et vigoureuses. Elles arrivent dans les camps avec des ampoules sur les pieds, déshydratées, ayant marché sur des oursins en débarquant sur la côte, certaines souffrant de maladies chroniques, certaines femmes enceintes et d’autres portant de jeunes bébés.

Dans le petit village de Sikamnia, l’un des principaux points d’entrée, un canot arrivait face à nous. Les personnes qui ont débarqué étaient toutes syriennes. La plupart sont restées quelques temps sur la plage pour reprendre leurs repères. Elles souriaient, se serraient dans les bras, prenaient des selfies avec la côte turque en arrière-plan. Leur traversée avait été facile, durant moins de deux heures. Beaucoup de ces réfugiés n’étaient pas sûrs d’être arrivés en Grèce et ne faisaient pas confiance aux paroles des passeurs. Trois jeunes hommes se sont approchés de nous en nous faisant de grands sourires. Ils étaient reconnaissants d’avoir atteint ce pays, même si c’était dans les circonstances les plus stressantes qui soient. Ils étaient des aventuriers en mouvement, qui venaient de trouver la sécurité.

Nous avons rencontré une famille venue d’Alep : le père était professeur de musique, et avait laissé tous ses instruments derrière lui ; sa fille de 12 ans, dont l’école avait été bombardée mais qui désirait toujours vivement retourner chez elle ; son fils de 16 ans, qui essayait de se comporter comme un adulte ; et la mère, pleine de larmes, qui nous racontait qu’ils avaient essayé de lutter pendant quatre ans mais que, finalement, plus aucune vie n’était possible dans leur ville. Ils ne savaient pas où ils se rendaient, peut-être en Suède car ils avaient entendu que l’asile y était octroyé, mais la fille souhaitait rester en Grèce, un pays relativement proche de la Syrie.

La Grèce subit ces pressions depuis ces cinq dernières années mais ce n’est que depuis l’été 2015, lorsque le nombre des réfugiés et des migrants a notablement augmenté dans leur avancée pour atteindre la Hongrie, l’Autriche et l’Allemagne, que ce problème s’est transformé en un débat de grande ampleur.

 

Fotini Rantsiou fotinirantsiou@yahoo.com

En congé de l’UNOCHA, bénévole à Lesbos depuis août 2015, actuellement conseillère sur l’île pour Solidarity Now.

 

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