L’asile et l’immigration sont-ils réellement le problème de l’Union européenne ?

Les tentatives pour trouver une solution paneuropéenne à l’asile pourraient entraver l’élaboration de solutions viables au niveau bilatéral ou national.

Il a déjà suffisamment été dit que l’Union européenne (UE) manque à ses obligations envers elle-même, envers les réfugiés et envers l’humanité avec sa politique actuelle en matière d’immigration et d’asile. Les signalements quotidiens de nouveaux décès en mer et sur terre, d’émeutes entre la police des frontières et des personnes en quête de sûreté ou d’une meilleure vie, et de camps, de barrières et de désespoir témoignent suffisamment de cette situation.

Les exhortations en faveur d’une approche coopérative en Europe et d’un engagement auprès des pays d’origine, les appels à mettre fin aux opérations des passeurs et la condamnation des échecs et des abus du système d’asile actuel reviennent de manière habituelle dans les discours des responsables de l’élaboration des politiques dans le domaine de la migration en Europe depuis les premiers jours de la coopération intergouvernementale scellée par le traité sur l’Union européenne de 1992 et au cours de la crise bosniaque.

Bien qu’un bon nombre de ces idées et d’idées semblables se basent sur une grande part de vérité, il faut ou il faudrait pouvoir remettre en question d’autres conceptions. Par exemple, c’est peut-être le bon moment de se demander s’il s’agit d’un problème véritablement européen, qui peut uniquement être résolu par des réponses paneuropéennes. Nous ne pouvons pas continuer à considérer cette conception comme un acquis à la lumière des vingt années d’incapacité à atteindre des accords sur des politiques et une mise en œuvre qui satisfassent l’ensemble des 28 États membres ou qui répondent de manière réaliste aux besoins réels de protection des réfugiés, tout en permettant une migration légale suffisante pour répondre aux besoins en main-d’œuvre de l’Europe.

Il s’agit d’un problème européen…

Depuis les premiers jours de coopération européenne, il a été adopté comme postulat fondamental que, dans une zone de libre mobilité, sans frontières internes et où la frontière externe (terrestre, maritime ou aérienne) de quelconque État membre est en fait la frontière de l’UE entière (ou du moins, de la zone Schengen), c’est au niveau européen que la totalité du domaine de politique relatif à l’asile et à l’immigration peut être gérée le plus efficacement. En substance, cela signifie que les États membres de l’UE ont reconnu que la création d’un espace sans frontières pour les biens, les services et les citoyens européens a eu pour conséquence (presque) involontaire de créer un espace sans frontières pour les personnes venues du monde entier. Ils ont tenté par la suite de contrebalancer cette conséquence en élaborant une approche européenne de l’asile et de l’immigration, notamment sous la forme du Système Européen Commun d’Asile (SECA), un système bien développé sur le papier mais mal mis en œuvre.

Dans le langage plus bureaucratique de l’UE, le principe de subsidiarité (décider si un domaine politique sera géré au mieux au niveau local, national ou européen) a été appliqué et il a été ainsi décidé que, dans le domaine politique de l’asile et de l’immigration, c’est le niveau européen qui était le mieux adapté.

Pourtant, les accords qui ont été conclus au niveau européen (au-delà du simple principe de base selon lequel il convient de rechercher un accord au niveau européen) ont toujours été des compromis difficilement obtenus et souvent peu ambitieux, qui ont rarement eu un grand impact dans la pratique. Au cours des vingt dernières années, les mêmes sous-problématiques essentielles concernant la définition d’un réfugié, l’attribution de la responsabilité du traitement des demandes d’asile, les conditions de réception, la protection temporaire et les questions telles que le statut de résident de longue durée, l’unité familiale, le travail saisonnier et d’autres encore, ont fait l’objet d’efforts répétés visant à intensifier la coopération, les accords étant révisés et renégociés dans le cadre de chaque programme de travail ou traité ultérieur.

… ou est-ce vraiment le cas ?

Alors que les dirigeants continuent de penser que le projet d’une Europe sans frontières signifie que l’immigration et l’asile sont par définition une question européenne, dans les faits, les politiques et les pratiques continuent d’être nationales sous tous leurs aspects, y compris si l’on considère les décisions migratoires des personnes arrivant en UE de manière légale ou clandestine, ou en tant que demandeurs d’asile ou que réfugiés réinstallés.

Peu des migrants embarquant pour traverser la Méditerranée, sinon aucun, ont pour objectif d’« atteindre l’UE ». Si c’était le cas, ils s’arrêteraient alors en Grèce, en Italie, à Malte ou même en France, plutôt que de tenter de poursuivre leur chemin jusqu’en Allemagne, en Suède ou au Royaume-Uni. Peut-être que si l’UE était un ensemble plus cohérent, les migrants ne fixeraient-ils pas leur choix de destination sur un État-nation particulier, ou s’ils trouvaient que la situation là où ils arrivent en UE leur convenait et leur apportait la sûreté et la protection recherchées, ils changeraient alors d’avis concernant leur destination finale. En outre, les efforts pour « répartir le fardeau » et réinstaller les personnes au sein de l’UE pourraient uniquement devenir une solution si la protection était identique dans tous les États membres.

Selon le principe de « subsidiarité » de l’UE, il existe trois critères pour déterminer si une intervention au niveau de l’UE est désirable :

  • L’action concernée présente-t-elle des caractéristiques transnationales que les États membres ne peuvent pas résoudre ?
  • Une action nationale ou une absence d’action serait-elle contraire aux exigences du Traité ?
  • L’action au niveau européen présente-t-elle des avantages évidents ?

 

Le fait que les dirigeants européens affirment avec insistance que la « crise des migrants » est un problème européen nécessitant une solution européenne pourrait en partie résulter de la préconception selon laquelle une Europe « sans frontières » nécessite une approche de niveau européen, plutôt qu’une approche de niveau national ou local. Or, ce postulat ne se semble pas être basé sur une évaluation rigoureuse de la capacité des politiques nationales et des accords bilatéraux à répondre aux problèmes, ni de la possibilité que la recherche d’une approche européenne puisse en fait entraver une gestion efficace de la situation présente.

Logiquement, la migration présente des aspects transnationaux, y compris bien évidemment le simple fait que les ressortissants de pays tiers (c’est-à-dire les citoyens non européens) traversent les frontières de plusieurs États membres de l’UE pour atteindre leur destination, qu’ils y recherchent l’asile ou un travail irrégulier. Les États membres pourraient-ils résoudre ces aspects transnationaux ? La tendance continue à rechercher une solution paneuropéenne suggère que les États membres ne s’estiment pas en mesure de résoudre ces aspects par eux-mêmes, bien que les éléments fondamentaux d’une solution européenne aient toujours été absents ces vingt dernières années et qu’il est peu probable qu’ils soient mis en place prochainement. D’un point de vue réaliste, il est évident que les conditions ne sont pas réunies pour trouver un accord sur une action au niveau européen en matière d’asile, et encore moins pour mettre en œuvre cette action et les avantages qu’elle apporterait.

Si ces éléments fondamentaux étaient présents, par exemple (au niveau le plus général) la volonté politique, et plus directement une réévaluation de la souveraineté pour signaler que les États attachent moins d’importance au principe de décider eux-mêmes qui traversera leurs frontières ou aura droit au séjour, alors peut-être serait-il possible de trouver une solution de niveau européen. Et pourtant, la priorité accordée à la nécessité de trouver une solution européenne pourrait s’avérer être le plus grand obstacle à la conclusion de simples accords bilatéraux ou multilatéraux entre les États membres et leurs voisins concernant le contrôle des frontières. Elle pourrait également être l’une des entraves à l’adoption des politiques de protection plus humanitaires qui semblent être le souhait de ces mêmes politiciens qui continuent pourtant d’appliquer des règles toujours plus draconiennes.

L’accord pour mettre en place un Système Européen Commun d’Asile (SECA) est inscrit dans le Traité si bien que, dans une certaine mesure, toute action nationale serait contraire à ses dispositions. Toutefois, en l’absence d’un SECA robuste, tous les États membres disposent de leurs propres politiques et systèmes en matière d’asile, qui s’inscrivent dans le cadre des normes minimales.

Il semble très peu probable qu’un accord soit trouvé au niveau européen pour gérer l’ampleur actuelle des flux de demandeurs d’asile et de migrants irréguliers, notamment parce qu’il n’existe aucun mécanisme pour élever les questions d’asile et de migration au niveau européen en termes de mise en œuvre véritable et à grande échelle. Le leadership fait également défaut pour guider les États membres à travers la crise actuelle en l’absence d’une éthique paneuropéenne de la protection et en tenant compte des différents besoins des États membres en matière d’immigration relativement à leur situation démographique et socio-économique.

Au sujet de la barrière érigée par la Hongrie pour empêcher l’arrivée des immigrants, Laurent Fabius, le ministre français des Affaires étrangères, a affirmé que « l'Europe a des valeurs et on ne respecte pas ces valeurs en posant des grillages ».[1] Face à la crise des migrants, une solution respectueuse de ces valeurs pourrait impliquer que chaque État membre applique des politiques à court ou à long terme en matière d’asile, de protection, de réinstallation, de gestion de la migration clandestine ou de poursuites judiciaires contre les trafiquants et les passeurs. Ils agiraient parfois de manière unilatérale pour répondre à leurs besoins, et parfois de manière bilatérale lorsque des accords bilatéraux garantiraient une meilleure protection, renforceraient les capacités et répondraient à la crise humanitaire. Ce type de mesure serait plus utile que de rechercher avec insistance un accord au niveau européen pendant que des milliers de personnes continuent de souffrir.

 

Joanne van Selm jvanselm@gmail.com

Consultante

 

 

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