Éloigner des « personnes inéloignables »

Les lois et les pratiques de l’Union européenne concernant les migrants non-éloignables – à savoir les demandeurs d’asile dont la demande a été rejetée mais dont le retour dans leur pays d’origine ne peut avoir lieu – ont des conséquences politiques et humanitaires.

Au sein de l’Union européenne (UE), les migrants en situation régulière obtiennent un permis de résidence et les migrants en situation irrégulières font l’objet d’une procédure d’éloignement, une injonction de quitter le pays. Les migrants en situation irrégulière « dont la présence est connue des services de l’immigration, mais qui pour un série variée de raisons … ne sont pas éloignés »[1] sont regroupés sous le terme de personnes inéloignables ou personne ne pouvant pas faire l’objet d’une expulsion ou d’une déportation. Les obstacles à leur éloignement peuvent être liés à des considérations juridiques ou humanitaires, à des obstacles pratiques ou à des choix politiques.  .

Les obstacles juridiques incluent la situation humanitaire dans le pays d’origine, des considérations humanitaires en cas de problèmes graves de santé, d’une obligation de protéger la vie privée et familiale, et des considérations relatives à l’intérêt supérieur d’un enfant.

Les obstacles pratiques incluent des difficultés d’identifier le migrant ou de déterminer sa nationalité, l’absence de documents de voyage, ou le refus de l’État d’origine d’autoriser le retour de l’individu sur le territoire national.

Les obstacles relevant d’un choix politique incluent la sauvegarde des intérêts nationaux du pays concerné, à savoir des considérations de sécurité publique ou de protection des valeurs inscrites dans la Constitution ou dans les politiques nationales.

Aux termes de la Directive 2008 de l’UE relative aux normes et procédures communes applicables au retour ou « directive retour », les personnes qui ne peuvent pas faire l’objet d’un éloignement peuvent faire l’objet d’un report officiel de l’éloignement.[2] Toutefois, le terme de « report de l’éloignement » tend à minimiser la durée qui est accordée aux individus dans le cadre de ce report. En octobre 2009, par exemple, depuis plus de six ans 58 800 migrants en situation irrégulière en Allemagne avaient obtenu et vivaient avec un titre de « séjour toléré » suite à un report de leur éloignement.

De plus, un report officiel de leur éloignement n’accorde pas à ces individus un droit de résidence temporaire. Au contraire, leur statut reste irrégulier. Cela signifie que les États membres continuent d’avoir l’obligation de les éloigner du territoire de l’Union européenne, alors même que la législation de l’Union reconnait qu’ils sont inéloignables.

Ce cadre juridique compliqué place les migrants inéloignables dans une situation d’énorme vulnérabilité. Ils sont encore plus susceptibles de subir des violations de leurs droits humains dans la mesure où toute une série de droits applicables aux migrants en situation irrégulière n’apparaissent pas dans les dispositions de la directive retour qui à eux leur sont applicables. La précarité de leur situation est encore aggravée dans la mesure où plusieurs États membres ne disposent d’aucune disposition spécifique régissant leur présence. Les universitaires abordent très peu ce type de vulnérabilité qui est par ailleurs entièrement négligée par les décideurs politiques.  

En association avec une volonté politique d’utiliser l’éloignement comme moyen de gestion des migrants en situations irrégulière, il semble que les institutions de l’UE décrivent l’éloignement comme une mesure à la fois possible et nécessaire, alors même qu’il existe indubitablement des obstacles qui s’y opposent. Parallèlement, l’option de régularisation du statut des migrants, telle que prévue aux termes de la directive retour, semble tenir davantage de l’apparence que de la réalité, particulièrement face aux innombrables références qui sont faites au sein de l’UE à la menace potentielle de sécurité que représentent les demandeurs d’asile et les migrants en situation irrégulière.

Il existe toutefois des options politiques intermédiaires entre éloignement et régularisation. Un statut régulier limité dans le temps et/ou temporaire pourrait donner aux migrants inéloignables un degré de sécurité juridique élémentaire qui réduirait le risque de violation de leurs droits humains. Le fait de mieux documenter ces individus pourrait également permettre de réunir davantage d’informations sur leurs nombres et leur situation, et sur cette base il serait possible d’élaborer une politique réaliste sur ce phénomène de « non-éloignabilité ». Alternativement, encourager les États membres à faire usage des dispositions de report non-obligatoire prévues dans la directive retour pourrait au moins favoriser une harmonisation plus importante de la pratique entre États membres, créant ainsi une base commune pour des discussions et une coopération futures sur ce sujet.

 

Katharine T Weatherhead katharine.weatherhead@sant.ox.ac.uk
Étudiante en Master 2015-16, Centre d’études sur les réfugiés www.rsc.ox.ac.uk
 

Cet article est une version abrégée et corrigée d’un mémoire  de maîtrise non publié en Droit et relations internationales de l’Université d’Edimbourg, intitulé: « Imagined Mobility’ in the European Union: The Partial Securitisation of Non-Removable Irregular Immigrants » (2014).



[1] Agence des droits fondamentaux de l’UE (2011) Les droits fondamentaux des migrants en situation irrégulière dans l’Union européenne Rapport comparatif

http://fra.europa.eu/fr/publication/2012/les-droits-fondamentaux-des-migrants-en-situation-irrgulire-dans-lunion-europenne

 

 

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