Détention dans la collectivité en Australie: vers une solution plus humaine

Ému par le sort des demandeurs d’asile mineurs et vulnérables en centre de détention, un groupe d’activistes australiens a réussi à faire pression pour que soit mise en place la détention dans la collectivité en tant que solution alternative viable et humaine. Les demandeurs d’asile ont ainsi la possibilité de vivre une existence plus épanouissante dans l’attente du traitement de leur demande.

L’expérience de la détention dans des centres prévus à cet effet – la «mise en détention» – a eu un impact défavorable et de longue durée sur la santé mentale et le bien-être d’un grand nombre d’hommes, de femmes et d’enfants sollicitant l’asile en Australie. Plusieurs facteurs ont contribué aux problèmes de santé mentale ainsi qu’à l’anxiété et à la dépression croissantes parmi les détenus, notamment la privation de la liberté, le sentiment d’injustice, l’isolement de la communauté en général, la démoralisation et le désespoir qui s’accentuent, l’allongement des délais de traitement pour déterminer le statut de réfugié, le risque d’expulsion ou encore les procédures juridiques déroutantes.[1] Ces conditions ont entraîné suicides, automutilations, protestations et crises de comportement.

En outre, la détention a été liée à une autre conséquence indépendante et défavorable sur la santé mentale, dans la mesure où elle exacerbe l’impact des traumatismes antérieurs, et qu’elle représente elle-même un traumatisme continu; on a d’ailleurs observé que les mineurs non accompagnés étaient particulièrement susceptibles de présenter des troubles sur le plan du bien-être et de la santé mentale.

Début 2010, un groupe d’activistes a commencé à explorer des modèles de détention dans la collectivité qui pourraient être adaptés aux demandeurs d’asile mineurs et non accompagnés. Des consultations ont alors été organisées avec un large éventail de parties prenantes et de prestataires de services destinés aux jeunes. Ensuite, après avoir identifié le bon modèle ainsi que les lieux d’hébergement et les prestataires de services, une proposition a été envoyée au département australien de l’immigration et de la citoyenneté (Department of Immigration and Citizenship, DIAC) pour lui demander de modifier son régime de détention pour les mineurs non accompagnés. Le gouvernement australien a accueilli favorablement cette proposition si bien que depuis 2010, année des premières déclarations relatives à cette politique, un grand nombre de mineurs non accompagnés et de familles ont été transférés hors des centres de détention fermés. Les mineurs en question sont donc relogés dans des maisons comprenant cinq chambres, dans lesquelles il est possible d’aménager un bureau et une chambre supplémentaire pour qu’un travailleur social puisse y passer la nuit.

De surcroît, la crise urgente et grandissante de la santé mentale dans les centres de détention a incité le DIAC à augmenter le nombre de contrats passés avec des agences sélectionnées pour fournir un logement et un soutien aux hommes adultes vulnérables mis en détention. Depuis mars 2012, le Jesuit Refugee Service (JRS), en partenariat avec Marist Youth Care, met en œuvre un programme de détention au sein de la collectivité destiné aux hommes vulnérables (Vulnerable Adult Men Residence Determination Project). Au départ, le projet comprenait un foyer et cinq maisons, pouvant accueillir jusqu’à 40 hommes adultes aux besoins multiples et complexes, y compris des troubles de santé physique ou mentale. Ce service a par la suite été élargi aux familles et il fournit aujourd’hui des services résidentiels, de santé, de bien-être et de soutien intensif aux demandeurs d’asile transférés au sein de la collectivité. Depuis août 2013, on compte un foyer et huit maisons parmi les logements disponibles tandis que les services sont fournis à 83 clients (des hommes adultes et des familles vulnérables).

À la mi-2010, le Gouvernement australien avait signalé un changement d’orientation politique en souhaitant traiter les demandes d’asile dans un pays tiers. Toutefois, cette politique n’a pas pu aboutir suite au refus du Timor-Leste de coopérer et de la décision de la Cour suprême de Malaisie interdisant le transfert de demandeurs d’asile sur son territoire. Il a donc été annoncé en octobre 2011 que toutes les demandes d’asile seraient traitées sur le territoire australien; après une période initiale de détention pour effectuer les contrôles d’identité, de santé et de sécurité, la plupart des demandeurs étaient libérés au sein de la société australienne avec un visa temporaire leur donnant le droit de travailler, tandis que ceux qui avaient été identifiés comme trop vulnérables pour vivre indépendamment étaient alors mis en détention au sein de la collectivité, un statut qui ne donne pas le droit de travailler.

Pourquoi la détention dans la collectivité?

En Australie, les organisations communautaires et confessionnelles ont été engagées pour fournir des services aux personnes détenues dans la collectivité. Une fois libérés des centres de détention, les demandeurs d’asile vulnérables, les mineurs non accompagnés et les familles sont placés auprès de ces services qui les aident sur le plan du logement, de la santé et du bien-être et qui leur apportent un soutien étroit et intensif. Bien que la détention dans la collectivité soit une forme de détention, les demandeurs d’asile n’y sont pas surveillés par des gardes comme ce serait le cas dans un centre fermé. Ils ont la possibilité de se déplacer dans la collectivité, de participer à des activités et des événements sociaux et de redonner un semblant de normalité à leur vie. Les clients font part du plus haut degré d’indépendance dont ils profitent, par exemple, en pouvant se rendre chez l’épicier, décider de leurs propres repas et les préparer, ou encore organiser eux-mêmes leur transport pour se rendre à des rendez-vous. Cette solution leur permet de garder un contact plus étroit avec leurs amis, leur famille et leur réseau de soutien. Et les familles signalent que leurs enfants se portent bien mieux dans le contexte de la collectivité que dans le contexte d’un centre de détention fermé.

La détention dans la collectivité est moins coûteuse que la gestion de centres de détention hautement sécurisés (qui implique des coûts élevés en installations et en investissements ainsi que des coûts plus tangibles découlant de problèmes tels que la détérioration de la santé mentale). En revanche, la détention dans la collectivité réduit les coûts à tous ces niveaux.[2] Le traitement au sein de la collectivité réduit aussi les futures pressions de financement des services de santé et de bien-être dont les demandeurs d’asile en détention prolongée ont invariablement besoin.

« La détention dans la collectivité est différente. J’apprécie le fait que nous ne soyons pas escortés par... des gardes, 24 heures sur 24, toutes les semaines. Nous avons plus de libertés. »

La détention dans la communauté permet aux personnes de mieux comprendre la vie en Australie et leur offrent plus d’occasions d’apprendre l’anglais et de créer des liens avec la communauté, ce qui élargit leurs perspectives d’installation s’ils devaient obtenir un visa permanent. Ceux qui n’obtiennent pas le statut de réfugié se sont montrés plus disposés à rentrer dans leur pays d’origine après avoir vécu parmi la collectivité. Dans ce type d’arrangement, on observe des taux de suicide et d’automutilation moins élevé et de très faibles taux de fuite.

Les défis

Au 31 mai 2013, 2.820 demandeurs d’asile avaient été placés en détention dans la collectivité et 8.251 dans des centres de détention pour immigrants (Immigration Detention Facilities, IDF) et des espaces de détention alternatifs (Alternative Places of Detention APOD).[3] Le programme de détention dans la collectivité a remporté un franc succès mais il s’est aussi heurté à plusieurs obstacles. Bien que le programme soit financé par l’État, certains services ne sont pas fournis alors que les personnes participant au programme souhaiteraient y accéder, par exemple les services pour personnes handicapées et les subventions aux frais de transport. Les demandeurs d’asile en détention dans le collectivité vivent d’une allocation très basique qui doit leur servir pour couvrir leurs frais d’alimentation, de transport, de services publics et leurs dépenses courantes. Comme ils n’ont pas le droit de travailler, ils dépendent uniquement de ce maigre revenu.

«Oui, il n’y a aucune barrière autour de nous et nous pouvons nous déplacer dans la collectivité, mais tellement de restrictions limitent encore nos mouvements. Il y a toujours un couvre-feu. Nous avons très peu d’argent et l’attente pour que notre visa soit traité semble interminable. Notre vie est toujours en suspens.» (demandeur d’asile hazara en détention depuis plus d’un an dans la collectivité)

Toutefois, les clients sont autorisés à travailler de manière bénévole et non rémunérée afin de s’intégrer à la communauté locale, de bâtir des relations, d’améliorer leur maîtrise de l’anglais et d’apprendre de nouvelles aptitudes. Tout cela, ainsi que leur expérience de la détention dans la collectivité, pourrait faciliter leur intégration au marché du travail après obtention de leur visa.

Il est souvent difficile pour des organisations comme JRS de trouver un logement adapté et de fournir à ces personnes le niveau de service adapté. De plus, en raison problèmes de communication, il arrive par exemple que la libération des demandeurs d’asile au sein de la collectivité ne se fasse pas toujours de manière continue et que les demandeurs soient maintenus en détention plus longtemps que prévu.

Plus récemment, la gestion du programme s’est compliquée sous l’effet du nouveau modèle de traitement (New Model of Care) introduit en 2012 en vertu de la politique de non-avantage du Gouvernement (No Advantage Policy). Conformément à cette politique, les demandeurs d’asile arrivés après le 13 août 2012 reçoivent une plus petite allocation, n’ont pas le droit de travailler, peuvent attendre jusqu’à cinq ans pour que leur demande soit traitée et peuvent potentiellement être déplacés sans préavis vers n’importe quel autre centre de traitement régional à tout moment au cours de leur détention dans la collectivité.

Les groupes de défense des droits humains et les groupes confessionnels doivent continuer de revendiquer avec fermeté des améliorations aux programmes de détention au sein de la collectivité. Au contraire des personnes détenues dans des centre fermés, les demandeurs d’asile et réfugiés en détention dans la collectivité peuvent vire dans un environnement relativement normal malgré leurs circonstances inhabituelles et personnaliser leur espace de vie. Les modalités de vie dans la communauté semblent aider les personnes à gérer le stress associé aux procédures de détermination du statut de réfugié, souvent très longues et parfois traumatisantes. Et lorsqu’elles s’accompagnent d’un soutien et d’opportunités adaptés, elles constituent un modèle bien plus humain et efficace que la détention dans un centre fermé.

 

Louise Stack louise.stack@jrs.org.au, Suma Pillai suma.pillai@jrs.org.au et Catherine Marshall catherine.marshall@jesuit.org.au travaillent pour JRS Australia. www.jrs.org.au



[1] Silove D, McIntosh P, Becker R ‘Risk of retraumatisation of asylum-seekers in Australia’, Australian and New Zealand Journal of Psychiatry, 1993, Vol 27, No 4, pp606-612

http://tinyurl.com/Silove-McIntosh-Becker-1993    

[2] Estimations du Sénat, affaires juridiques et constitutionnelles (13 février 2012)

http://tinyurl.com/Aus-Senate-13Feb2012    

[3] Un IDF est un centre de détention construit à cet effet. Un APOD est un endroit tel qu’un hôtel ou un hôpital utilisé comme centre de détention où les détenus sont placés sous surveillance.

 

 

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