Retour à la «solution du Pacifique»

Au cours des cinquante dernières années, les gouvernements australiens successifs ont introduit une série de mesures visant à dissuader les demandeurs d’asile. Selon la pratique en vigueur aujourd’hui, ces derniers sont de nouveau détenus hors des frontières, dans des centres situés dans des pays voisins.

Selon le Gouvernement australien, le pays est généreux envers les réfugiés ayant besoin d’être officiellement réinstallés. L’Australie suit un processus de réinstallation formel en partenariat avec l’UNHCR, selon lequel une protection est accordée aux réfugiés une fois qu’ils ont rempli les exigences australiennes en matière de santé et de moralité. Pour la plupart des réfugiés réinstallés ainsi, le voyage vers l’Australie dure des dizaines d’années, dont une bonne partie passée à attendre dans des camps pour réfugiés. Cette «générosité» envers les réfugiés contraste vivement avec la réponse du pays face aux arrivées «spontanées» de demandeurs d’asile «non autorisés». Bien qu’elle ait reçu relativement peu de demandeurs d’asile par rapport aux autres nations industrialisées, l’Australie s’est dotée d’une approche bien développée, à la fois punitive et restrictive, pour gérer l’arrivée de demandeurs par voie maritime. Dans de nombreux cas, ces demandeurs  doivent eux aussi attendre des années dans des camps de réfugiés mais, pour différentes raisons, le processus de réinstallation formelle ne leur a pas été proposé ou ils sont incapables d’y accéder. Les médias australiens, de même que les autorités, associent ces arrivées illégales aux opérations clandestines de traite des être humains, ces demandeurs étant étiquetés comme des «immigrés clandestins» qui essaient de «passer devant les autres» en arrivant en Australie sans suivre le processus officiel de l’UNHCR.

Le nombre de demandeurs d’asile arrivant en Australie par voie maritime est en augmentation; au cours des six premiers mois de 2013, près de 13.000 sont arrivés sur les côtes du pays. En raison du mauvais état des bateaux utilisés par les passeurs transportant les demandeurs, une augmentation proportionnelle du nombre de décès en mer a été observée. Au cours des dix dernières années, près de 1.000 demandeurs d’asile ont péri dans les eaux australiennes. En réaction à l’essor des arrivés par bateau et au nombre inacceptable des décès en mer, les autorités australiennes ont redoublé d’efforts pour trouver une solution au «problème» des demandeurs d’asile.

Solliciter l’asile en Australie

En 1976, un petit nombre de personnes étaient parvenues à atteindre l’Australie par voie maritime pour y solliciter l’asile. Surnommés «boat people», ces demandeurs marquent les débuts de l’association de l’Australie avec les demandeurs d’asile arrivant sans autorisation préalable. Ces premières arrivées, peu nombreuses, ont été acceptées avec une indifférence quasi générale de la part du public mais, au cours des années suivantes, le nombre de demandeurs d’asile n’a cessé d’augmenter, parallèlement à l’inquiétude parmi la population australienne. En réaction, le Gouvernement australien a introduit une politique de réinstallation directe des réfugiés issus des camps de l’Asie du Sud-Est. Cela a entraîné l’instauration d’un processus de réinstallation plus vaste et plus formel dans le pays mais aussi minimisé le besoin des demandeurs d’asile de se rendre en Australie par bateau. Ce processus semblait plus ordonné aux yeux du public australien, qui l’acceptait comme une réaction légitime à la situation des réfugiés dans cette partie du monde.

En 1989, un regain d’instabilité en Asie du Sud-Est a provoqué une nouvelle vague d’arrivées par bateau sur les côtes australiennes. C’est à partir de ce moment qu’un système de détention obligatoire a été appliqué à tous les demandeurs d’asile, impliquant leur détention dans des zones éloignées et isolées du territoire australien, où l’accès au système juridique était limité. Jamais réinstallés en Australie, la plupart de ces demandeurs ont été rapatriés après une longue période de détention.

Ce système de détention obligatoire parvenait bien à gérer le faible nombre de demandeurs d’asile arrivant dans le pays au début des années 1990. Toutefois, l’instabilité croissante que connaissait le Moyen-Orient à la fin de cette même décennie s’est traduite par l’arrivée d’un contingent assez nombreux de demandeurs d’asile en provenance d’Irak et d’Afghanistan, ce qui a eu pour effet d’accroître les pressions exercées sur les centres de détention australiens. Ces arrivées étaient en outre perçues défavorablement par l’opinion publique, qui commençait à mettre en doute la fiabilité des frontières du pays. Le Gouvernement a donc cherché à atténuer cette situation perçue comme une menace en détenant tous les demandeurs d’asile, y compris les femmes et les enfants, derrière des fils barbelés dans des centres de détention situés dans des zones reculées du pays. Selon les déclarations du ministre chargé de l’immigration, toutes les personnes arrivant sans autorisation par bateau étaient des «immigrés clandestins» qui menaçaient la souveraineté de l’Australie et toutes celles qui arrivaient sans visa essayaient de «passer avant les autres», c’est-à-dire de voler la place des personnes les plus vulnérables de la planète (à savoir, les réfugiés des camps qui attendaient d’être réinstallés). Une fois que les demandes de ces personnes avaient été traitées, il est apparu qu’il s’agissait presque exclusivement de réfugiés (environ 90%). Malgré la légitimité de leurs demandes, de nombreux politiciens, de la majorité comme de l’opposition, ont continué de dépeindre ces arrivées comme une situation d’urgence nationale ou comme une menace sérieuse à la sécurité du pays.

La situation s’est encore tendue davantage en 2011, lorsqu’un cargo nommé le Tampa a porté secours à plus de 450 demandeurs d’asile alors que le bateau de pêche indonésien qui les transportait faisait naufrage. L’impasse politique qui a suivi l’arrivée du Tampa, conjuguée aux attaques terroristes survenues quelques semaines plus tard aux États-Unis, s’est traduite par un amalgame entre la menace terroriste aux États-Unis et l’arrivée ou la présence des demandeurs d’asile. En réaction à l’arrivée des demandeurs d’asile, le gouvernement a alors adopté une nouvelle posture selon laquelle les demandeurs d’asile souhaitant être réinstallés en Australie devaient le «mériter». Selon le Gouvernement, les demandeurs d’asile méritants étaient ceux qui avaient attendu dans un camp de réfugiés pour suivre le processus ordonné de l’UNHCR. Les autorités ont ensuite confirmé ce message en introduisant des mesures supplémentaires pour dissuader les demandeurs d’asile cherchant à se rendre sur le territoire par bateau et pour limiter les droits de ceux qui y parvenaient. Ces mesures comprenaient un système de visa accordant une protection temporaire, l’introduction du traitement des demandes hors des frontières et la modification de la zone migratoire.

Ce nouveau régime d’immigration était conçu de manière à dissuader les demandeurs d’asile de faire le voyage vers l’Australie. En vertu du système de détention temporaire, tout demandeur d’asile qui arrivait dans le pays serait incapable de travailler, d’accéder aux soins de santé ou aux cours de langue anglaise, ou encore de déposer une demande de regroupement familial. Avec la modification des zones de migration, les îles qui se trouvent autour du périmètre Nord de l’Australie, c.-à-d. les îles où débarquent la majeure partie des demandeurs d’asile, ne faisaient dorénavant plus partie de la zone de migration australienne pour les demandeurs d’asile arrivant par bateau. Tous les demandeurs arrivant sans autorisation en Australie étaient envoyés et détenus dans un centre d’immigration dirigé par l’Australie mais situé dans un pays tiers, à savoir Nauru et la Papouasie-Nouvelle-Guinée (île de Manus). Ce traitement offshore des demandes, mieux connu sous le nom de «solution du Pacifique», avait pour but d’empêcher que les demandeurs d’asile arrivant sur les côtes australiennes soient traités de manière privilégiée par rapport aux réfugiées «méritants» qui attendaient dans les camps. L’introduction de ces changements dans la loi australienne sur l’immigration n’était rien d’autre que la traduction juridique de la notion australienne du «bon» et du «mauvais» réfugié – c.-à-d. les réfugiés établis dans les camps et sélectionnés par les autorités contre les réfugiés arrivant en Australie par voie maritime.

Sur le plan de la limitation des arrivées des demandeurs d’asile, la combinaison du traitement offshore, de la protection temporaire et de la détention obligatoire a été couronnée de succès. Entre 1999 et 2001 (avant l’introduction de ces mesures), 180 bateaux transportant plus de 12.000 demandeurs étaient arrivés sur les rives australiennes. Au cours des cinq années suivantes, seuls 18 bateaux et moins de 180 demandeurs avaient atteint les côtes du pays.[1]

En 2008, le Gouvernement travailliste nouvellement élu a aboli le système de protection temporaire et fermé les centres de détention de Nauru et de Papouasie-Nouvelle-Guinée, justifiant cette décision par la nature inhumaine du système d’immigration australien pour les demandeurs d’asile et mettant ainsi fin à la solution Pacifique. Désirant toutefois que le nombre d’arrivées de demandeurs d’asile reste limité, le Gouvernement a autorisé la poursuite du traitement des demandes dans le centre de rétention de l’île Christmas[2] et mis en place une nouvelle procédure de traitement offshore, qui visait spécifiquement à opérer hors du cadre juridique national. Cette procédure ne concernait que les demandeurs d’asile arrivant par bateau.

La situation actuelle

Dans les années suivant l’abandon de la solution Pacifique, le nombre d’arrivées de demandeurs d’asile par voie maritime a été multiplié par cent, débordant les capacités des centres de détention de l’île Christmas[3] et donnant l’impression au public que les autorités étaient devenues trop tolérantes vis-à-vis des demandeurs d’asile au point de compromettre la sécurité des frontières australiennes.

En réaction à une impopularité croissante et à la multiplication des arrivées de demandeurs d’asile, le Gouvernement a commencé en 2010 à débattre publiquement d’autres moyens d’empêcher de nouvelles arrivées. La solution-clé proposée alors impliquait la mise en place d’un «centre de traitement régional»; un système selon lequel les demandeurs d’asile seraient détenus dans un pays tiers où leur dossier serait traité. Il s’agissait ni plus ni moins d’un retour à la solution du Pacifique. Selon le Gouvernement, ce système découragerait les nouvelles arrivées car les passeurs ne seraient pas capables de vendre aux demandeurs d’asile un trajet en bateau vers l’Australie, si la seule destination de ce trajet était un centre de détention offshore où leur demande serait traitée.

À la mi-2012, le gouvernement a nommé un Groupe d’experts qui a émis un certain nombre de recommandations, dont l’augmentation du quota annuel de réfugiés réinstallés en Australie, le révision du processus de détermination du statut de réfugié, la légalisation de l’expulsion des demandeurs d’asile vers n’importe quel pays tiers, un «principe de non-avantage» selon lequel un demandeur d’asile arrivant par bateau ne serait pas favorisé par rapport à un demandeur résidant dans un camp et la réouverture des centres de détention de Nauru et de l’île de Manus (semblables au «centre de traitement régional» des autorités). Toutes ces recommandations ont été approuvées et sont aujourd’hui en vigueur.

Les changements de la politique relative à l’asile sont dictés par les élections fédérales. Lors de l’élection fédérale de 2013, les deux partis principaux ont proposé des mesures visant à décourager l’arrivée de demandeurs d’asile et de punir ceux qui malgré tout arrivent. Durant la campagne, le nouveau gouvernement conservateur a proposé le retour à une mesure antérieure qui permettra à la Marine Australienne de renvoyer les bateaux de demandeurs d’asile en Indonésie. Le nouveau gouvernement retiendra les décisions du gouvernement précédent visant à ce que, depuis juillet 2013, plus aucun demandeur d’asile pénétrant dans les eaux australiennes n’ait la possibilité d’être réinstallé en Australie de manière permanente. Tous les demandeurs sont maintenant transférés dans des centres de détention situés en Papouasie-Nouvelle-Guinée  et Nauru où ils sont soumis à des évaluations d’ordre sanitaire et sécuritaire. Si leur statut de réfugié est avéré, ils y resteront de manière permanente, seront réinstallés dans un pays tiers, ou seront sous la protection temporaire de l’Australie.

Le traitement hors des frontières est de nouveau une composante permanente de la réponse australienne face aux demandeurs d’asile. Alors que le nombre de personnes sollicitant l’asile ne cesse de croître à l’échelle mondiale, l’Australie reçoit aujourd’hui plus de demandeurs d’asile que jamais, si bien que le Gouvernement cherche désespérément une réponse au «problème» de ces arrivées, même si cette réponse est préjudiciable pour les demandeurs eux-mêmes.

 

Fiona McKay fiona.mckay@deakin.edu.au est maîtresse de conférences en santé publique et coordinatrice  de cours, promotion du troisième cycle en études de santé de l’École de santé et de développement social de Deakin. www.deakin.edu.au



[1] Phillips, J & Spinks, H, 2012 Boat arrivals in Australia since 1976 http://tinyurl.com/Phillips-Spinks-2012

[2] Un territoire australien situé dans l’Océan Indien.

[3] En mai 2013, le nombre de personnes détenues au centre de l’île Christmas a atteint 2.962.

La capacité de détention du centre de l’île est normalement de 1.094 personnes mais peut être poussée jusqu’à 2078 personnes.

 

 

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