Crise au Liban: des camps pour les réfugiés syriens?

Le Liban est parvenu à absorber l’énorme influx syrien mais à un prix élevé tant pour la population libanaise que pour celle des réfugiés. Alors que les programmes humanitaires actuels ne peuvent plus faire face à la situation, de nouvelles approches semblent plus que jamais nécessaires.

Selon les estimations de l’UNHCR, on dénombrait 445.000 réfugiés syriens au Liban à la fin avril 2013, ce chiffre incluant les personnes enregistrées et celles en attente d’enregistrement. Mais le pays abrite aussi des milliers de réfugiés qui n’ont pas même essayé de se faire enregistrer. En outre, le gouvernement libanais et l’ONU prévoient qu’il y aura un million de réfugiés syriens au Liban d’ici la fin 2013. La population libanaise s’élève à environ 4,2 millions d’habitants. En se basant uniquement sur les chiffres officiels, les réfugiés syriens représentent donc déjà 10% de la population totale du pays, une proportion qui passera à 20% d’ici la fin de l’année.

Sous de nombreux aspects, le gouvernement libanais a poursuivi une politique des plus admirables. Les frontières sont restées ouvertes. Les réfugiés ont été autorisés à s’installer où ils le souhaitaient et ils ont le droit de travailler. Comme les camps ont été interdits, les réfugiés se sont installés au sein des communautés. Cette approche a été saluée par l’ensemble de la communauté internationale.

Toutefois, cette approche n’est pas sans retombées négatives. Les réfugiés sont concentrés dans certaines des régions les plus pauvres du pays. L’expansion subite de la population active a eu pour effet d’infléchir les salaires des Libanais comme des Syriens. Les services d’éducation et de santé, déjà insuffisants auparavant, sont plus débordés que jamais. Tous les logements disponibles sont surpeuplés si bien que les réfugiés commencent à s’installer dans des bidonvilles insalubres. En outre, la perception que l’assistance internationale est destinée uniquement aux réfugiés ne fait qu’accentuer les tensions entre ces derniers et la population libanaise.

À leur arrivé au Liban, la majorité des réfugiés louent un logement privé (financé par leurs économies ou, pour quelques chanceux, par leur famille ou des organismes caritatifs). Des milliers d’entre eux vivent dans des bâtiments inachevés, qui assurent une protection minimale contre les éléments: dotés d’un toit et de murs mais dénués de fenêtres, de portes et de sanitaires. Dans de nombreuses zones, les températures chutent bien en dessous de zéro au cours de l’hiver. Certains organismes d’aide ont donc mis au point des programmes visant à isoler ces logements en couvrant les fenêtres, en réparant les portes, etc. Mais il s’agit d’une entreprise coûteuse et de longue haleine, chaque bâtiment étant identifié puis rénové l’un après l’autre.

Il existe très peu de possibilités d’emploi si bien que de nombreux réfugiés s’en remettent à des mesures désespérées pour subvenir à leurs besoins, telles que la prostitution, le mariage précoce, la mendicité ou un emploi rémunéré par un salaire de misère. Le Programme alimentaire mondial met actuellement en œuvre un programme de coupons alimentaires de grande échelle tandis que d’autres organisations fournissent des articles ménagers et un soutien financier. Certaines agences dirigent des programmes de création d’emplois et de formation. Toutefois, même avant la crise, il était difficile de trouver du travail dans les zones accueillant aujourd’hui les réfugiés. Les nouvelles possibilités commerciales se sont amenuisées alors que le nombre de résidents a connu un essor considérable; on estime même que certaines zones abritent dorénavant plus de réfugiés que de citoyens libanais. Même avec la meilleure volonté (et les meilleures pratiques) du monde, il est inconcevable que les programmes de génération de revenus parviennent à aider plus qu’un minuscule fragment de la population des réfugiés.

Nombre de réfugiés ont épuisé toutes leurs économies. Ils s’installent alors dans les rues des villes ou dans des bidonvilles qui apparaissent tout autour de la vallée de la Bekaa et dans le nord du pays. L’UNHCR estime qu’il existe aujourd’hui 240 installations informelles rien que dans la Bekaa, dont la taille varie entre 10 tentes et plus d’une centaine. Ces installations reçoivent peu d’assistance, non par manque de volonté mais plutôt par manque de capacités, et sa caractérisent par l’insalubrité. Alors que l’été approche, et avec lui des températures qui avoisineront probablement 40oC, les problèmes de santé semblent inévitables et la menace d’une épidémie bien réelle.

Si le système est incapable de faire face aux influx actuels de réfugiés, que se passera-t-il s’il fallait faire face à cet éventuel «influx massif» dont tout le monde parle et que tout le monde redoute? Selon ce scenario, des centaines de milliers de personnes pourraient arriver au Liban en quelques jours seulement. Il s’agit d’ailleurs d’un scenario tout à fait plausible: il pourrait survenir en cas d’intensification des combats à Damas, qui impliquerait l’évacuation de secteurs entiers de la ville, ou si la Jordanie décidait de fermer ses frontières, réduisant ainsi les possibilités de sortie des Syriens.

L’approche actuelle (rénovation des logements individuels, subvention aux dépenses des ménages, etc.) ne permettrait pas de réagir suffisamment rapidement face à un tel scenario, même si les capacités étaient réunies (ce qui n’est pas le cas). Nous devons donc considérer les autres options disponibles et, à ce stade, il est difficile de ne pas penser à l’établissement de camps.

Camps: interdits mais inévitables

Il est important de préciser qu’aucun des acteurs politiques au Liban n’est en faveur des camps, ni comme premier et ni même comme second recours. Le gouvernement a interdit les camps, une politique soutenue activement par l’UNHCR. Tous s’accordent à dire qu’il est préférable, puisque le choix existe, que les réfugiés s’intègrent dans les communautés.

Les camps soustraient aux réfugiés toute possibilité de gérer leur propre vie, ce qui constitue l’argument le plus solide contre leur établissement. Toutefois, il est impossible d’imaginer que des emplois puissent être créés en nombre suffisant pour permettre à un large segment de la population réfugiée de subvenir durablement à ses besoins, si bien que les réfugiés ont actuellement peu d’occasions de contrôler leur propre vie. Il est inévitable que les réfugiés finissent par dépendre d’un certain type d’assistance sociale pour le reste de leur séjour au Liban. De plus, peu de liens sociaux unissent les bidonvilles aux communautés locales.

Le fait est que les camps, sous une forme ou une autre, sont inévitables. Plusieurs représentants du gouvernement l’ont d’ailleurs personnellement reconnu en se prononçant publiquement en faveur de cette solution. En effet, les camps ont la capacité d’accueillir un grand nombre de personnes et peuvent être construits rapidement une fois le terrain identifié – un aspect important étant donné que le Liban est un petit pays où les terrains vacants sont rares. Il faudrait toutefois que les propriétaires terriens acceptent de louer leurs terres, tandis que les communautés auraient sûrement leur mot à dire concernant l’établissement de camps dans leur voisinage.

Il faut également prendre en compte la question du coût. On entend souvent dire qu’il est plus coûteux d’accueillir les réfugiés dans des camps qu’au sein de la communauté, mais l’approche actuelle n’en est pas moins onéreuse. Il faut en effet couvrir les coûts directs relatifs au logement, à l’alimentation, au chauffage, aux soins de santé, ainsi que toutes les autres dépenses essentielles. Par exemple, il est extrêmement coûteux de fournir des soins de santé à une population aussi dispersée. À cela s’ajoutent également les coûts en matière de dignité et de sécurité des réfugiés qui accompagnent les stratégies de survie qu’ils ne peuvent éviter d’adopter. Enfin, tout aussi importants sont les coûts pour les communautés d’accueil: perte de revenus due à la baisse des salaires, compétition accrue sur le marché du travail et détérioration des services sous l’effet d’une demande excessive.

En fait, la communauté humanitaire, mais aussi les réfugiés, n’ont pas d’autre choix. Des camps de facto apparaissent déjà tout autour du pays (les installations précaires mentionnées précédemment), dont la taille et le nombre ne cessent de croître. Une plus grande part de l’aide sera d’ailleurs consacrée à ces installations puisque les mesures de planification du gouvernement et de l’ONU donnent la priorité aux installations informelles. Cependant, il sera impossible d’intervenir dans un nombre si élevé de petites installations répartiees sur une si grande surface. Les organismes d’aide se concentreront alors sur les installations les plus grandes et sur celles présentant les besoins les plus extrêmes, incitant un plus grand nombre de personnes à s’y établir. Il s’agit là d’une réalité qui n’est pas prête de disparaître et que nous devons donc aborder de manière systématique.

Il est essentiel que le gouvernement infléchisse sa politique afin d’autoriser à la création d’un certain nombre de camps bien planifiés. Cela permettrait aux organisations d’aide et aux municipalités de planifier correctement la construction des camps et d’éviter ainsi l’expansion chaotique observée actuellement. En outre, il est crucial que l’aide soit partagée entre les réfugiés et les populations d’accueil. Ce ne serait que justice, les besoins des communautés libanaises étant semblables à ceux des réfugiés. Et si elle est rigoureusement ciblée, l’aide permettra aussi d’atténuer les tensions locales.

La question des camps a polarisé le débat public au Liban comme à l’étranger. Toutefois, les camps ne pourraient être la solution miracle. Pour répondre à des besoins si considérables, il est indispensable de combiner les approches, ce qui implique de poursuivre l’approche actuelle et de la renforcer en construisant des camps et en recourant à d’autres solutions. Alors que les possibilités actuelles sont saturées, que les réfugiés continuent d’arriver et que les tensions ne cessent de croître au sein des communautés, nous devons faire preuve d’imagination.

Comment continuer?

Le Liban est inextricablement emmêlé dans les affaires syriennes. Le pays ne paie pas seulement les pots cassés par la guerre en Syrie: il vit également sous la menace croissance d’une crise interne. À moins que les politiciens libanais et les bailleurs internationaux ne prennent des mesures décisives, il est difficile d’imaginer comment éviter cette crise. Les données démographiques mentionnées précédemment parlent d’elles-mêmes. Si l’on ajoute à cela les bombardements du nord du Liban opérés à partir de la Syrie, la guerre par procuration menée par intermittence à Tripoli et la paralysie politique au niveau central, il est facile de comprendre pourquoi tant de Libanais sont inquiets pour l’avenir de leur pays.

Il faut donc reconnaître la sévérité et l’urgence de la situation. Les ministres libanais doivent prendre des décisions difficiles (entre autres, au sujet des camps) et réorganiser les priorités de leur ministère respectif. La crise des réfugiés dépasse les divisions politiques et les politiciens de tout bord doivent le reconnaître.

Sur le plan pratique, les ministères, les agences de l’ONU et les ONG pourraient tous se montrer plus efficaces et plus pragmatiques. Ils doivent travailler main dans la main vers la réalisation d’un ensemble d’objectifs approuvés (mais flexibles). Ils doivent faire preuve de créativité et rechercher toujours de nouvelles solutions aux problèmes qui apparaissent ou qui évoluent.

Les besoins financiers sont immenses. Le gouvernement libanais et l’ONU estiment les coûts de l’opération actuelle (même sans influx soudain) à plus d’un milliard de dollars jusqu’à la fin 2013. Il est très peu probable que le total des fonds qui pourront être réunis se rapproche de la somme requise. Mais une reconnaissance ouverte de ce problème et un ciblage judicieux des fonds pourraient au moins permettre de répondre aux besoins les plus pressants et d’apaiser les tensions intracommunautaires. Les plans récemment dressées par le gouvernement et l’ONU soulignent le besoin d’aider autant les communautés d’accueil que les réfugiés, une politique que les bailleurs de fonds devraient approuver et financer.

L’aide humanitaire ne solutionnera pas la crise libanaise mais une assistance gérée avec souplesse et bien ciblée pourra certainement atténuer l’impact de la crise politique. Le gouvernement et les organismes d’assistance doivent s’adapter à un contexte en constante évolution en apportant à leurs politiques des modifications rigoureusement étudiées, telles que celles suggérées ici.

 

Jeremy Loveless jeremy.loveless@icloud.com est un consultant indépendant ayant travaillé pour le département britannique de développement international (Department for International Development, DFID) et le gouvernement libanais entre novembre 2012 et mai 2013. Les opinions exprimées dans cet article sont uniquement celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles du DFID ou du gouvernement libanais.

 

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