Religion et politiques de réinstallation

Pour certains demandeurs d'asile en Turquie, la conversion peut être une stratégie opportuniste permettant d’améliorer les perspectives de réinstallation.

Ceux qui travaillent avec des demandeurs d’asile et des réfugiés en Turquie ont remarqué qu’un nombre croissant de demandeurs d’asile iraniens shiites se convertissent à la foi chrétienne pendant leur trajet migratoire à travers la Turquie. Dans la mesure où l’apostasie est passible de la peine capitale en Iran, les demandes d’asile et de réinstallation sont susceptibles de se fonder sur ces conversions ou de s’en trouver renforcées.

La réinstallation est considérée comme un privilège plutôt que comme un droit en vertu du droit international, et le processus de sélection s’effectue dans un contexte dans lequel la demande est considérablement plus importante que les quotas stipulés par les pays de réinstallation. Ce processus de sélection sépare les réfugiés en sous-catégories en fonction d’un mérite fondé en théorie sur la vulnérabilité, mais qui en pratique est lié autant à des raisons politiques qu’humanitaires.

Il a été avancé dans le cas des Etats-Unis – de loin le pays de réinstallation le plus important pour les réfugiés se trouvant en Turquie – que les intérêts en matière de politique étrangère ont par le passé joué un rôle capital pour décider quels réfugiés seraient sélectionnés en vue d’une réinstallation. Les processus de sélection en vue d’une réinstallation ont pendant longtemps favorisé l’entrée de candidats idéologiquement utiles, comme par exemple des individus fuyant des régimes communistes pendant la guerre froide. Avec une réorientation qui s’est déplacée de la réinstallation de minorités religieuses de l’ex-union soviétique à des priorités similaires concernant l’Iran, les États-Unis accordent un traitement préférentiel aux minorités religieuses iraniennes (baha’is, juifs, chrétiens) en réduisant les normes probatoires auxquelles elles sont soumises. C’est dans ce contexte que la conversion est perçue par certains demandeurs d’asile iraniens shiites se trouvant en Turquie comme un moyen d’améliorer leurs chances d’atteindre l’Occident ; plusieurs études ont montré que la conversion des migrants et des demandeurs d’asile iraniens devenait une pratique de plus en plus répandue en Turquie[1].

L’absence de système d’assistance sociale destiné aux migrants et réfugiés en Turquie ouvre la porte à un soutien bénévole que les associations et les ONG chrétiennes sont principalement les seules à apporter. Leurs employés sont souvent des missionnaires, et un nombre non négligeable d’entre eux parlent couramment le farsi et sont associés à des réseaux d’églises qui s’expriment en farsi partout en Turquie. Ces missionnaires aident les migrants qui parlent le farsi en proposant des services de traduction et en établissant des contacts à travers des invitations à participer à des événements sociaux ou à des services religieux – qui leur donnent accès à des réseaux sociaux qui peuvent donner un sens à leur existence dans une situation par ailleurs instable.

Une part importante de la trajectoire de conversion consiste en l’élaboration d’un récit personnel de sa propre conversion. Il ne fait aucun doute que certains de ces récits de conversion sont « réels », dans le sens où la foi chrétienne se transforme en conviction et qu’elle est internalisée par les individus concernés au cours de leur passage en Turquie. Pour d’autres, il se peut que la conversion ne soit qu’une stratégie opportuniste en vue d’améliorer leurs chances de réinstallation.

 

Shoshana Fine Shoshana.fine@sciencespo.fr est Doctorante au CERI Sciences Po Paris. www.sciencespo.fr/ceri/en



[1] Voir Koser Akçapar S (2007) Et Dieu dans tout ça ? Le rôle de la religion dans la dynamique interne des réseaux de migrants en Turquie, Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée, novembre 119-120; ou Leman J (2007) L’ effet « Saint Luc » dans l’engagement des convertis iraniens en transit. Le cas de l’enclave pentecôtiste iranienne à Istanbul, Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée, novembre 119-120.

 

 

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