Ne pas hériter du passé

Dans certaines situations, il est attendu que les migrants forcés de deuxième génération héritent de «la rage de leurs ancêtres». Cette rage est parfois même encouragée.[1] Ma recherche sur les notions d’identité et d’appartenance parmi les Libanais de deuxième génération élevés à l’étranger par des parents forcés de fuir le Liban au cours de la guerre de 1975-90 indique que ces parents n’avaient aucune rage à transmettre ou qu’ils ont choisi volontairement de ne pas la transmettre.

Au contraire, ils ont préféré enseigner à leurs enfants les notions générales de «libanaisité» qui ne reflètent aucune des divisions sectaires à l’origine de tant de dissensions au Liban, préférant promouvoir une coexistence pacifique et une identité nationale plutôt que sectaire. Les enfants ont ainsi internalisé ces notions, ils se les sont appropriées tout en établissant des liens avec la culture du pays où ils ont été élevés.

«J’adore être d’origine libanaise. J’aime mon pays pour sa beauté, ses traditions, sa liberté de vie et d’expression. Cependant, j’adore aussi le Qatar car j’y trouve la sécurité ainsi qu’un emploi et de nombreux amis autour de moi.»

«En vivant hors du Liban et en grandissant parmi la diaspora, je suis devenu mi-Suédois, mi-Libanais, et j’essaie de prendre le meilleur des deux cultures.»

«Je ne savais pas du tout qu’il existait plusieurs sectes [au Liban]. Par exemple, je ne savais pas qu’il y avait une grande communauté shiite ou chrétienne, ni même que les Druzes existaient. Mes parents m’avaient simplement appris que nous étions tous Libanais.»

Il n’y a qu’une chose qui vient troubler ces identités plurielles: le sentiment, partagé par plusieurs d’entre eux, de n’appartenir nulle part ou plutôt de toujours appartenir au lieu où ils ne se trouvent pas actuellement:

«Il y a une expression qui dit: celui qui a deux maison n’est jamais chez lui. C’est un peu ce que je ressens parfois – j’ai deux maisons et pourtant je me sens à 100 % chez moi dans aucune des deux.»

 

Yara Romariz Maasri yara.r.maasri@gmail.com fait partie de l’équipe de rédacteurs du bulletin d’information sur l’aide juridique aux réfugiés «Fahamu» http://frlan.tumblr.com/. Ce texte est extrait du mémoire sur la Migration Forcée de l’auteur «“You have your Lebanon and I have my Lebanon”: conflict-induced displacement and identity», 2007.



[1] Robben, A C G M et Suárez-Orozco, M M, (eds) (2000) Cultures under siege: collective violence and trauma, Cambridge, Cambridge University Press, p35.

 

 

Avis de non responsabilité
Les avis contenus dans RMF ne reflètent pas forcément les vues de la rédaction ou du Centre d’Études sur les Réfugiés.
Droits d’auteur
RMF est une publication en libre accès (« Open Access »). Vous êtes libres de lire, télécharger, copier, distribuer et imprimer le texte complet des articles de RMF, de même que publier les liens vers ces articles, à condition que l’utilisation de ces articles ne serve aucune fin commerciale et que l’auteur ainsi que la revue RMF soient mentionnés. Tous les articles publiés dans les versions en ligne et imprimée de RMF, ainsi que la revue RMF en elle-même, font l’objet d’une licence Attribution - Pas d’Utilisation Commerciale - Pas de Modification (CC BY-NC-ND) de Creative Commons. Voir www.fmreview.org/fr/droits-dauteurs pour plus de détails.