Demandes d’asile LGBTI: La perspective des pays d’Europe centrale et orientale

De récentes recherches ont révélé que les pays d’ECO ont beaucoup de retard sur le reste de l’Europe relativement à leur approche des demandeurs et demandeuses d’asile LGBTI. Le faible degré de sensibilisation, le manque de directives et une certaine hostilité culturelle sont autant d’entraves au traitement équitable des demandeurs d’asile.

Des recherches publiées en 2011 ont révélé que les autorités des pays d’Europe centrale et orientale (ECO) ont rarement à traiter une demande d’asile de la part d’une personne LGBTI. En effet, selon le projet «Fleeing homophobia» («Fuir l’homophobie») de COC Netherlands et de l’université libre d’Amsterdam (VU Amsterdam)[1], seulement deux demandes ont été émises en moyenne chaque année depuis 1997 pour de tels motifs en Bulgarie, trois ou quatre en République tchèque, cinq ou six en Hongrie, deux ou trois en Pologne et trois en Lituanie. À titre de comparaison, la Belgique a étudié 1100 demandes de personnes LGBTI entre 2008 et 2011. Il n’existe toutefois aucune donnée officielle puisque les pays d’ECO ne produisent aucune statistique spécifique sur les demandes de personnes LGBTI et encore moins de données diffusées  selon le statut de la personne en tant que lesbienne, gay, bisexuelle, transgenre ou intersexuée.

Tous les pays d’ECO sont signataires de la Convention de 1951 relative aux réfugiés et de son Protocole de 1967 et tous, à l’exception du Belarus, sont membres du Conseil de l’Europe et parties à la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH). De surcroît, la Bulgarie, la République tchèque, l’Estonie, la Hongrie, la Lettonie, la Lituanie, la Pologne, la Roumanie, la Slovaquie et la Slovénie (et prochainement la Croatie) sont membres de l’Union européenne. La Convention de 1951 relative au statut des réfugiés, le droit européen et la jurisprudence de la CEDH garantissent tous la protection des demandeurs d’asile et des réfugiés. Pourtant, les procédures d’octroi du statut de réfugié aux demandeurs d’asile LGBTI semblent loin d’être harmonisées dans cette partie du monde.

De plus, aucun des pays de l’ECO ne dispose de directives officielles pour le traitement des demandes d’asile émises par des personnes LGBTI, et il n’existe aucune ONG spécialisée capable d’apporter un soutien juridique et social aux demandeurs LGBTI dans cette région. Les fonctionnaires chargés du traitement des demandes sont peu sensibilisés à la nature particulière des persécutions contre la communauté LGBTI et affichent souvent des préjugés envers ce groupe social. Le faible volume de demandes d’asile émises par des personnes LGBTI dans cette région peut donc être imputé au climat général à tendance homophobe et transphobe[2] qui transforme ces pays en destination bien peu idéale pour les personnes persécutées en raison de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre.     

Criminalisation

Dans les pays de l’ECO, on observe une tendance générale à accorder l’asile aux demandeurs LGBTI uniquement si les relations sexuelles entre deux personnes du même sexe ou l’auto-identification en tant que gay, lesbienne, bisexuel(le) ou transgenre sont criminalisées dans le pays d’origine. Malheureusement, dans la plupart de ces pays, il est indispensable de prouver que ces lois sont effectivement appliquées pour que la demande d’asile aboutisse. Cela va à l’encontre des directives de l’UNHCR qui stipulent que les lois prohibant les relations homosexuelles, même si elles sont rarement, irrégulièrement ou jamais appliquées, pourraient créer pour les personnes LGBTI une situation intolérable au point d’être assimilée à une persécution. Les autorités lituaniennes et polonaises affirment simplement que l’existence de telles lois pourrait être considérée comme une possible persécution; cependant, en Pologne, la pratique indique qu’il est indispensable que ces lois soient effectivement appliquées pour qu’une demande d’asile soit reconnue comme valide.              

Évaluation de la crédibilité

Dans la plupart des pays de l’ECO, il ne suffit pas que la personne sollicitant l’asile dévoile son orientation sexuelle ou son identité de genre: elle doit aussi en apporter la preuve.  Selon le rapport final du projet «Fleeing Homophobia», de nombreuses autorités compétentes en matière d’asile demandent que soient fournis des certificats médicaux et d’autres documents du même ordre délivrés généralement par des sexologues, des psychologues ou des psychiatres.

Entre 2008 et 2010, la République tchèque recourait à une pratique absconse nommée «examen sexodiagnistique» qui comprenait un entretien avec un sexologue et une soi-disant «évaluation phallométrique»[3]. Non seulement cette pratique était inutile mais elle contrevenait également à l’interdiction d’infliger des traitements inhumains ou dégradants et violait le droit à l’intimité. Suites aux critiques internationales émises par l’Agence européenne des droits fondamentaux de l’Union européenne, l’UNHCR et d’autres organisations et institutions de défense des droits humains,[4] les autorités tchèques ont cessé de recourir à la phallométrie. En revanche, l’opinion d’un spécialiste est toujours requise en Slovaquie afin d’établir l’orientation sexuelle et/ou l’identité de genre de toute personne émettant une demande basée sur ces motifs. L’orientation sexuelle est déterminée habituellement au cours d’un entretien sexologique. Ici encore, cette pratique va à l’encontre des directives de l’UNHCR, qui précisent que les fonctionnaires doivent se fier aux seules déclarations des demandeurs lorsqu’il est impossible d’obtenir de plus amples informations dans le pays d’origine.

En Bulgarie, le fait qu’un demandeur ou une demandeuse LGBTI soit marié(e) ou ait des enfants suffit pour refuser une demande de protection d’un réfugié. En outre, les autorités bulgares responsables des demandes d’asile posent des questions indiscrètes sur le nombre de partenaires sexuels, les positions sexuelles préférées ou les contacts sexuels avec des personnes du sexe opposé. En Hongrie, toute révélation tardive de son homosexualité lors de la première phase de la procédure d’asile est considérée comme un facteur négatif dans l’évaluation de la crédibilité. De surcroît, l’existence de relations hétérosexuelles précédentes et d’enfants nés de celles-ci est également considérée comme un facteur pouvant remettre en cause la crédibilité des demandeurs d’asile gays ou lesbiens.

Exigence de discrétion

Les autorités nationales chargées des demandes d’asile en ECO concluent souvent que les demandes sont sans fondement au motif que les personnes ont la possibilité de cacher leur orientation sexuelle ou leur identité de genre dans leur pays d’origine. En Hongrie, le Bureau national de l’immigration et de la nationalité a observé, en relation à une demande d’asile de la part d’une personne LGBT, que « même si [l’Algérie] applique des sanctions contre les personnes homosexuelles ou les comportements homosexuels, ces p ersonnes peuvent pratiquer leur orientation sexuelle de manière discrète et dissimulée afin d’éviter toute agression ». De manière identique, le Bureau polonais pour les étrangers a débouté un demandeur pakistanais car, selon les autorités, celui-ci avait la possibilité de «s’échapper» vers d’autres régions de son pays. Pour justifier sa décision, le Bureau s’est appuyé sur un rapport du Ministère de l’intérieur britannique concernant la situation des personnes LGBT au Pakistan, selon lequel « si une personne vit son homosexualité de manière discrète, il n’y a aucune raison qu’elle subisse les persécutions du reste de la société ». À l’opposé, les directives de l’UNHCR soulignent que les personnes LGBTI devraient avoir le même droit que tout autre personne à exprimer leur identité et s’associer avec les autres. Elles ajoutent que personne ne devrait leur demander de dissimuler leur orientation sexuelle ou leur identité de genre pour éviter qu’elles ne soient persécutées.

Des décisions incohérentes

Récemment, les autorités polonaises ont dû se prononcer sur le cas de deux demandeurs d’asile ougandais. Le premier affirmait avoir été battu, torturé et humilié en Ouganda en raison de son orientation sexuelle. Toutefois, il était également marié et père de plusieurs enfants. Le deuxième avait été interpellé pour avoir eu des relations sexuelles dans un parc. Selon son témoignage, il avait été victime de violences physiques et psychologiques au cours de sa détention. Remis en liberté au bout de dix jours, il s’attendait toutefois à être prochainement jugé et condamné à sept années de prison, voire à la peine capitale. Ces deux demandes ont été déboutées en première instance. Dans chacun des cas, le président du Bureau pour les étrangers avait conclu que la situation en Ouganda ne posait pas de risque réel de persécution au motif de l’orientation sexuelle. Concernant le premier demandeur, la décision a été renversée en deuxième instance par le Conseil des réfugiés, selon lequel la simple existence et mise en application des dispositions pénalisant l’homosexualité peuvent suffire à justifier l’octroi du statut de réfugié. En revanche, le Conseil des réfugiés a estimé que l’orientation sexuelle du second demandeur ne pouvait être assurément établie, alors même que ce dernier avait présenté plusieurs éléments matériels dont un certificat médical délivré par un sexologue. (Cette décision a été ultérieurement renversée par le tribunal administratif). 

Conclusion

Les pays de l’ECO sont contraints de se conformer aux normes internationales relatives aux réfugiés et aux demandeurs d’asile. Néanmoins, dans ces pays, les pratiques des autorités nationales chargées des demandes d’asile se situent bien en-deçà de ces normes lorsqu’elles traitent le cas de personnes LGBTI. Étant donné le faible nombre de demandeurs d’asile LGBTI dans la région ECO, il semble que les autorités nationales ne disposent pas des compétences adaptées pour traiter ces demandes et qu’elles peinent donc à évaluer les circonstances personnelles des demandeurs tout autant que la situation objective dans le pays d’origine. Cet état des choses devrait encourager toutes les parties concernées, y compris les représentants nationaux et les ONG spécialisées dans la défense des droits humains, à coopérer plus étroitement afin d’échanger leurs informations et leurs meilleures pratiques.           

 

Anna Śledzińska-Simon anna.sledzinska@gmail.com est professeure assistante à la Faculté de Droit de l’Université de Wrocław, en Pologne. Krzysztof Śmiszek ksmiszek@gmail.com est membre de la Société polonaise du droit antidiscrimination et titulaire de la chaire des droits humains à la Faculté de Droit et d’Administration de l’Université de Varsovie, en Pologne. Il a été l’expert pour la Pologne dans le cadre du projet «Fleeing Homophobia».

Cet article s’appuie sur les conclusions du projet «Fleeing Homophobia». Le rapport final est disponible ici : http://tinyurl.com/Fleeing-Homophobia-report-fr                



[1]  Effectué en collaboration avec le Comité Helsinki-Hongrie, Avvocatura per i diritti LGBT/Rete Lenford et le Conseil européen pour les réfugiés et les exilés.

[3]  L’évaluation phallométrique utilise des électrodes reliés aux organes génitaux pour mesurer les changements du flux sanguin génital durant la présentation de stimuli audiovisuels explicites.  www.unhcr.org/4daed0389.pdf

[4] Commentaires de l’UNHCR sur la pratique de la phallométrie en République tchèque afin de déterminer la crédibilité de demandes d’asile pour raison de persécution due à l’orientation sexuelle, avril 2011 www.unhcr.org/refworld/docid/4daeb07b2.html  Rapport de l’ORAM http://tinyurl.com/ORAM-phallometry-report

 

 

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