Migrants LGBTI dans les centres de détention de l’immigration

Alors que les États ont de plus en plus recours à la détention comme moyen pour contrôler les flux migratoires, les migrants appartenant à des minorités sexuelles se retrouvent dans des lieux de détention dans lesquels ils risquent de subir de multiples atteintes à leurs droits humains.

De plus en plus fréquemment, les États détiennent les migrants en situation irrégulière comme moyen, croient-ils, de contrôler les flux migratoires et de dissuader une recrudescence de la migration irrégulière. Malgré cette tendance, la détention n’a pas dissuadé les migrants de traverser les frontières. En outre, les conditions dans les centres de détention pour les immigrants ont été très généralement critiquées pour être en infraction avec le droit international.

Les personnes appartenant à des minorités sexuelles qui se trouvent en détention, sont souvent confrontées à un phénomène d’isolation sociale, elles font l’objet de violences physiques et sexuelles dues à leur identité de genre et sont en but au harcèlement tant de la part  du personnel que des autres détenus. Dans la plupart des installations carcérales, les minorités sexuelles font face à un risque accru d’être la cible de violences physiques et sexuelles. Les femmes transgenres[1] sont particulièrement vulnérables face à ce type d’abus dans la mesure où elles sont logées avec les hommes ; aux États-Unis par exemple, elles courent treize fois plus de risques d’être victimes d’une agression sexuelle que les autres détenus.

Les détenus LGBTI sont souvent placés en ‘isolement administratif’ en réponse à des plaintes de violence physique ou sexuelle ou dans le cadre de mesures préventives. Bien que l’isolement administratif puisse sembler le seul moyen à disposition pour protéger les migrants appartenant à des minorités sexuelles contre la violence, dans de nombreux centres de détention il est impossible de distinguer cet isolement préventif de l’isolement disciplinaire qui implique une détention solitaire de 23 heures sur 24 par jour dans une cellule minuscule, avec un accès extrêmement limité à l’extérieur, à l’exercice et à d'autres personnes. C’est une pratique qui peut entrainer des séquelles graves en termes de santé mentale et qui peut exacerber des troubles de stress post-traumatique (TSPT) ou d’autres affections développées suite à des violences dans le pays d’origine ou au cours de la migration. (Dans certains cas, des détenus LBGTI peuvent décider de s’auto-isoler pour éviter la stigmatisation de la part d’autres réfugiés provenant de leurs pays d’origine). Les organes internationaux de défense des droits humains considère  que ce type de confinement solitaire relève de la torture ou des autres traitements inhumains et dégradants dans la mesure où il prive les détenus d’un  véritable accès aux services assurés par le centre de détention, ou qu’il peut être assimilé aux conditions du confinement solitaire punitif, même si en général c’est le terme  ‘d’isolation non-punitive’ qui lui est appliqué. 

Les besoins en termes de soins de santé des minorités sexuelles qui se trouvent en détention sont rarement couverts, quel que soit le traitement régulier dont elles puissent avoir besoin, thérapie rétrovirale en cas de VIH ou thérapie hormonale. Dans de nombreuses installations de détention à l’intention des migrants, seuls les soins de santé d’urgence sont fournis ; il est rare que des interprètes soient disponibles pendant les procédures médicales ;  il n’y a pas suffisamment d’espaces privés réservés aux consultations médicales ; et les frais médicaux sont à la charge des détenus. En détention, les migrants  LGBTI sont soumis à des risques non négligeables d’infection au VIH et d’exposition à d’autres infections sexuellement transmissibles (IST). Certains d’entre eux arrivent en détention déjà contaminés, souvent du fait d’un passé de prostitution ou d’exposition à la violence sexuelle. D’autres sont contaminés au cours de leur détention dans des lieux où les taux d’infection au VIH, au Sida et aux autres IST sont habituellement plus élevés que ceux de la population générale. La contamination due à la violence sexuelle en détention est une cause particulière de préoccupation pour les femmes transgenres qui sont souvent logées avec des hommes.  La détention augmente également les autres risques d’exposition à des maladies infectieuses qui exacerbent les risques de morbidité liés au VIH.

La pénurie de soins de santé disponibles se traduit également par l’accès limité que reçoivent les détenus transgenres aux traitements hormonaux ou autres, associés à leur transition de genre.  Aux États-Unis toutefois, des lignes directrices récentes prévoient que les immigrants transgenres puissent recevoir un traitement hormonal mais uniquement s’ils suivaient déjà ce traitement avant d’être détenus. Les détenus migrants transgenres ont également fait état d’examens médicaux invasifs et voyeuristes de la part de fonctionnaires qui ne sont pas familiers avec leurs besoins médicaux ou qui n’ont que peu d’expérience dans le traitement de personnes ayant des identités de genre non conformes.

Les migrants appartenant à une minorité sexuelle et qui ont subi des violences sexuelles et physiques graves dans leurs pays d’origine ont souvent des séquelles importantes en termes de santé mentale. Les conditions de détention – et notamment la perte de la liberté physique (particulièrement en cas d’isolement carcéral), les exactions des employés, la marginalisation imposée par les autres détenus, l’absence d’accès à des soins de santé appropriés, les conditions d’hygiène médiocres – qui  viennent souvent s’associer au caractère indéfini de la détention pour cause d’immigration, exacerbent les maladies mentales.

Les interrogatoires voyeuristes et offensants auxquels sont soumis les migrants LGBTI par les autorités d’immigration ont également un effet néfaste sur leur santé mentale. Dans la mesure où l’accès à un soutien psychologique dans les centres de détention pour migrants est extrêmement rare, les membres des minorités sexuelles souffrent non seulement des séquelles persistantes dues aux abus subis dans leurs pays d’origine mais souffrent également de nouveaux traumatismes du fait des expériences vécues en détention.     

Les droits des migrants en détention

Bien que leur extrême visibilité à l’intérieur des systèmes de détention fasse souvent courir des risques graves en termes d’intégrité physique aux migrants LGBTI – particulièrement aux personnes transgenres – ces mêmes personnes semblent rester invisibles dans les domaines où leurs préoccupations de protection sont les plus déterminantes : dans le cadre des politiques et des lignes directrices conçues pour protéger tous les détenus contre les préjudices et traiter les migrants équitablement et avec dignité conformément au droit international.   

Les éléments fondamentaux de la protection, telle que prévue dans le cadre du droit des droits de l’homme relatif aux détenus, incluent l’interdiction de la torture, l’interdiction de la détention arbitraire, une limitation de la durée de la détention, des clauses de non-discrimination, et le droit à la liberté. Le Comité des droits de l’homme de l’ONU et l’Assemblée générale des Nations Unies ont tous deux confirmé que ces principes du droit des droits de l’homme devaient être appliqués sans discrimination à toutes les personnes, et notamment aux migrants. D’autres normes légales spécifiques aux réfugiés promulguées par le HCR, interdisent la pénalisation des migrants pour cause d’entrée ou de présence illégale, et affirme que la détention des demandeurs d’asile ne devrait être contemplée que comme une mesure de dernier ressort. 

En octobre 2012, le HCR a publié de nouvelles lignes directrices relatives à la détention des réfugiés. Visant à orienter les gouvernements, les juristes, les décideurs et d’autres parties intéressées, ces lignes directrices donnent des indications précieuses en ce qui concerne les préoccupations particulières relatives à la détention des demandeurs d’asile LGBTI. La ligne directrice 9.7 affirme ainsi :

 

Il est possible qu’il soit nécessaire de prendre des mesures : pour éviter que la mise en détention de demandeurs d’asile lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres or intersexués n’exposent ces personnes à des risques de violence, de mauvais traitements ou d’atteintes physiques ou mentales ; pour garantir qu’elles aient accès, le cas échéant,  à des soins de santé et à un soutien psychologique appropriés ; et, pour garantir que le personnel de détention et tous les autres fonctionnaires du secteur public et privé impliqués dans les installations de détention soient adéquatement formés et qualifiés et qu’ils connaissent les normes internationales en matière de droits de l’homme et les principes d’égalité et de non-discrimination, notamment en ce qui concerne l’orientation sexuelle et l’identité de genre. Dans les cas où leur sécurité ne peut pas être garantie en détention, il conviendrait d’envisager leur libération ou leur transfert vers des solutions alternatives à la détention. À cet égard, l’isolement cellulaire ne saurait être un moyen approprié pour gérer ou garantir la protection de ces individus.[2]

 

Bien qu’extrêmement bienvenues, les nouvelles Lignes directrices du HCR si elles restent isolées, ne sont pas suffisantes pour résoudre les problèmes graves qui caractérisent la détention des migrants appartenant à des minorités sexuelles. En dernier recours, les États doivent pouvoir fournir des alternatives à la détention de toutes les minorités sexuelles auto-identifiées par la mise en place de mesures non-privatives de liberté et de procédures pénales alternatives.[3] De plus, les employés et les responsables des installations de détention doivent être sensibilisés et formés aux besoins en termes de protection des migrants LGBTI. Un accès à des soins médicaux et sociaux appropriés et des contacts avec le monde extérieur – notamment avec des conseillers juridiques, des médecins et des systèmes extérieurs de soutien aux LGBTI – doivent être garantis. Veiller à la sécurité des détenus LGBTI et mettre un terme à la discrimination et aux abus, tant de la part des autres détenus que des personnels de détention, doivent être les priorités majeures.

 

Shana Tabak shanatabak@gmail.com est une Praticienne en résidence à la Clinique internationale de défense des droits humains de l’Université américaine.  Rachel Levitan rslevitan@gmail.com est Avocat conseil principal (réfugiés et migration) à l’HIAS  www.hias.org



[1] Personne à qui le sexe masculin a été attribué à la naissance mais dont l’identité de genre ressentie est féminine.

[2] Detention Guidelines: Guidelines on the Applicable Criteria and Standards relating to the Detention of Asylum-Seekers and Alternatives to Detention, 2012 [Lignes directrices en matière de détention : lignes directrices sur les critères et les normes applicables relatives à la détention des demandeurs d’asile et alternatives à la détention – document non disponible en français] www.unhcr.org/refworld/docid/503489533b8.html

[3] Le numéro 44 de RMF (à paraître en septembre 2013) inclura un thème majeur sur la détention, et notamment sur les alternatives à la détention www.fmreview.org/fr/detention

 

 

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