Assurer la protection des personnes LGBTI relevant de la compétence de l’UNHCR

Les personnes LGBTI réfugiées et demandeuses d’asile (lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres et intersexes) font face à une multitude de menaces, de risques et de vulnérabilités à toutes les étapes du cycle de déplacement. Il est primordial de mieux sensibiliser le personnel de l’ONU, les partenaires, les autorités nationales et les responsables, aux problèmes de protection propres aux personnes LGBTI, mais aussi à la jurisprudence et aux directives qui sont à leur disposition.

La dignité humaine, la richesse et la diversité de la vie humaine et l’exercice intégral des libertés individuelles se trouvent au cœur de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés. Le but même de cette convention est de protéger les personnes qui parviennent à fuir les situations qui portent atteinte à leur dignité, à leur identité et à leurs libertés. Bien que la Convention ne reconnaisse pas explicitement la persécution au motif de l’orientation sexuelle ou de l’identité de genre, le langage utilisé par ses auteurs est suffisamment ample pour couvrir de telles situations, notamment lorsqu’il fait référence au motif «d’appartenance à un groupe social particulier».

Je ne doute nullement que les rédacteurs de la Déclaration universelle des droits de l’Homme et de la Convention de 1951 étaient conscients du traitement infligé aux personnes LGBTI sous l’Allemagne nazie. La suspicion d’homosexualité était un motif suffisant pour y être arrêté tandis que de nombreuses personnes homosexuelles étaient incarcérées puis en envoyées en camp de concentration. Nous ne saurons jamais combien de personnes LGBTI ont fui l’Allemagne nazie pour éviter la déportation. Comme l’homosexualité était à l’époque (et le demeure dans de nombreuses sociétés) un motif de stigmatisation sociale tout autant qu’un délit, ces personnes ont certainement dû dissimuler la raison de leur fuite même dans leur nouveau pays d’accueil. Hélas, cette situation reste inchangée pour les réfugiés et demandeurs d’asile LGBTI dans de nombreuses régions du monde. 

Ces dernières années, la communauté humanitaire et des droits de l’homme a manifesté un intérêt croissant pour les droits des personnes LGBTI, et un corpus de recherches sur ce sujet commence aujourd’hui à se constituer. En particulier, les Principes de Yogyakarta, approuvés en 2007, ont fortement contribué à mieux comprendre comment les normes relatives aux droits humains sont applicables et doivent être interprétées dans le contexte de l’orientation sexuelle et de l’identité de genre.[1] Il est peut être encore trop tôt pour évaluer dans quelle mesure ces Principes ont permis d’améliorer concrètement la vie des personnes LGBTI. Il est toutefois encourageant de constater que l’ONU (dont l’UNHCR), les États, les militants et les cours du droit d’asile se sont référés à de nombreuses occasions à ces Principes, qui semblent pouvoir jouer un rôle constructif en tant qu’outil juridique, pratique et de plaidoyer.

Pendant près de vingt ans, l’ONU a documenté les violations à l’encontre des personnes LGBTI, ce qui a abouti à la définition de normes relatives aux droits humains adaptées au contexte de l’orientation sexuelle et de l’identité de genre. Plus récemment, les plus hauts échelons de l’ONU ont appelé à l’égalité des droits, à la non-discrimination, à la fin des attitudes violentes et à l’abrogation des lois qui criminalisent les relations homosexuelles. De plus, en mai 2012, le Haut-Commissaire de l’ONU pour les réfugiés a diffusé un message à l’ensemble du personnel de l’UNHCR pour l’exhorter à agir en vue de garantir une meilleure protection aux personnes LGBTI relevant de sa compétence et d’éradiquer l’homophobie et la transphobie sur le lieu de travail.

Problématiques de la jurisprudence

Depuis la reconnaissance des premières demandes de statut de réfugié basées sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre dans les années 1980, la jurisprudence relative à cet aspect du droit des réfugiés a continué d’évoluer, avec parfois certaines divergences d’une juridiction à une autre. Nous avons identifié un certain nombre de problématiques à cet égard.

La première concerne l’exigence de «discrétion», c’est-à-dire dissimuler son orientation sexuelle afin d’éviter toute éventuelle persécution. En 2010, la Cour suprême du Royaume-Uni a rejeté l’idée selon laquelle les personnes homosexuelles devraient accepter de faire preuve de «discrétion» relativement à leur orientation sexuelle,[2]  une décision qui a connu un fort retentissement hors d’Europe. Ce concept de discrétion va potentiellement à l’encontre de l’un des principes fondamentaux du droit des réfugiés qui stipule que personne ne devrait être forcé de dissimuler, de changer ou de renier son identité afin d’éviter les persécutions. Néanmoins, plusieurs pays continuent de recourir à ce principe, notamment en Europe.[3]

La deuxième concerne la «criminalisation» et la difficulté de déterminer si les lois criminalisant les relations homosexuelles peuvent être considérées comme un type de persécution. Dans certaines juridictions, la simple existence de telles lois ne suffit pas à reconnaître le statut de réfugié; il faut aussi que ces lois aient été appliquées régulièrement ou récemment. De surcroît, dans certains pays, les demandeurs doivent prouver que des mesures ont été prises pour appliquer ces lois relativement à leur situation personnelle. Selon nous, mis à part la perspective juridique relative à l’application des lois, une telle interprétation ne tient pas suffisamment compte du degré de discrimination sociétale dans les pays où les relations homosexuelles sont criminalisées, ni de l’impact de cette discrimination sur les personnes LGBTI qui vivent dans la crainte, lorsqu’elles ne sont pas véritablement en danger.

La troisième concerne la «sexualisation», c’est-à-dire l’importance excessive que les autorités décisionnaires accordent parfois aux actes sexuels, plutôt qu’à l’orientation sexuelle. Cette approche se traduit parfois par un interrogatoire indiscret et humiliant pour connaître la vie sexuelle d’une personne (un processus inacceptable quelle que soit la sexualité de la personne concernée). De surcroît, elle ignore le fait que les personnes LGBTI sont fréquemment persécutées en raison de la menace qu’elles sont censées représenter pour la morale sociale et la culture dominante.

La quatrième concerne la «stéréotypisation» découlant du fait que l’orientation sexuelle et l’identité sexuelle ne sont pas toujours aussi visibles que la race ou la nationalité, par exemple. Les autorités décisionnaires ont donc cherché à obtenir des preuves confirmant le statut LGBTI du demandeur ou de la demandeuse. Sous l’effet du manque de directives ou de connaissances, les responsables s’en sont remis à leurs propres suppositions ou stéréotypes pour tirer des conclusions. Cette attitude risque de nuire à l’impartialité du processus décisionnaire.

Enfin, la cinquième concerne la «mise en doute» qui accompagne d’ailleurs souvent la stéréotypisation. L’auto-identification des personnes en tant que LGBTI n’est pas suffisante pour tous les tribunaux. Certains demandent des témoignages de tiers ou des documents tels que des e-mails, en ignorant le fait que les demandeurs se trouvent parfois dans l’impossibilité de fournir de telles preuves, en particulier lorsqu’ils ont fait tout leur possible pour dissimuler leur orientation sexuelle.

Développer les directives

L’UNHCR a élaboré une politique et des directives pratiques à l’attention de son personnel, des partenaires, des autorités nationales et des décisionnaires afin de promouvoir une approche de la protection des personnes LGBTI qui soit cohérente et axée sur les droits.

En 2008, l’UNHCR a publié une Note d’orientation sur les demandes de reconnaissance du statut de réfugié relatives à l’orientation sexuelle et à l’identité de genre[4] pour sensibiliser les personnes décisionnaires aux expériences particulières des demandeurs et demandeuses d’asile LGBTI et encourager une analyse plus approfondie des questions juridiques en jeu. En octobre 2012, cette Note d’orientation a été remplacée par un nouvel ensemble de directives concernant la protection internationale qui, pour la première fois, abordaient de manière exhaustive les demandes de statut de réfugié basées sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre. Ces nouvelles directives[5] donnent des conseils sur diverses questions de fond liées à ce type de demande, y compris en matière de procédures, de preuves à apporter ou de crédibilité. Elles sont destinées à guider les administrations publiques, les praticiens du droit, les responsables et les membres du corps judiciaire, mais aussi le personnel de l’UNHCR, à statuer sur ces demandes émises en vertu de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés. En outre, elles veillent à ce que tous les pays interprètent identiquement la définition de réfugié telle qu’énoncée dans la Convention de 1951. Elles reconnaissent également que les personnes fuyant les persécutions en raison de leur  orientation sexuelle ou de leur identité de genre peuvent prétendre au statut de réfugié en vertu de l’article 1A(2) de la Convention de 1951.

En 2011, l’UNHCR a publié une deuxième note d’orientation, «Travailler avec les lesbiennes, gays, personnes bisexuelles, transgenres et intersexuées dans les situations de déplacement forcé»,[6] en vue d’aider le personnel de l’UNHCR et de ses partenaires à mieux comprendre les droits et les vulnérabilités particulières des réfugiés LGBTI et de promouvoir des actions concrètes pour assurer leur protection à toutes les étapes du déplacement. Elle donne des conseils sur la manière de rendre les lieux de travail plus accueillants, d’élaborer des programmes sûrs et inclusifs pour les personnes LGBTI et de promouvoir leur participation. De surcroît, la Stratégie d’intégration des critères d’âge, de genre et de diversité[7] de l’UNHCR fait explicitement référence aux réfugiés et demandeurs d’asile LGBTI.

Toutefois, la portée des politiques et des directives sera limitée si les préjudices et l’ignorance continuent de prévaloir chez les personnes responsables d’appliquer les directives. Pour pallier le manque de compréhension parmi son personnel et celui des partenaires,[8] l’UNHCR travaille avec l’ORAM à l’élaboration d’un cours de formation qui couvrira la terminologie, les réponses aux problèmes de protection les plus courants, la détermination du statut de réfugié et les techniques d’entretien sensibles aux problématiques LGBTI. C’est le plus souvent au cours des phases de détermination du statut et de traitement des demandes de réinstallation que les personnes s’identifieront en tant LGBTI mais aussi que les décisions les plus vitales seront prises concernant leur avenir.

Le Manuel de réinstallation de l’UNHCR, publié en 2011, donne des directives sur la réinstallation des personnes LGBTI, qui constitue souvent la seule solution viable dans le contexte du premier pays d’asile. L’UNHCR traite la réinstallation des réfugiés LGBTI en fonction de leur degré de vulnérabilité, une approche qui s’est parfois traduite par une réinstallation d’urgence. Bien que l’Outil d’identification des situations de risque accru (OISRA) explique comment détecter les risques encourus par les personnes LGBTI en matière de protection, de plus amples efforts sont nécessaires dans ce domaine, notamment l’amélioration des mécanismes d’orientation. L’UNHCR travaille actuellement sur un outil d’évaluation de la réinstallation des réfugiés LGBTI, qui comprendra une liste de contrôle et un guide détaillé pour évaluer les besoins de réinstallation de ce groupe particulier de réfugiés. Nous sommes toutefois conscients que les États mettent du temps à traiter les demandes de réinstallation, et que cette lenteur est nuisible au bien-être des personnes LGBTI qui se trouvent souvent dans des situations difficiles ou dangereuses.

Conclusion

L’homophobie est un concept construit de toute pièce par les êtres humains, alimenté par des justifications politiques, religieuses, juridiques et même pseudo-médicales. Nous savons que les êtres humains ne perdent pas toujours leur temps pour juger, craindre ou même «haïr» l’autre, c’est-à-dire les personnes qui sont différentes. De plus, la non-conformité à certaines «normes» majoritaires implique en soi un changement social et peut parfois être perçue comme une menace. Dans ce contexte, les personnes LGBTI risquent d’incarner ces menaces. En outre, nous avons déjà observé par le passé de semblables résistances et un sectarisme identique envers des personnes préconisant une évolution sociétale. La colère et la haine actuelles à l’encontre des personnes LGBTI et des défenseurs de leurs droits est comparable au dénigrement et aux mauvais traitements que les femmes ont subi au début du XXe siècle lorsqu’elles revendiquaient le droit de vote ou que les Noirs-Américains et les autres membres du mouvement des droits civiques ont connu aux États-Unis il y a une cinquantaine d’années.

Heureusement, la recherche montre que les préjugés ne sont pas inébranlables. Nous devons changer la manière dont la société traite les personnes LGBTI en abordant cette question sous l’angle de la diversité et de l’égalité et en promouvant le respect des personnes qui ne s’identifient pas aux normes dominantes. Mais tant que les personnes LGBTI continueront d’être exclues, maltraitées ou criminalisées au sein de leur communauté ou de la société, elles auront besoin de pouvoir accéder à la protection, et à la dignité, garanties par le statut de réfugié.

 

Volker Türk turk@unhcr.org est directeur de la Protection internationale au siège de l’UNHCR à Genève www.unhcr.org



[2] Voir Affaire HJ et HT contre le Secrétaire d’État du Département de l’Intérieur, [2010] UKSC 31, Cour suprême du Royaume-Uni, 7 juillet 2010 www.unhcr.org/refworld/docid/4c3456752.html.  

[3] Le rapport de 2011 du projet «Fleeing Homophobia» sur les demandes d’asile liées à l’orientation sexuelle et l’identité sexuelle en Europe a établi que le principe de discrétion était toujours invoqué dans les pays suivants: Allemagne, Autriche, Belgique, Bulgarie, Chypre, Danemark, Espagne, Finlande, France, Hongrie, Irlande, Italie, Malte, Norvège, Pays-Bas, Pologne, Roumanie et Suisse. Vrije Universiteit Amsterdam   www.unhcr.org/refworld/docid/4ebba7852.html

[5] Directive  no9 sur la protection internationale: Demandes de reconnaissance du statut de réfugié relatives à l’orientation sexuelle et/ou à l’identité de genre dans le cadre de l’article 1A(2) de la Convention de 1951 et/ou de son Protocole de 1967 relatif au statut des réfugiés.www.unhcr.org/509136ca9.html

[6]  Note d’orientation 2 de l’UNHCR (avec la contribution d’ORAM) «Travailler avec les lesbiennes, gays, personnes bisexuelles, transgenres et intersexuées dans les situations de déplacement forcé», 2011 www.unhcr.org/refworld/docid/4e6073972.html .

[8] Enquête mondiale de l’ORAM sur les attitudes des ONG envers les réfugiés et demandeurs d’asile LGBTI («Opening Doors: A Global Survey of NGO Attitudes Towards LGBTI Refugees & Asylum Seekers»), juin 2012 www.oraminternational.org/images/stories/Publications/oram-opening-doors.pdf

 

 

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