Le Conseil de sécurité de l’ONU et la prévention du déplacement

Le respect de l’interdiction des déplacements forcés et arbitraires pourrait prévenir, ou réduire de manière significative, les risques de déplacement en situations de conflit armé, comme le pourrait également le fait d’insister  pour demander que des comptes soient rendus pour les violations à cette interdiction, assimilables à des crimes de guerre ou à des crimes contre l’humanité. Il s’agit là de questions que le Conseil de sécurité de l’ONU n’a traitées que partiellement.

Au cours de la période de 12 ans qui va de 1999 (lorsque le Conseil de sécurité de  l’ONU s’est pour la première fois penché sur la question de la protection des civils) à 2010, le Conseil de sécurité a adopté 747 résolutions, sur lesquelles au moins 142 faisaient référence au déplacement, et pratiquement une sur cinq mentionnait le déplacement interne. Mais on observait  des incohérences majeures dans la manière dont le déplacement était considéré dans différentes  situations nationales spécifiques. Par exemple, alors que la moitié de toutes les résolutions sur le Soudan faisaient référence au déplacement interne, moins de 3 % des résolutions sur le Libéria mentionnaient le déplacement même si l’on estime que pratiquement la totalité des 2,8 millions de personnes qui constituent la population du Liberia ont fui leur foyer au moins une fois au cours des 14 années de conflit qu’a connu le pays. Quelque 90 % des 22 résolutions du Conseil de sécurité sur la Géorgie mentionnent le déplacement, alors que c’est uniquement le cas d’une seule des 32 résolutions du Conseil de sécurité sur la Somalie.

Des incohérences similaires ont été trouvées dans la manière dont le Conseil de sécurité s’est occupé des solutions au déplacement interne. Plus de 100 sur les 142 résolutions dans lesquelles le déplacement est mentionné, se réfèrent implicitement d’une manière ou d’une autre à des solutions durables. Mais parmi les trois solutions qui s’offrent aux PDI – retour, intégration locale ou réinstallation ailleurs – c’est le retour qui a suscité, et de loin, le plus d’intérêt, et  seulement deux résolutions mentionnent l’intégration locale et six font référence à la réinstallation.

Étant donnée la préoccupation du Conseil de sécurité en matière de paix et de sécurité, on pourrait raisonnablement s’attendre à ce qu’il consacre davantage d’attention à la prévention du déplacement qu’à des questions opérationnelles touchant à l’assistance humanitaire, et effectivement la prévention du déplacement est un élément-clé de la protection des civils qui a constitué une priorité louable de l’action du Conseil de sécurité au cours des douze dernières années.

Et pourtant, seules 7 parmi 142 résolutions du Conseil de sécurité se référant au déplacement mentionnent l’interdiction des déplacements forcés – alors que par contraste 40 d’entre elles mentionnent l’assistance et l’accès humanitaires.  Dans la mesure où le déplacement forcé s’est trouvé au centre de nombreux conflits, le fait que celui-ci ne soit mentionné que dans quatre des résolutions nationales spécifiques du Conseil de sécurité, est pour le moins frappant.

Parmi les résolutions dans lesquelles le Conseil de sécurité a traité de la prévention du déplacement, il convient de mentionner les suivantes qui pourraient servir d’orientation pour d’autres résolutions futures:

  • S/RES/1674 (2006) [Protection des civils dans les conflits armés] (paragr. 5): Condamne de nouveau également avec la plus grande fermeté tous actes de violence et sévices commis sur la personne de civils en période de conflit armé en violation des obligations internationales applicables, en particulier en ce qui concerne … vi) les déplacements et  exige de toutes les parties qu’elles mettent fin à ces pratiques…

 

  • S/RES/1674 (2006) [Protection des civils dans les conflits armés] (paragr.12): Rappelle que le droit international humanitaire interdit les déplacements forcés de civils en période de conflit armé en violation des obligations en la matière…
     

Il est tout à fait significatif que la résolution S/RES/1807 (2008) [La situation concernant la République démocratique du Congo] parle de l’application de sanctions ciblées à l’encontre de toute personne impliquée dans des déplacements forcés :

  • … ces dispositions … seront applicables …[aux] personnes opérant en République démocratique du Congo et commettant des violations graves du droit international impliquant des actes de violence dirigés contre des enfants ou  des femmes dans des situations de conflit armé, y compris des meurtres et des  mutilations, des violences sexuelles, des enlèvements et des déplacements forcés;

 

De plus en 2012, le Secrétaire général des Nations Unies dans son rapport au Conseil de sécurité sur la protection des civils, lui a fait un certain nombre de recommandations touchant à la prévention des déplacements, et a insisté notamment sur la possibilité de référer certaines situations à la Cour pénale internationale.

 

Le Conseil de sécurité pourrait à la fois être plus énergique et plus cohérent dans la manière dont il traite la question de la prévention des déplacements, et à l’avenir, il devrait, soit au cas par cas ou dans le cas échéant, envisager de mettre  les points suivants en exergue dans ses résolutions :

 

  • Réaffirmer l’interdiction des déplacements forcés et arbitraires.

 

  • Condamner toute  violation de l’interdiction des déplacements forcés et arbitraires.

 

  • Demander aux parties à un conflit armé de respecter strictement :

 

  • L’interdiction des déplacements forcés et arbitraires en vertu du droit international.

 

  • Le droit à la liberté de mouvement et à la liberté de résidence des PDI.[1]

 

  • Demander aux parties à un conflit armé de prendre toutes les mesures nécessaires pour respecter et faire respecter l’interdiction des déplacements forcés et arbitraires en imposant des règles appropriées de discipline militaire, en observant le principe de la responsabilité hiérarchique et en s’assurant, par le biais de la formation, que les troupes connaissent le droit international humanitaire et le droit des droits de l’homme applicables ainsi que, le cas échéant, les Principes directeurs relatifs au déplacement de personnes à l’intérieur de leur propre pays et la Convention de Kampala (lorsqu’applicable)[2].

 

  • Demander à la mission de maintien de la paix et aux autres missions de L’ONU de prévoir à l’intention des forces armées une formation pertinente en matière de droit international touchant aux déplacements forcés et arbitraires et aux dispositions des  Principes directeurs relatifs au déplacement de personnes à l’intérieur de leur propre pays, et à celles de la Convention de Kampala (lorsqu’applicable).

 

  • Demander aux États de prendre toutes mesures légales et d’établir des mécanismes visant à exiger que des comptes soient rendus, et à poursuivre ceux qui se seraient rendus responsables de déplacements forcés et arbitraires en violation du droit international applicable. 

 

  • D’imposer des sanctions à toute personne qui contreviendrait à l’interdiction de procéder à des déplacements forcés et arbitraires.

 

  • De solliciter que les rapports du Secrétaire général sur les conditions dans un pays spécifique incluent des informations relatives aux violations de l’interdiction des déplacements forcés et arbitraires.   

 

Bien qu’il soit possible de trouver louable (bien qu’inégale) la reconnaissance par le Conseil de sécurité au cours des 12 dernières années de l’importance des déplacements internes, l’attention limitée qu’il a accordé à la prévention de ces mêmes déplacements n’en représente pas moins une occasion manquée.  Comme il le reconnait lui-même, les souffrances à grande échelle causées par les déplacements ont des implications à la fois pour la stabilité future et les conflits à venir.  Le Conseil de sécurité devrait constamment se charger de rappeler aux États qu’ils ont l’obligation de prendre toutes les mesures nécessaires pour prévenir les déplacements, répondre aux besoins immédiats des personnes déjà déplacées et trouver des solutions à leur situation. Une action mieux concertée et plus opportune du Conseil de sécurité dans ce domaine serait non seulement bienvenue mais devrait être considérée comme une impératif moral.

 

Sanjula Weerasinghe ssw33@georgetown.edu est Chargée de recherche à l’Institute for the Study of International Migration de la Georgetown University’s School of Foreign Service. Elizabeth Ferris eferris@brookings.edu est Chargée de cours et co-directrice du Projet Brookings-LSE sur le déplacement interne.

Cet article s’appuie sur une étude menée par le Projet Brookings-LSE sur le déplacement interne publiée en 2011.[3] Cette étude a analysé tout particulièrement les résolutions du Conseil de sécurité sous l’angle de la prévention du déplacement, la protection pendant les déplacements, l’accès et l’assistance humanitaires et les solutions durables au déplacement.



[1] Principe 6 des Principes directeurs relatifs au déplacement de personnes à l’intérieur de leur propre pays.

[3] Sanjula Weerasinghe et Elizabeth Ferris, Security Council, Internal Displacement and Protection: Recommendations for Strengthening Action through Resolutions, (Conseil de sécurité, déplacement interne et sécurité: Recommandations pour renforcer l’action à travers les résolutions) www.brookings.edu/research/reports/2011/09/security-council-resolutions-ferris

 

 

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