Plus de 40 % de la population actuelle de Jordanie est originaire d’un pays étranger ; le pays compte deux millions de palestiniens, jusqu’à 1,3 million de Syriens et 29 000 Irakiens. Afin de protéger son identité nationale dans de telles circonstances, et en raison de la situation généralement complexe qui règne dans la région, le pays n’est pas signataire de la Convention de 1951 relatives aux réfugiés.
En Jordanie, la législation relative aux réfugiés est définie par un mémorandum d’accord avec l’UNHCR datant de 1998 et amendé en avril 2014. Ce mémorandum intègre la définition de « réfugié » donnée par la Convention et accepte les principes de non refoulement et de réinstallation dans un pays tiers pour les réfugiés. Toutefois, il ne prévoit pas l’intégration locale comme une solution. L’article 21 de la constitution accorde le statut de réfugié pour l’asile politique mais seulement dans des situations très exceptionnelles ; cette option est donc hors de portée de la plupart des réfugiés. Une loi nationale relative aux réfugiés est en cours de rédaction et fait actuellement l’objet de discussions en Jordanie, bien que, pour des raisons politiques et de sécurité, il soit possible qu’elle se trouve repoussée jusqu’après la fin de la crise syrienne.
Toute personne traversant la frontière de la Syrie à la Jordanie est considérée comme un réfugié, sauf si elle semble poser une menace pour la sécurité ou qu’elle a traversé la frontière de manière illégale. Le long des 378 kilomètres de frontière qui sépare les deux pays, il existe 25 points de passage reconnus tandis que 23 autres sont ouverts en fonction des circonstances. Des sites temporaires de rassemblement ou de collection ont été établis à ces points de passage, où les personnes sont catégorisées et traitées dans leur ordre de priorité : d’abord les personnes blessées et malades, ensuite les enfants, notamment les mineurs non accompagnés ou séparés, puis les personnes âgées et enfin la population adulte générale. 41 % des réfugiés qui arrivent sont des enfants, 30 % sont des femmes et 29 % des hommes. La Jordanie compte actuellement cinq camps tandis qu’un autre est prévu ; toutefois, la grande majorité des demandeurs d’asile et des réfugiés syriens fuyant le conflit sont établis hors des camps, si bien que c’est sur les communautés locales et d’accueil que repose le fardeau de leur prise en charge.
Fardeau financier
Pour la Jordanie, la difficulté est de trouver le bon équilibre entre les droits humains et la sécurité nationale dans les domaines économique, politique et social. Selon le Conseil économique et social de Jordanie, le coût de chaque réfugié syrien pour le pays dépasse les 3500 dollars US par an[1] tandis que le coût direct s’élève actuellement à 1,2 milliard de dollars et devrait atteindre les 4,2 milliards de dollars d’ici 2016[2]. En outre, alors qu’il affronte une sévère crise hydrique et qu’il manque de fonds pour répondre aux besoins de recrutement dans ses forces armées, le pays a formulé un plan national de résilience dans l’objectif de protéger les infrastructures jordaniennes.
La Jordanie a décidé qu’aucun Syrien arrivant sur son territoire ne serait renvoyé dans son pays d’origine. Toutefois, certains Syriens y sont tout de même retournés, parfois pour y faire du commerce ou encore pour y combattre, et certains affirment préférer mourir en Syrie plutôt que de vivre dans un camp. Le coût élevé de la vie est l’un des facteurs décisifs, de même que la neige pendant l’hiver qui a poussé un grand nombre d’entre eux à repartir. D’autres ressortissants syriens décident de retourner chez eux car ils ont foi en leur gouvernement lorsqu’il affirme contrôler 70 % du pays. En cas de retour volontaire, les personnes concernées doivent signer une lettre en présence de l’UNHCR confirmant qu’ils consentent à retourner dans leur pays. Les retours sont organisés aussi bien au travers des frontières officielles que des frontières non officielles. La Jordanie soutient la réinstallation mais les autorités refusent d’en parler dans les médias car elles craignent d’encourager les Syriens à venir en Jordanie pour se servir du pays comme une voie d’accès à des pays tiers. De plus, le nombre limité de places rend la réinstallation peu adéquate en tant que solution. La meilleure solution reste la stabilisation de la Syrie.
Le ministère de l’Intérieur demande également à la communauté internationale de ne pas oublier la Jordanie. Le pays exerce un contrôle important sur la région et joue un rôle prépondérant pour y préserver la sécurité. Il aide à contenir les conséquences du conflit et, par extension, à protéger les intérêts économiques de nombreux pays occidentaux.
Bien que la Jordanie ne soit pas partie de la Convention de 1951, l’histoire des réfugiés et des migrants dans le pays ainsi que les pratiques et l’expérience du pays démontre son respect pour la dignité humaine et les valeurs humanitaires au moins autant, sinon plus, que de nombreux pays signataires de la Convention. Concernant la protection des droits des migrants et des réfugiés, le principal obstacle n’est pas l’absence de législation mais la capacité des États à respecter les conventions, les accords et les déclarations auxquels ils ont pourtant librement souscrit.
Docteur Saleh al-Kilani Saleh.al.kilani@MOI.gov.jo est coordinateur des affaires relatives aux réfugiés pour le ministère de l’intérieur de Jordanie. www.moi.gov.jo
[1] http://tinyurl.com/Jordan-EcoSocCouncil (en arabe uniquement)
[2] www.mop.gov.jo/index.php (en anglais) ou www.mop.gov.jo/arabic/ (en arabe)