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Nouveaux modèles d’alternatives à la détention aux États-Unis

Le système de contrôle de l’immigration des États-Unis (United States’ immigration enforcement system) considère la dissuasion comme le moyen le plus durable d’exercer un contrôle sur les populations de migrants, indépendamment des facteurs d’attraction/répulsion. Dans ce cadre de fonctionnement, les migrants forcés encourent des poursuites pénales au niveau fédéral, des peines de prison et risquent d’être expulsés s’ils se trouvent sur le territoire des États-Unis sans autorisation. Alors que l’objectif unique de la détention à des fins d’immigration est de garantir le respect des procédures et des décisions judiciaires relatives à l’immigration, son utilisation excessive démontre à quel point la logique de la dissuasion a envahi le système en recourant aux mécanismes de contrôle les plus restrictifs et les plus apparemment punitifs. Alors même que la dissuasion n’a que très peu de valeur lorsqu’il s’agit de migrants forcés qui fuient leur pays d’origine pour survivre ou qui tentent désespérément de rejoindre leur famille, le gouvernement des États-Unis ne semble pas établir de distinction entre les migrants forcés et les autres migrants dans ses décisions de détention.  

Détention d’enfants

Depuis 2002, aux États-Unis c’est le Bureau de réinstallation des réfugiés (US Office of Refugee Resettlement – ORR) qui a pour responsabilité de prendre en charge et de placer les enfants non accompagnés arrêtés par les agences de contrôle de la migration. Auparavant, ces enfants étaient détenus dans des centres de détention pour adultes et n’étaient pas traités conformément aux normes relatives aux enfants. Dorénavant, ils sont placés dans des centres de détention pour immigrés spécifiques aux enfants où ils sont triés en fonction du risque de fuite et du danger qu’ils représentent pour la communauté s’ils étaient libérés, ainsi qu’en fonction de leur besoin de protection. Ce sont ces opérations de tri qui orientent les décisions de l’ORR de maintenir un enfant en détention ou de le diriger vers une alternative au sein de la communauté – ce qui est le cas de la majorité des enfants – ou de le placer dans une famille d’accueil ou encore de le confier aux soins d’un garant, habituellement un membre de sa famille. Il est estimé que 70 % des enfants sont relâchés et confiés à un membre de leur famille ou un autre garant, comme un ami de la famille, et qu’environ 20 % d’entre eux sont placés dans le cadre d’un système de prise en charge géré par un réseau d’ONG.

Même si le traitement des enfants pris en charge par l’ORR a fait d’énormes progrès en reconnaissant la valeur des alternatives à la détention au sein de la communauté, les modèles qui en émergent ne semblent pas prendre en considération le besoin de renforcer les capacités des services communautaires. Le programme de ‘services post-détention’, financé par l’ORR et mis en œuvre par les ONG a pour objectif de faciliter l’accès des mineurs et de ceux qui en ont la charge aux services juridiques, médicaux, de santé mentale, d’éducation et autres services sociaux. Malheureusement, seulement 20 % des enfants libérés et confiés à un membre de leur famille ou à un autre garant sont assignés à un travailleur social en vue de faciliter leur accès à ce système complet de services. En outre, on constate également un manque de services de soutien psychologique et juridique à bas coûts. De nombreux enfants éprouvent des difficultés à s’adapter à leur nouveau style de vie américain et à leur situation familiale ; les coûts à long terme qui peuvent en résulter – problèmes d’addiction, vie dans la rue et criminalité – risquent en toute probabilité de dépasser ce que les communautés auraient eu à débourser au départ pour mettre à disposition un système complet de services et des alternatives à la détention capables de promouvoir la protection, préserver l’unité familiale et améliorer le respect des règles et l’intégration.

Parce que les financements sont insuffisants, les nouvelles politiques mises en place depuis avril 2013 permettent de libérer les enfants à un parent ou un tuteur légal sans nécessité de contrôle des empreintes digitales du garant ou sans vérifier si ce garant dispose bien d’un revenu stable, d’un domicile ou de la capacité et de la volonté de s’occuper d’un enfant. Cette impulsion pour accélérer la libération des enfants a également pour conséquence d’accentuer la pression sur les employés des services de détention et les gestionnaires de cas, réduisant leur temps disponible pour formuler des recommandations déterminantes concernant les soins à apporter à chaque enfant. 

Détention des adultes

L’agence de surveillance de l’immigration et des douanes (Immigration and Customs Enforcement – ICE) chargée de gérer la détention des adultes, a signalé pour 2011 un chiffre jamais égalé auparavant de 429 000 personnes détenues à des fins d’immigration, ce qui représente un coût de près de 166$ par personne et par jour. Le gouvernement assure au quotidien un total de 34 000 lits en détention pour adultes. Ce recours excessif à la détention a alimenté une industrie pénitentiaire privée à but lucratif qui exerce maintenant des pressions sur le législateur pour obtenir une application des plus strictes de la loi sur l’immigration dans le seul but de remplir un plus grand nombre de lits en détention.

Une évaluation individuelle est cruciale pour déterminer qui a besoin d’être détenu, qui bénéficierait d’un placement dans le cadre d’une alternative à la détention, et quel type d’assistance serait nécessaire à chacun au cours de sa détention ou pour l’aider à respecter les conditions de sa libération. Historiquement, la politique d’évaluation des cas des États-Unis s’est avérée un échec, mais début 2013 le gouvernement a lancé un nouvel instrument d’évaluation permettant la classification des risques à l’échelle nationale ce qui, pour la première fois, exigera de l’ICE de mener des évaluations individuelles en fonction d’un certain nombre de facteurs, y compris les antécédents de traumatisme. Toutefois, l’évaluation de la classification est conçue de manière à recommander soit la détention, soit la libération, mais ne permet pas de déterminer le type et le niveau de services que l’adulte concerné nécessitera pour pouvoir s’orienter à travers les tribunaux, s’acquitter des conditions attachées à sa libération (particulièrement en ce qui concerne les obligations de présentation) et s’intégrer à la communauté. Cette absence d’information continuera de constituer un obstacle pour les migrants forcés qui n’ont pas suffisamment de contacts avec l’ensemble des services dont ils auront besoin à leur libération. De la même manière que pour les enfants, les alternatives à la détention prévues pour les adultes ne prévoient pas de moyens pour renforcer les services nécessaires au sein de la communauté.

Alternatives au sein de la communauté

Aux États-Unis, depuis les années 1990, les ONG nationales ont défendu les alternatives à la détention au sein de la communauté et elles les ont également testées. Le plus récent d’entre ces programmes est un modèle coordonné par l’organisation Lutheran Immigration and Refugee Service (LIRS) que plus de 20 ONG locales ont mis en œuvre dans sept communautés à travers le pays. Son objectif est de mettre en place des infrastructures permettant des interventions communautaires disponibles, accessibles, acceptables et de qualité, dans le but de soutenir le respect des conditions attachées à la libération (ex : présentations aux audiences de renvoi), et ce d’une manière qui soit plus rentable et plus respectueuse des droits humains que la détention, tout en favorisant l’intégration et en améliorant la santé et le bien-être des clients.  

Ce modèle a rencontré des difficultés dans trois domaines principaux : appel à la générosité publique et sensibilisation de la communauté pour obtenir des fonds et des bénévoles pour soutenir la prestation de services ; recueil des données pour évaluer l’impact de l’approche au sein de la communauté et servir de base aux recommandations ; et, mise en lien des clients avec des services juridiques, médicaux, de soins de santé mentale, de visite à domicile, de logement, d’éducation et d’emploi qui restent insuffisants. Ce sont des difficultés qui pourraient être surmontées grâce à une augmentation du financement, particulièrement de la part du gouvernement des États-Unis qui jusqu’à présent n’offre aucun financement aux alternatives issues de la société civile. Toutefois, la volonté politique qui pourrait servir à détourner des ressources de la détention est court-circuitée par la volonté de dissuader une poursuite de la migration – un obstacle déterminant qui entrave l’expansion d’alternatives plus humaines et plus effectives à la détention au sein de la communauté.  

 

Megan Bremer MBremer@lirs.org est Directrice intérimaire d’Access to Justice, Kimberly Haynes KHaynes@lirs.org est Directrice de Children’s Services, Nicholas Kang Nick_Kang@hks15.harvard.edu était titulaire d’une bourse de programme (il est maintenant à la Harvard Kennedy School), Michael D Lynch MLynch@lirs.org est Spécialiste de l’enfant et Kerri Socha KSocha@lirs.org est Coordinatrice des services de placement des enfants, ils appartiennent tous à l’organisation Lutheran Immigration and Refugee Service aux États-Unis. www.lirs.org

Voir LIRS Unlocking Liberty: A Way Forward for U.S. Immigration Detention Policy, octobre 2011 http://tinyurl.com/LIRS-unlocking-liberty-2011

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