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Transition post-conflictuelle et vulnérabilité face au VIH

Pendant ces cinquante dernières années, on a observé une augmentation dramatique du nombre de conflits et d’urgences complexes. La plupart de ces événements a eu lieu dans des circonstances où le conflit a encore affaibli des services nationaux de santé, d’éduction et autres, déjà inadéquats.

Pendant ces cinquante dernières années, on a observé une augmentation dramatique du nombre de conflits et d’urgences complexes. La plupart de ces événements a eu lieu dans des circonstances où le conflit a encore affaibli des services nationaux de santé, d’éduction et autres, déjà inadéquats. L’augmentation en fréquence des conflits et du nombre de personnes qu’ils affectent a motivé un renforcement de l’engagement en faveur des secours d’urgence pendant la phase aiguë des crises, mais en comparaison, la transition post-conflictuelle jusqu’au rétablissement et à la reconstruction n’a suscité qu’un intérêt nettement plus limité tant en termes de vision que d’envergure.

La Bosnie, Haïti et le Liberia sont tous passés par des conflits prolongés et les hostilités se poursuivent dans l’est de la RDC. Un projet de recherche entrepris par le Centre international pour la migration et la santé (CIMS)(1) et ses collaborateurs de recherche dans le cadre de l’Initiative sur le sida, la sécurité et les conflits (ASCI) a centré son étude sur la manière dont la transition depuis le conflit est ressentie par différents groupes de personnes et l’effet qu’elle a sur leurs attitudes face au VIH et à la violence sexuelle et basée sur la différence de sexe (SGBV). En RDC, en Haïti et au Liberia, le VIH reste un problème important encore en augmentation. En Bosnie, où l’épidémie a été beaucoup moins apparente, l’augmentation du nombre des cas signalés de tuberculose est peut-être indicative d’un VIH sous-jacent, mal diagnostiqué et non recensé. Ces quatre pays ont vu le conflit produire des déplacements de population considérables et répétés et une violence sexuelle et basée sur la différence de sexe également considérable. De plus en RDC et au Liberia, en association à cette violence il y a eu de très nombreux cas de mutilation.

Négligence des donateurs envers les situations post-conflictuelles

Notre recherche suggère qu’en général la communauté internationale n’a prêté que relativement peu d’attention, que ce soit en termes conceptuel ou de programme, à la transition entre le conflit et le rétablissement. Dans trois des pays évalués où il y a eu une fin clairement définie des hostilités actives, il n’y a pas eu d’interventions à grande échelle conçue pour garantir la sécurité humaine sur le long terme des populations concernées. Nous n’avons pas non plus observé d’éléments indiquant que des groupes de populations dont la vulnérabilité était due ou avait été exacerbée par le conflit avaient été ciblés. Tout type de rétablissement ou de reconstruction sociale qui a eu lieu ou a lieu à l’heure actuelle dans chacun de ces quatre pays semble avoir été le fruit du hasard et a largement laissé pour compte une partie importante des personnes qui avaient pourtant subi le conflit le plus durement.

Le fait de négliger des personnes dont la réinsertion dans la société est essentielle en termes de rétablissement et de reconstruction crée un nouveau type de marginalisation (réelle et perçue) touchant aux services sociaux et de santé, et aussi aux initiatives relatives au VIH pourtant tellement nécessaires. Une telle négligence, non seulement met des vies en danger mais elle pourrait aussi comporter de sérieuses implications en termes de santé publique et de stabilité sociale et politique pour l’avenir.

VIH

La prévalence du VIH parmi les personnes qui ont entre 15 et 49 ans en Bosnie, en RDC, en Haïti et au Libéria était estimée en 2007 à 0,1%, 1,5%, 2,2% et 1,7% respectivement, mais l’absence de données de qualité rend une estimation fiable très difficile et dans les trois derniers pays la situation pourrait avoir été significativement pire. Et pour la même raison, il est difficile d’évaluer clairement dans quelle mesure les schémas d’incidence et de prévalence du VIH ont été influencés par le conflit.

Ce qui est clair, c’est que de manière notoire les femmes déplacées et soumises à des sévices sexuels n’ont pas pu bénéficier d’interventions  post-conflictuelles relatives au VIH ou à d’autres problèmes de santé.  Dans aucun de ces quatre pays, la cessation ou la réduction des hostilités n’a apporté d’amélioration nette à leur vie. En effet, les femmes déplacées en RDC, en Haïti et au Libéria ont signalé que leur situation avait empiré et qu’elles se sentaient plus en danger d’être exposées au VIH après le conflit que pendant le conflit. Ceci était particulièrement évident en Haïti et en RDC où les femmes déplacées ont dit qu’elles vivaient dans la peur constante qu’elles-mêmes ou leurs filles ne soient contaminées par le VIH, et elles se plaignaient du fait que toutes les interventions relatives au VIH qui avaient été organisées les avaient ignorées ou avaient ignoré leurs besoins.

Dans ces quatre pays, les préoccupations concernant le VIH parmi les femmes déplacées étaient liées au fait qu’elles considéraient que leur vulnérabilité face au viol perdurait, sinon augmentait. En RDC, en Haïti et au Liberia, les femmes déplacées ont dit qu’elles sentaient que le risque d’être violées avait augmenté avec la réduction de la présence des groupes extérieurs d’assistance et qu’il y avait une perception générale que peu de choses ou rien n’avait été fait pour leur fournir l’assistance (physique et psychologique) nécessaire pour traiter les séquelles des viols. Elles s’accordaient à dire que non seulement elles ne savaient pas où aller pour dénoncer un viol mais aussi qu’elles ne croyaient pas que cela aurait un effet parce qu’elles pensaient qu’il n’y avait pas de réel intérêt envers elles ou leur bien-être. Elles mentionnaient qu’avoir été violées, connaitre quelqu’un qui avaient été violé ou vivre dans la crainte du viol faisaient partie des obstacles majeurs qui les empêchaient de retourner dans leurs familles et dans leurs communautés d’origine. Dans chacun des pays étudiés les femmes déplacées ont affirmé qu’elles se sentaient encore plus isolées socialement après le conflit à cause du stigmate social associé au viol.

Des sentiments d’isolation sociale étaient également associés au fait de savoir qu’elles avaient perdu leurs maisons et que le logement ne faisait partie d’aucune initiative de réintégration dont elles avaient entendu parler (ou qu’elles pensaient pouvoir s’appliquer à  elles). En RDC et au Liberia, la peur de rester sans toit et sans moyens de générer des revenus a conduit de nombreuses femmes interrogées qui vivaient encore dans des camps à affirmer que ces camps, pour misérables qu’ils soient, offraient bien davantage de sécurité que ce qu’elles imaginaient les attendre à l’extérieur. De nombreuses femmes ont dit qu’elles préféreraient recevoir des matériaux de construction pour construire leurs propres abris et rester dans la ‘brousse’.                                                                                      

Des interventions de DDR aux bénéfices limités

Des processus de désarmement, démobilisation et réintégration (DDR) font  habituellement suite aux conflits partout dans le monde. Les gouvernements et la communauté internationale considèrent le processus de DDR comme un moyen de réduire les risques de nouvelles irruptions de violence armée. Notre étude suggère que les interventions de DDR n’ont pas réussi à incorporer les problèmes de VIH de manière constructive. C’était tout particulièrement le cas au Liberia, même si dans les quatre pays, les ex-combattants pensaient tous que ce qui avait été fait ou était fait pour eux n’était pas suffisant et qu’ils affirmaient n’avoir constaté que peu de bénéfices des programmes relatifs au VIH.

Les ex-combattants en RDC et au Libéria partageaient un sentiment généralisé selon lequel le conflit leur avait permis – et dans certains cas les avait incités –  à faire subir des sévices aux femmes et ce faisant,  probablement à s’exposer au VIH. La plupart d’entre eux considérait le VIH comme une maladie sans possibilité de guérison, et de nombreux ex-combattants dans ces deux pays avaient une approche fataliste face au VIH et disaient que mourir du VIH c’était finalement la même chose que de mourir d’une balle, et qu’en tant qu’ex-combattants ils n’avaient que peu ou pas de contrôle sur le résultat final.

Les femmes ex-combattantes pensaient que la fin du conflit les avait confrontées à un nombre supplémentaire de problèmes, parmi lesquels la résistance de leurs familles et communautés d’origine à les voir revenir. En Haïti, les femmes qui s’identifiaient elles-mêmes comme des ex-combattantes parlaient également de l’hostilité de la police locale et du danger qu’elles sentaient que représentaient les personnels de maintien de l’ordre qui  continuaient à les considérer comme des combattantes et des criminelles.

Le viol dans la phase post-conflictuelle a également émergé comme un thème important, et il était communément admis parmi les ex-combattantes que les risques de viol dans des situations post-conflictuelles restaient élevés. En RDC de nombreux ex-combattants disaient que les femmes ‘se mettaient elles-mêmes dans’ des situations de vulnérabilité du fait de leur mode de vie et parce qu’elles acceptaient la prostitution comme moyen pour satisfaire des besoins qui n’étaient pas essentiels. Malgré cela, les ex-combattants dans ces quatre pays étaient d’accord sur l’importance des femmes dans la société et sur le besoin de les protéger. A cet égard, ils mentionnaient fréquemment la nécessité de poursuivre plus efficacement les auteurs de viol et d’imposer davantage de discipline tant au sein de l’armée que dans la société civile.

Conclusion

Les donateurs ainsi que les agences humanitaires et de développement ont eu tendance à négliger la phase post-conflictuelle et il est possible d’identifier  plusieurs facteurs qui en  expliquent les raisons, notamment:

  • De nombreux gouvernements donateurs établissent une distinction conceptuelle et institutionnelle entre les secours humanitaires et l’aide au développement qui est à la fois simpliste et sans fondement factuel.
  • Il existe une conviction commune et erronée selon laquelle la fin d’un conflit signale une période de réconciliation sociale, de réinvestissement dans le développement social de la part des gouvernements nationaux et un rétablissement économique qui bénéficieraient automatiquement à la population générale.
  • Les agences donatrices sont également convaincues sans aucun fondement que les gouvernements nationaux encouragent le retour des personnels formés et compétents ou qu’ils disposent de moyens pour en former de nouveaux.
  • Des présomptions sur le rétablissement post-conflictuel semblent avoir été établies sur des analogies inappropriées avec la reconstruction post-conflictuelle rapide du Japon, de l’Allemagne et d’autres pays industrialisés.
  • Les donateurs semblent ignorer la réalité selon laquelle les pays en développement s’engagent dans des conflits avec des infrastructures déjà affaiblies qui sont devenues encore plus faibles et que leurs systèmes vitaux dans les domaines de l’agriculture, la santé et l’éducation se trouvent fondamentalement perturbés.
  • L’épuisement et la frustration du donateur sont devenus la caractéristique de la réponse face à la fréquence des conflits et à la capacité apparemment lente des pays à se reconstruire et à s’engager sur une trajectoire de développement.

Le processus post-conflictuel considère souvent les femmes déplacées, particulièrement celles qui ont été violées ou ont subi d’autres types de sévices, comme socialement isolées et incapables de tirer parti des initiatives  de  prévention et de traitement du VIH qui pourraient être mises en place. Leur retour dans la société et le processus de reconstruction sont freinés par une telle isolation et par le fait que le stigmate associé au viol (ou à la suspicion de viol) prend une importance encore plus grande en période post-conflictuelle que pendant le conflit.

Les ex-combattants sont également négligés et se voient écartés des programmes relatifs au VIH et l’on a le sentiment que les initiatives de DDR n’ont pas accordé suffisamment d’attention au problème du VIH ou qu’elles n’ont pas eu le temps ou la vision pour utiliser le processus de DDR comme une opportunité permettant de mettre en place des interventions sur le VIH regroupées et ciblées.

Les femmes déplacées et les ex-combattants constituent une proportion significative des sociétés post-conflictuelles. Ils vivent avec une charge pesante d’expériences traumatiques mais ils représentent aussi une partie vitale et potentiellement cruciale du processus de rétablissement et de reconstruction. Le VIH peut constituer une opportunité pour renforcer le processus plus large de développement de la santé et favoriser le rétablissement. L’indifférence face aux besoins de ces deux groupes de personnes n’est pas un bon signe pour la reconstruction post-conflictuelle.

 
Manuel Carballo (mcarballo@icmh.ch ) est Directeur exécutif du Centre international pour la migration et la santé (CIMS). Alexandra Small (Alexandra.Hamilton-Small@theglobalfund.org) a été chargée de recherche au CIMS. Calixte Clérisme (clerisme@yahoo.com) est Directeur du Centre de Recherche pour le Développement (CRD) de l’Université d’Etat d’Haïti. Benjamin Harris (harrisbtelekaie@yahoo.com ) est Professeur de psychiatrie à l’University of Liberia. Patrick Kayembe (patkayembe@yahoo.fr) est Doyen de l’Ecole de santé publique de l’Université de Kinshasa. Fadila Serdarevic (fserdarevic@icmh.ch) est Coordinatrice du CIMS en Bosnie.

(1) http://www.icmh.ch/

 

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