Une discussion approfondie sur comment et pourquoi la migration forcée est susceptible d’augmenter les risques de transmission du VIH dans la région exigerait l’examen d’une myriade de dynamiques sociales, culturelles, économiques et même physiologiques.
Une discussion approfondie sur comment et pourquoi la migration forcée est susceptible d’augmenter les risques de transmission du VIH dans la région exigerait l’examen d’une myriade de dynamiques sociales, culturelles, économiques et même physiologiques. C’est pourquoi je me concentrerai sur quelques questions particulièrement pertinentes – le VIH dans les situations humanitaires, les développements d’une programmation liée à la sécurité, et les besoins spécifiques de millions de personnes en Asie qui, par désespoir, se retrouvent exploitées et sans protection comme travailleurs dans des pays étrangers.
En ma capacité d’Envoyée spéciale, j’ai plaidé en faveur de davantage de prévention, de meilleurs soins et d’une dé-stigmatisation du VIH/sida à travers la région. J’ai aussi travaillé pour que la migration à l’intérieur et en dehors de la région soit reconnue comme un facteur jouant un rôle épidémiologique important et pour que davantage d’attention soit portée aux droits, aux besoins et à la protection des migrants. Au cours des dix dernières années, des progrès significatifs ont été effectués en ce qui concerne l’information sur le VIH et l’adoption de politiques et de programmes toujours plus progressifs et efficaces par de nombreux gouvernements. La levée par la Chine des restrictions à l’immigration basées sur le statut par rapport au VIH est un bon exemple de ces changements récents et constitue une bonne voie à suivre pour d’autres pays.
Mais il reste beaucoup d’espace pour améliorer la mise en place généralisée de politiques et de programmes de prévention du VIH et de soins, efficaces et fondés sur les droits. Il est particulièrement nécessaire de porter une attention accrue à ceux qui encourent des risques parce qu’ils sont déplacés. Il y a des millions d’Asiatiques qui ont quitté leur maison et leur région d’origine et qui vivent, souvent sans leurs familles ou sans autre soutien social, au sein de communautés nouvelles. Nombre d’entre eux se retrouvent dans des circonstances qui les rendent plus vulnérables à la contamination du VIH alors qu’ils ont dans le même temps perdu l’accès à l’information et aux moyens de prévention.
Au cours des dix dernières années, il y a eu dans la région un grand nombre de déplacements liés à des conflits. Guerres civiles ou insurrections en Afghanistan, au Népal, à Myanmar, au Sri Lanka, en Indonésie, au Pakistan, en Inde, aux Philippines et partout en Asie Centrale ont créé des réfugiés et des PDI en grand nombre qui ont eu besoin de soutien humanitaire. Même si la prévention du VIH, en tant qu’élément de l’ensemble minimum des services de santé reproductive, a été adoptée comme une composante déterminante de la réponse humanitaire en 1994,(1) les contraintes en termes de ressources ainsi que les facteurs sociaux et culturels ont empêché l’accès universel à l’information et aux moyens de prévention auprès de ces populations. (Il convient également de remarquer que pour certaines personnes, ce sont les agences humanitaires qui ont été les premières à leur fournir des informations sur le VIH).
Certains types de conflits ou de déplacements ont entraîné des risques plus particuliers d’infection du VIH. Par exemple, de longues années de vie en camps de réfugiés et le manque d’emploi ou d’opportunités de loisirs ont contribué à l’usage intraveineux de drogues dans les zones frontières de l’Afghanistan et du Pakistan : il s’agit là d’un facteur moteur de l’épidémie dans ces pays de la même manière qu’en Asie Centrale. C’est l’indigence des réfugiés birmans en Thaïlande qui a entraîné le recours généralisé à la ‘prostitution de survie’ qui constitue le moteur de l’infection dans cette sous-région. La violence sexuelle utilisée comme arme de guerre au Timor Leste, en Asie Centrale, au Sri Lanka et dans d’autres conflits a sans aucun doute accru les risques de VIH. Et même s’ils sont rarement considérés comme un conflit politique armé, les niveaux terribles de violence sociale et interpersonnelle qui sévissent en Papouasie Nouvelle Guinée sont également perçus comme des facteurs importants de l’épidémie dans cet endroit. A travers l’ensemble de la région, il est non seulement nécessaire de garantir l’offre de prévention du VIH et des services de soins à destination des populations déplacées, mais il est aussi nécessaire d’analyser sérieusement l’impact VIH des conflits et d’inclure les besoins spécifiques des personnes déplacées dans les plans d’action nationaux sur le sida.
En tant que région l’Asie subit davantage de catastrophes naturelles, en particulier des inondations et des tremblements de terre, que n’importe quelle autre région du monde. Le déplacement de millions de personnes suite à de telles circonstances est un événement annuel régulier. Dans de nombreux endroits comme au Pakistan, en Indonésie et au Sri Lanka, les populations ont souffert à la fois le conflit et la dévastation liée à une catastrophe naturelle. En plus du traumatisme du désastre et des difficultés de vivre dans des abris temporaires, la perte des moyens d’existence et des biens qui accompagnent les catastrophes naturelles peuvent affecter les familles et les communautés pendant des années, les laissant dans la misère et vulnérables face à l’exploitation sexuelle et parfois même au trafic. Certains éléments tendraient à démontrer que la violence domestique s’accroît également dans les périodes qui suivent une catastrophe. Tous ces éléments sont des facteurs de risque de l’infection au VIH. Alors même que la fourniture d’une éducation sur le VIH et de mesures de prévention de base, y compris la distribution de préservatifs, font partie des normes minimales de la réponse humanitaire(2), la mise en œuvre intégrale de ces normes n’est toujours pas atteinte du fait de contraintes liées aux ressources ou à la stigmatisation, ou aux deux.
Le VIH et le secteur de la sécurité
De nombreux pays d’Asie ont été des chefs de file dans le domaine du VIH et de la sécurité. La Thaïlande et l’Inde ont été parmi les premiers pays à reconnaitre la nécessité de fournir des programmes complets de prévention du VIH à l’intérieur du secteur de la sécurité (armée nationale, police, et autres services en uniforme) et ont montré la voie à de nombreux autres pays dans le monde. Les Thaïs, comme dans de si nombreux autres aspects de la prévention du VIH, ont été des pionniers de l’éducation par les pairs et des programmes de distribution de préservatifs à l’intention des services en uniforme. Le programme MAITRI en Inde a été l’un des premiers programmes établis pour soutenir non seulement les membres individuels de l’armée mais aussi les familles des militaires et leurs dépendants par le biais d’un programme complet d’éducation à la santé et au VIH, et de conseils ainsi que d’autres formes de soutien social.(3) Au cours des dernières années, et avec le soutien de l’ONUSIDA, de l’UNFPA et d’autres, des progrès conséquents ont été réalisés dans la région auprès des services nationaux en uniforme, des groupes qui sont importants à la fois du fait de leurs facteurs de risque (âge, mobilité, etc.) et aussi parce qu’ils peuvent servir de modèle au sein des sociétés auxquelles ils appartiennent. Il est particulièrement important que les membres de l’armée et de la police dans la région aient à la fois des informations sur le VIH et des compétences dans le domaine de la prévention parce que les pays d’Asie fournissent une proportion importante des forces de maintien de la paix et qu’à ce titre ils sont déployés partout dans le monde, y compris dans des endroits où il y a une prévalence du VIH plus élevée. Le Pakistan, le Bangladesh et l’Inde sont les plus gros contributeurs aux forces de maintien de la paix de l’ONU, et ils déploient en moyenne plus de 10 000 soldats de maintien de la paix par an ; la Thaïlande, le Népal, l’Australie, la Nouvelle Zélande, la Chine, l’Indonésie, Fidji, la Malaisie, le Népal, le Sri Lanka, la Mongolie, les Philippines et la Corée sont également des contributeurs significatifs. Depuis l’adoption, en 2000, de la Résolution 1308 du Conseil de sécurité de l’ONU sur le VIH/sida, l’ONU a établi des programmes de prévention du VIH au sein de toutes les missions de maintien de la paix. Pour certaines troupes venant de pays où il n’existe pas de programmes nationaux, la première exposition à des informations fiables sur le sujet a lieu au cours du déploiement de maintien de la paix.
Migrations dues à des crises économiques et sociales
Au sein des études sur les migrations il y a, depuis longtemps, un débat vigoureux sur les facteurs ‘pour’ et ‘contre’ qui déterminent les décisions individuelles de migrer et sur ce qui constitue une migration forcée ou volontaire. Traditionnellement, la migration à la recherche de travail n’a pas été considérée comme une migration forcée. J’aimerais remettre en cause cette notion dans le cas d’une grande partie de la migration à la recherche de travail qui a lieu à l’intérieur et depuis l’Asie aujourd’hui. La sévérité des crises économiques et sociales dans la région a conduit des milliers de personnes à laisser derrière elles leurs familles et leurs maisons pour partir à l’étranger pour trouver un travail sous-payé avec peu de protection contre l’exploitation, aucun droits légaux et un accès inadéquat même aux services sociaux les plus basiques. Cela doit sans aucun doute être considéré, non pas comme un choix de mode vie, mais comme quelque chose d’imposé au migrant par les circonstances. Les conditions dans lesquelles se trouvent ces migrants sont telles que les risques qu’ils encourent, notamment de contracter le VIH, sont multipliés. Et néanmoins, leurs ressources en termes de protection sont minimes. C’est un domaine dans lequel j’aimerais encourager bien davantage de recherche documentaire et d’analyse afin d’étayer le plaidoyer politique.
Des milliers de femmes asiatiques travaillent comme employées domestiques ou dans les industries de service, particulièrement au Moyen Orient et en Europe, et il existe des cas quotidiens et parfois des exemples horribles, d’exploitation et d’abus sexuel, y compris de contamination par le VIH. Et cependant, ces travailleuses ne bénéficient pas de supervision consulaire ou de protection légale dans les pays dans lesquels elles travaillent.
Et pour aggraver le problème, si elles sont contaminées par le VIH, elles sont déportées ce qui les laisse sans aucun moyens d’existence. Cela a des implications, non seulement pour leur propre santé mais aussi pour leurs familles, leurs communautés et leurs pays d’origine qui doivent alors leur fournir des soins. Dans certains cas par le passé, lorsque le pays d’origine a protesté face à de telles politiques, le pays d’accueil s’est contenté de répondre en suspendant ou en restreignant la migration des travailleurs en provenance de ce pays, ce qui peut avoir d’énormes conséquences négatives pour d’autres personnes qui cherchent du travail.
Dans le même temps, de nombreux pays à l’intérieur et à l’extérieur de la région exigent un test du VIH pour obtenir un permis de travail et d’immigration (et parfois même pour une simple visite) et rejettent les demandeurs sur la base de leur statut sérologique. C’est ainsi que même si une personne est en traitement et qu’elle est en bonne santé, elle ne sera pas en mesure de prendre un poste pour lequel elle est qualifiée. Une telle stigmatisation et le déni du droit à la libre circulation et du droit à l’emploi, sont des questions dont l’UNAIDS et l’Organisation internationale du travail ont décidé de s’occuper ainsi que certains parlementaires qui cherchent à faire changer les lois dans des pays comme l’Inde et l’Australie. Alors même que ces développements sont bienvenus, il reste encore beaucoup à faire dans la région à la fois pour atténuer les conditions qui entraînent ce type de migration et pour protéger la santé et le bien-être de ceux et celles qui sont forcés de travailler à l’étranger.
Nafis Sadik est Conseillère spéciale du Secrétaire général des Nations Unies et Envoyée spéciale du Secrétaire générale des Nations Unies pour le VIH/SIDA en Asie et dans le Pacifique. Elle peut être contactée par l’intermédiaire de murdock@unfpa.org ou de delargy@unfpa.org.
(1) HCR, OMS et UNFPA, Field Manual on Reproductive Health for Refugees, 1996 [La santé reproductive en situations de réfugiés: Manuel de terrain, 1996]. Maintenant révisé sous le titre : Inter-Agency Field Manual on Reproductive Health in Humanitarian Settings, 2010 [Manuel de terrain Inter-agences sur la santé reproductive en situations humanitaires, 2010]. www.unfpa.org/emergencies/manual/
(2) Le Projet SPHERE, Charte humanitaire et normes minimales pour les interventions lors de catastrophes, 2004, http://tinyurl.com/Sphere-Fr et IASC, Guidelines for HIV/AIDS Interventions in Emergency Settings, 2003 [CPI, Directives applicables aux interventions anti-VIH/sida dans les situations d'urgence, 2003].
(3) www.maitri.org.in